63. Champions du monde

21 3 11
                                    


63. Champions du monde
(by Victor, FdB)

Dès qu'on a été assez loin, Diak s'est garé sur un parking et a sorti son termi pour faire ses trucs, effacer l'itinéraire de l'auto de la base de données, ce genre de choses. Pour les caméras il avait un peu plus de temps puisque tous les serveurs stockés dans la salle des containers avaient explosé aussi, cadeau bonus de Sartrouville Ninja.

Nous, on mouftait pas. Même le copier/coller restait silencieux. On était cencés crier victoire peut‑être ? J'en avais pas du tout envie. Diak a terminé ses magouilles et on est repartis. Le silence me tuait mais je trouvais rien à dire. Je matais Kiwi et Chibi Kiwi dans le rétro, Chibi perdu et terrorisé, qui essayait de forcer un sourire qui sonnait faux, et Kiwi éteint et vide. Je voyais vraiment pas ce que j'aurais pu leur dire pour qu'ils aient pas l'air si misérables. Alors j'ai mis la radio. Ça commentait le match sur toutes les ondes, et moi je l'avais complètement oublié, j'en revenais pas. On en était à un partout et il restait que trois minutes avant la fin de la deuxième mi‑temps. Il allait sûrement y avoir des prolongations.

— C'est qui qui joue ? a timidement demandé Chibi depuis l'arrière la voix éraillée d'avoir trop toussé.

— France‑Mexique. C'est la finale de la coupe du monde.

Et là, notre Chibi qui s'efforçait depuis le début d'être sage et positif, mature ou je sais pas quoi, de pas nous plomber avec sa terreur, de pas nous déranger avec la montagne de questions qu'il devait se poser, il a eu une réaction spontanée qu'il a pas su faire taire :

— Oh nooon ! Je voulais trop suivre cette année !

Et d'un coup ses yeux se sont remplis de larmes. Il a bafouillé deux trois trucs puis s'est mis à chialer comme un pauvre gosse qui a été endormi de force pendant trop de coupes du monde, qui avait manqué trop de sa propre vie, et qui se retrouvait maintenant amputé des quatre membres et allait devoir continuer à vivre comme ça. Que ce qu'il pensait être un cadeau pour se faire pardonner avait conduit l'être qu'il aimait le plus au monde à vouloir mourir, et à commettre un putain de génocide. Et contrairement à Kiwi, Chibi savait pas les gérer, les crises de larmes sans ses mains. Il avait pas appris à ne jamais pleurer plus que ce qu'on pouvait endiguer avec une secousse de la tête. Il savait pas quoi faire, là, sans bras pour cacher ses sanglots. J'ai pris un paquet de mouchoirs que j'avais trouvé dans la boite à gants et je l'ai tendu à Kiwi pour qu'il aide son copier/coller, mais Kiwi n'a pas réagi. Les mouchoirs sur ses genoux, il regardait par la fenêtre, indifférent à son clone désespéré. Je voyais pas ses yeux derrière sa mèche et sa tempe tuméfiée, mais son absence de réaction était suffisamment parlante. Dark Kiwi avait pas tenu le coup. Je sais pas si c'était le fait d'être forcé à vivre, d'avoir forcé Chibi à vivre, ou la traversée de la chambre à clones, mais c'était trop, il y avait pas survécu. Le Kiwi normal ayant abandonné le navire depuis bien longtemps, il restait quoi ? Une coquille vide. Une chose sans âme. Je me suis fait la réflexion que Kiwi avait pas besoin de se foutre en l'air pour mourir, il pouvait se tuer mentalement, il avait cette capacité là, qu'il avait sans doute apprise au prix fort, de se fermer au monde et aux autres, et dans ces moments-là plus rien ne pouvait lui faire du mal, il était indestructible. Ça le rendait capable de tout. Il pouvait tuer des gens qu'il aime, il pouvait traverser un champ de cadavres d'innocents morts par sa faute, tout en guidant un mec qui l'a trahi un nombre incalculable de fois. Il pouvait ne pas en vouloir aux autres. En les regardant tous les deux, chacun aux prises avec son enfer intérieur, je me suis dit que j'étais loin de les avoir sauvés. Je me suis retourné vers l'avant.

— Dis, j'ai demandé à Driss. Tu crois que j'ai pris la bonne décision ?

— Oui.

— Sérieux ?

Kiwi ex machina - seconde partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant