61. Victor Carmin ex machina (Ben quoi ?)
(By Victor Carmin)Ça y est c'était le grand jour, la finale de la coupe du monde, qu'on verrait pas parce qu'on serait trop occupés à niquer le système. À côté de moi, Drissou‑Lapin a ouvert les yeux. J'étais pas du tout en train de le regarder pioncer, pour info, c'était un hasard. Le pauvre vieux n'avait pas beaucoup dormi la nuit dernière, et pour une fois j'y étais pour rien. Monsieur était d'humeur mélancolique. Il s'est extirpé du lit et de mes bras, non pas qu'on dorme dans les bras l'un de l'autre comme un couple de niais, surtout par cette chaleur, 31° la nuit c'est juste pas possible alors... euh... qu'est‑ce que je disais déjà ? J'étais mal réveillé, c'est bon. Diak était maintenant debout et il s'est téléguidé jusqu'à la cafetière, puis il est resté planté devant à la fixer en attendant sa livraison de carburant.
— Ça va ? ai-je demandé.
— Mmh.
Il nous a fait un café chacun, et il est venu se remettre au lit avec les tasses, un truc qu'il fait jamais. C'était pas juste depuis ce matin qu'il était chelou comme ça, hier aussi il était dans la lune. Ça datait de son diner avec l'autre folle.
— T'es tombé amoureux de Brigitte ou quoi ?
Il a haussé les épaules. Je me suis redressé d'un coup :
— POUR DE VRAI ?
— Hein ? Mais non crétin !
Il avait pas l'air de daigner vouloir m'en dire plus, j'ai été obligé d'insister un peu :
— Vous avez parlé de quoi au dîner ? De Santorga ?
— On a parlé de religion, si tu veux tout savoir. Je m'étais dit que la brancher sur le sujet c'était le meilleur moyen de la convaincre de diner avec moi. Je lui ai fait croire que je m'intéressais à la question, que je voulais en apprendre plus.
— Oh merde. Ça a dû être chiant à crever.
— Pas du tout, figure‑toi.
Il a bu son café, l'air triste. Me dites pas qu'il a eu une illumination et qu'il a décidé de se convertir à la religion juste avant d'aller faire exploser douze mille personnes ? Bonjour le timing. Encore que, si je me rappelle bien mes cours d'Histoire du collège, c'est approprié. Par contre je suis quasi sûr que la religion n'aime pas les gays. Diak avait encore bien choisi son camp.
J'étais sur le point de lui demander si oui ou non j'étais bon pour aller me refaire un profil Q+, quand il s'est mis à me déblatérer :
— J'ai jamais fait attention à Brigitte quand on bossait ensemble. Et là, elle parlait de ça avec tellement de ferveur, j'ai trouvé ça beau. Et je me suis dit qu'au‑delà de la couleur du ciel, des animaux sauvages, des services publics... on a perdu quelque chose d'important.
— Quoi, Dieu ?
— La foi.
Putain, dire que je me suis réveillé pour entendre ça. Tous les jours je découvre une nouvelle joie de la cohabitation avec Driss Diak.
— Et j'ai compris un truc, a‑t‑il continué. Quand j'ai rencontré Kiwi... ça va te paraître stupide mais il avait quelque chose que j'avais jamais vu chez personne. Une force. Une lumière. Un beau jour j'allume la télé et j'apprends qu'il y a eu un braquage à l'hôpital de Sartrouville, que deux clones ont été kidnappés. C'était leur premier vol après Chibi, t'as dû voir les images aussi, le leader avec une cagoule, debout sur une voiture, qui gueule qu'ils s'appellent Sartrouville Ninja et qu'ils vont libérer tous les clones du monde. J'avais adoré. J'ai mené ma petite enquête et j'ai retrouvé son identité grâce à la voiture qu'ils avaient utilisée. Sans réfléchir, j'ai effacé leurs traces, comme ça. Ensuite j'ai suivi leurs activités de loin, j'écoutais leurs conversations ce qui passait sur leurs profils internet, et je cryptais tout. Je connaissais leurs identités, leurs histoires. Sauf pour Chibi, je ne savais pas que Kiwi avait sauvé son propre clone, ça c'est toi qui me l'as appris. Quand Santorga m'a proposé un poste, j'ai accepté alors que j'étais contre leur politique, parce que je me disais que je pourrais être utile à Kiwi. J'aurais pu continuer comme ça, aider dans l'ombre, mais j'ai pas résisté à le contacter. Tout ce qu'il faisait m'attirait. Je voulais l'aider, le rendre fier, qu'on devienne amis. Des fois on passait des soirées entières à s'envoyer des messages, je faisais ça avec personne d'autre. Quand Prigent s'est mis en tête d'envoyer un agent infiltrer S‑Nin, je me suis dit que peut‑être Kiwi te ferait le même effet qu'à moi, peut‑être qu'il te ferait devenir quelqu'un de meilleur, comme j'avais l'impression qu'il me rendait meilleur. C'est pour ça que j'ai proposé au patron de t'envoyer toi, j'en avais marre que tu sois aussi con et pro‑clonage. Et hier, en parlant avec Brigitte, je me suis rendu compte que cette force de Kiwi qui m'avait attiré, c'est la foi. Cette chose qui existe plus chez personne, Kiwi l'avait encore, et ça me rendait fou de lui. Mais aujourd'hui, il l'a plus. Il l'a perdu, ce truc tellement rare et précieux, et ça me tue de penser que c'est en partie à cause de moi. J'ai tué le dernier ersatz de foi présent dans ma vie.
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Kiwi ex machina - seconde partie
Science FictionVictor Carmin a pris une décision. Il doit maintenant faire face aux conséquences. (suite de Kiwi ex machina - première partie)