38. FdB s'est fait jeter comme une merde
(by Kiwi)Grenade. J'avais entendu sa voix. Je l'avais entendu me dire qu'il m'aimait. Depuis combien de temps j'avais arrêté de l'espérer ? Il a fallu que je me retrouve ici, dans cette cellule coupée du monde, démembré, pour que ça arrive. Je suis à ça de dire que ça valait le coup. Encore une fois, Champignon avait réussi un truc dingue. Il m'avait retrouvé Grenade. Il m'avait retrouvé Grenade et il m'avait mis en contact avec, ici. Ça effaçait tout ce qu'il avait pu me faire de mal.
Grenade devait me recontacter dans vingt minutes. J'avais aucun moyen de compter le temps alors j'ai attendu, le cœur battant, en me demandant si c'était pas un rêve. Mais il est revenu, comme promis, et on a parlé pendant... jusqu'à ce que Champi nous dise qu'il fallait se séparer parce que c'était l'heure de la première ronde. Toute la nuit, donc. Heureusement, je n'avais pas besoin de m'inquiéter pour la durée de vie de la boucle d'oreille : Champi m'avait dit que c'était de la bonne came, la micro‑batterie pouvait durer encore dix ans.
Grenade m'a raconté tout ce qui s'était passé depuis mon arrestation. Il avait été en cavale alors ce n'était pas facile pour lui de s'informer mais il savait malgré tout que quasiment tout le monde s'était fait arrêter. Les membres les plus actifs de la branche pacifique, parmi lesquels mes grands‑parents, étaient incarcérés en attente de leur procès. D'autres étaient assignés en justice. Grenade, Litchi et Noisette n'avaient pas été pris, ils encouraient la perpétuité. Les clones avaient été quasiment tous retrouvés et renvoyés dans leurs capsules. Chibi était sain et sauf : Litchi avait eu la présence d'esprit de l'emmener en Hongrie à ma place grâce à mes faux papiers.
Toutes ces mauvaises nouvelles auraient dû me désespérer ou me révolter, mais c'était pas le cas. Grenade m'aimait. Il me parlait, il était en sécurité et il allait me sortir de là. Et quand on sera face à face, il me laissera voir son visage. Il portera plus jamais son sale masque, il me l'a promis.
Il m'a raconté sa cavale, comme il s'est planqué plusieurs jours dans un squat à Argenteuil, comme il a saccagé l'appart de FdB et traqué Champi pour trouver son adresse. Comme il a failli le tuer et que le hacker venait de lui proposer de rester se cacher chez lui.
— Qu'est‑ce que j'arrêtais pas de te dire ? avais‑je rigolé. C'est notre ange gardien.
De mon côté, j'avais aussi envie de raconter plein de choses à Grenade, mais bêtement j'osais pas. Je m'étais fait pote avec un des gardiens de ma section, Belasco, mais quand je dis pote c'est dans le sens négatif du terme. Les potes qui t'invitent à une soirée pour te faire payer d'aimer quelqu'un. Les potes qui te trahissent sur un coup de tête tellement t'as pas d'importance pour eux, alors que pour une fois tu pensais avoir fait tout bien. C'est cool, ça me dépayse pas. Belasco au moins il avait le mérite de pas faire semblant. Il s'amusait à me foutre la trouille avec ses allusions vicelardes, et ça marchait j'avais peur dès que j'entendais la serrure s'ouvrir. Ça me mettait en colère contre moi‑même parce que, franchement, de quoi je pouvais avoir encore peur ? Qu'est‑ce que Belasco pouvait bien me faire que je n'avais pas déjà supporté ? Rien. Alors pour pas qu'il croit qu'il était capable de m'effrayer, je le provoquais, je le cherchais, je le poussais encore plus à être méchant. Ça peut paraitre contre‑productif, mais même si ça empirait son attitude, moi ça me faisait du bien, de pas être la victime innocente. Plus je le rendais furax, plus j'avais l'impression d'exister encore. Qu'il me fasse tout le mal qu'il veut, tout ce qui importe pour moi c'est de pas être surpris, de m'y attendre.
Il y a quelques jours, je vais dire environ dix avant que Grenade me dise qu'il m'aime, j'avais inventé un nouveau jeu pour passer le temps, un petit défi : j'avais décidé d'arrêter de manger. Pas de quoi s'inquiéter, hein, c'était juste comme ça, pour faire chier Belasco, pour voir jusqu'où on pouvait aller. Tant pis si je ne découvrais jamais comment se finissait Moby Dick, ça valait pas le coup. C'est ce genre de choses là que j'avais envie de raconter à Grenade, vu que c'était le seul truc nouveau dans ma vie, mais je pouvais pas : Grenade allait être inquiet, il me demanderait d'arrêter de faire ça. Il croirait que je suis dans un délire d'auto‑destruction alors que c'est pas du tout le cas. Je veux juste m'amuser un peu, rendre Belasco fou, et tant qu'à faire aller à l'infirmerie. Je suis pas bête, je sais bien que je peux pas mourir comme ça, mais si ça allait assez loin ils m'enverraient à l'infirmerie où je serais perfusé. Il y a une fenêtre, là‑bas. Je pourrais être à côté, peut‑être. C'était mon rêve le plus fou. Grenade, Champi et FdB qui s'allient pour me faire évader, je n'y crois pas une seconde. Je peux compter que sur moi, et de toute manière vu les crimes que j'ai commis je mérite pas la liberté. La fenêtre de l'infirmerie par contre, c'était à ma portée. Enfin c'est ce que je croyais quand j'ai commencé, mais ça s'est vite avéré plus difficile que prévu. C'était pas tellement une question de faim, c'est surtout que je ne pouvais pas empêcher Belasco de me fourrer tout ce qu'il voulait dans la bouche. Je pouvais cracher (si possible sur lui), tourner la tête... et pas grand‑chose d'autre. Chaque repas était un rapport de force, ça durait des heures, et malgré mes efforts, quand c'était lui qui me nourrissait c'est‑à‑dire la plupart du temps, le plateau finissait toujours presque vide. J'étais pas près de me faire perfuser à côté de la fenêtre à l'infirmerie.
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Kiwi ex machina - seconde partie
Science FictionVictor Carmin a pris une décision. Il doit maintenant faire face aux conséquences. (suite de Kiwi ex machina - première partie)