34. C'est mon anniversaire !

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34. C'est mon anniversaire !
(by Kiwi)

...Enfin, à quelques jours près, je crois, ça fait longtemps que j'ai abandonné toute notion du temps. Mais quand on m'avait fait sortir pour l'enquête, j'avais entendu qu'on était fin novembre et mon anniversaire est le 19 donc... Voilà. Joyeux anniversaire, pauvre imbécile.

27 ans... dans les anniversaires il y a toujours ce moment déprimant où on fait le point sur sa vie. Il ne faut pas que je tombe là‑dedans. Où est‑ce que je serai dans dix ans ? Où est‑ce que je serai dans 27 ans ? Toujours entre ces quatre mêmes murs ? Arrête ça. Si tu arrêtes de penser tu peux survivre. Si tu tues ton cerveau tu pourras continuer. Est‑ce que ça en vaut vraiment la peine ? Chut.

J'ai essayé de me souvenir de mon anniversaire d'il y a dix ans. J'avais les cheveux coupés à ras comme aujourd'hui, on m'avait fixé mon implant quelques semaines plus tôt. C'était le premier anniversaire pour lequel je n'organisais pas une maxi‑teuf avec la moitié de l'école. J'étais en centre de rééducation, on m'avait fixé mes ports mais je n'arrivais pas encore à manier les prothèses correctement. La rééducation était un enchaînement de frustrations et de défaites, je voulais tout abandonner et rester un légume à tout jamais (dix ans plus tard, me voilà exaucé). J'étais en colère, et c'était un truc assez nouveau pour moi à l'époque. J'étais en colère que la perte de mes membres soit aussi inacceptable aux yeux de mes proches alors que ce que moi‑même je n'arrivais pas à accepter, tout le monde s'en foutait. On ne se souciait que de me faire marcher et tenir des trucs, comme si tout le monde était persuadé que si j'arrivais à faire bouger ces saloperies de membres à 8000€, je serais guéri. Pour moi c'était que du superflu, ça. Si je voulais guérir, c'était dans ma mémoire que ça devait se passer. Mes prothèses, je les détestais. Elles étaient trop lourdes pour moi et me faisaient mal au dos, j'arrivais à peine à les bouger.

Malgré mon sale état d'esprit, le jour de mes 17 ans j'avais essayé de faire un effort et d'être de bonne humeur pour mes proches qui étaient tous venus me voir avec un gâteau et des bougies. On s'était installés dans ma chambre, il y avait mes parents et mon frère (qu'est‑ce qu'ils doivent penser de moi aujourd'hui, quand ils me voient à la télé ?), mes grands‑parents, Grenade et sa famille qui était aussi un peu la mienne, mon voisin de lit et quelques autres potes que je m'étais faits à la clinique. Mon ancienne classe de première m'avait envoyé des ballons et une carte géante qu'ils avaient tous signée. C'était au moins la cinquième. Ils avaient entamé une nouvelle année, ils me disaient qu'ils me gardaient une place dans leur nouvelle classe, qu'ils comptaient sur moi pour revenir et tout exploser au bac. C'était... euh... attentionné.

La personne que j'aurais voulu avoir à mon chevet ce jour là était absente. C'était mon clone. Je ne l'avais encore jamais rencontré et j'en mourrais d'envie. Grenade, Litchi et Noisette n'en finissaient plus de s'émerveiller de ses progrès. Ils me racontaient qu'il arrivait à marcher, à former des syllabes, j'essayais de rester maitre de moi mais ça me rendait vert de jalousie. C'était mon clone ! Et c'était mon idée de le sauver ! Je trouvais ça pas cool qu'il ne me connaisse même pas, d'être absent de tous ses premiers souvenirs ! Je me disais que quand je quitterais la clinique et que je le rencontrerais enfin, je serais un étranger pour lui, alors que Grenade et les autres seraient sa famille.

Mes complices avaient bien vu que ça m'énervait, et ils entretenaient ma jalousie sans pitié. Je sais que c'était pour détourner mon attention d'autres frustrations, d'autres injustices. Et ça fonctionnait. Je n'avais qu'une hâte c'était de m'en aller de là pour que mon clone sache que j'existe, et pour ça il me fallait des membres. Après de longs mois, j'avais fini par triompher de la rééducation au moins suffisamment pour rentrer à la maison. D'autres séances m'attendaient mais le plus dur était fait. Je pouvais enfin me lever et marcher, je pouvais attraper des objets avec de plus en plus de fluidité, et mon moral remontait proportionnellement à l'autonomie que je retrouvais, j'en étais le premier étonné. Le reste, je l'ai enfoui au fond de moi pour toujours.

Kiwi ex machina - seconde partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant