21. TINA

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Tina

Lasse des événements de la soirée additionnées aux sept heures passées sur la route, j’informe Brawler de mon départ pour le terrain de camping où nous nous sommes établis pour ces prochains jours.
Kim désire profiter encore de sa soirée et me reproche ne pas pouvoir la finir avec moi vu ma morosité. Elle préfère me fuir comme si c’était contagieux. Je me demande bien ce qui me retient de ne pas l’étrangler quelques fois, ou tout simplement de la supporter. Je la traite d’amie abominable et cela ne lui provoque rien de plus que rigoler.
Quelle pétasse !
Enfin, je préfère nettement un peu de solitude à sa compagnie me répétant durant les prochaines heures, jusqu’à ce que le sommeil me happe, toutes ses analyses aussi farfelues soient-elles concernant Loner et Ghost. Ces deux-là m’ont assez bassinée pour la soirée et les jours à venir.
Une fois arrivée devant ma bécane, je l’enfourche tandis que je surprends Brawler adresser un signe derrière-moi. En jetant un furtif coup d’œil, j’aperçois Loner, resté contre le bâtiment parmi un groupe de bikers de clubs support en train de discuter alors qu’il est égal à lui-même : présent et silencieux.
Ses yeux sont fixés sur moi et je n’ai pas de mal à comprendre son choix de positionnement. Cela lui a permis de garder un œil sur moi malgré la présence du prospect resté à mes côtés durant mon besoin urgent d’isolement.
Il hoche la tête une fois à l’attention de Brawler qui s’installe à son tour sur sa bécane. Je mets les gaz et m’éloigne des festivités.
En traversant la ville et passant devant nos stands, je remarque du mouvement du côté des 3K. Je ralentis et coupe mon moteur en indiquant à Brawler d’en faire autant. Il s’arrête à mes côtés tandis que nous nous trouvons dans un coin non éclairé par les lampadaires.
Le prospect reste silencieux, les sens aux aguets en suivant des yeux ce qui m’a interpellée.
Une voiture, style berline noire luxueuse, se gare devant le stand de ces enfoirés. Une fine silhouette au visage dissimulé par un châle est guidée de force jusqu’au véhicule qui ne tarde pas à redémarrer dès que cette dernière se trouve à l’intérieur. Le membre des 3K l’ayant tirée jusque-là retourne à l’intérieur sous les éclats de rire d’un de ses confrères qui s’engouffre à sa suite sous le stand.
Je pose mon attention sur Brawler qui en fait autant.
— C’était quoi ce bordel ? m’interroge-t-il.
— Aucune idée, mais ça pue.
Je jette un œil sur la rue qui reste animée et ne souhaite pas éveiller les soupçons chez ce groupe d’extrémistes en passant à l’instant devant leur stand.
— Viens, prenons un autre chemin pour rejoindre le camping.
— Oui, c’est préférable, approuve-t-il.
Nous opérons un demi-tour et nous éloignons de ce lieu qui vient de décupler ma curiosité. Je me serais bien lancée à la poursuite de la voiture mystère, mais je me serais immédiatement fait remarquer. Inutile de les aiguiller sur le fait que nous les avons dans le viseur. N’oublions pas qu’ils nous croient ignorants de leurs coups tordus.
Lorsque nous arrivons à bon port, Brawler tente bien de discuter de toutes sortes d’hypothèses, mais il est tenu de tout rapporter à Loner, donc je me passe de lui répondre, car cela lui montrerait tout de mon soudain intérêt sur les agissements des 3K et surtout de ma découverte sur l’identité des gros méchants en voulant aux miens.
Mais bon, pour ce dernier point, c’est trop tard. Brawler a compris que j’étais au courant. Loner va être le suivant et ça ne lui plaira pas. Il va craindre que je fourre mon nez là où il ne faut pas. Ce mec m’a analysée à une vitesse folle. 
Je souhaite seulement une bonne nuit au prospect en m’esquivant vers ma tente. Peu importe ce qu’il pense de moi. Il ne cherche pas à me retenir et semble au contraire ne pas me tenir rigueur de mon comportement. Après tout, cela concerne que les hommes et il ne doit pas en parler avec moi en gardant secret tout ce qui touche les affaires du club. Donc mon attitude ne le turlupine pas plus que ça. 
Avant de tourner dans l’allée où est érigée ma tente, je lui jette un bref coup d’œil en le surprenant déjà l’oreille collée au téléphone. Il donne son compte rendu et fait certainement part de ce que nous avons aperçu plus tôt.
Cette silhouette dissimulait une femme et quant à savoir son identité cela reste à savoir. En tout cas, elle ne devait pas compter pour eux vu comment elle s’est faite tirer sans ménagement jusque dans la voiture. On n’agit pas comme cela avec une épouse ou encore une fille de membre.
Si elle ne fait pas partie de la famille des 3K, cela m’apprend une chose : ces connards mènent leurs affaires même d’ici. Ils sont tellement confiants et nourrissent un tel besoin de nous narguer qu’ils sont sûrement poussés à agir sous nos yeux comme si de rien n’était. Pas de bol, je ne suis pas née de la dernière pluie. Ranger non plus, et mon père est obligatoirement au courant des plans du père de Kim.
Pourquoi tous les présidents de chapitres de Shadow se sont fait la malle pour Sturgis ? Quitter son club durant ces temps incertains ne collent pas du tout. Et puis, Bonnie laissée au club… Non, décidément rien n’a de sens. Je me demande bien ce qu’ont concoctés les Shadow Riders contre l’ennemi.
Je passe devant plusieurs tentes de frères, certains juste devant en train de discuter en m’adressant un signe de tête, d’autres ronflant déjà bouche ouverte vu le son tonitruant s’échappant de derrière les voiles fines, quand j’atteins enfin la mienne.
Lorsque je l’ouvre, un hoquet de stupeur est retenu dans ma bouche par une main plaquée durement dessus qui empêche le son d’avertir les autres à l’extérieur. Je suis tirée entièrement à l’intérieur et administre un coup de poing dans l’épaule de ce con.
— Ghost, tu n’es qu’un crétin ! Le roi des idiots et non le prince obscur des Shadow Riders ! grondé-je dans un chuchotement rageur une fois qu’il a ôté sa main.
Ce dernier respire fort par le nez tandis que le rai de lumière des minuscules néons délimitant les allées à l’extérieur nous offre un minimum de luminosité. J’observe l’étendue des dégâts que lui a causé Loner.
Il ne dit rien et laisse son regard m’analyser. Maintenant que les barrières sont tombées, il se demande comment je vais réagir, mais il vient d’en avoir un petit aperçu au vu de ma colère.
— T’es-tu joué de moi durant toutes ces années ? grogné-je.
— Je t’assure que non, répond-il enfin.
Il semble avoir les nerfs à fleur de peau et je dois avouer être dans le même état.
— Mais enfin, à quoi cela rime tout ça ? lui rétorqué-je.
Il secoue la tête en se laissant tomber sur son postérieur tout en fourrageant dans ses cheveux.
— Je ne permets pas que tu puisses lui appartenir, émet-il seulement en montrant les dents.
— Dis-moi à quelle heure tu as cru un seul instant avoir voix au chapitre, Ghost ?!
— Oui, tu es en droit de choisir, mais pas lui ! vocifère-t-il dans un avertissement.
À mon tour, je me laisse tomber en position assise en le regardant complètement sidérée.
— Tu délires là ! l’accusé-je.
— Pas le moins du monde, Tina, grogne-t-il.
Je soupire et ferme les yeux, puis porte mes mains au visage.
— Vous voulez me rendre barjot, c’est ça ! explosé-je en le pointant rageusement du doigt.
Une barrière semble tomber parce qu’il a l’air de prendre une décision avant de me parler à cœur ouvert.
— Tu crois que c’est si compliqué que ça de tomber littéralement fou de toi ? Tu crois que ce n’est pas le gros bordel dans mon crâne à chaque fois que je te croise et que je me dois de feindre mon intérêt parce que tu me regardes de la même façon que tu regardes Kyle ? Mais enfin regarde-toi, Tina ! Tu es belle comme pas permis, désirable au possible, pas difficile à vivre et issue du milieu qui m’a ouvert les bras en me sauvant de la rue, putain ! Depuis que mes yeux ont croisé les tiens, tu m’as conquis. Je suis à ta botte depuis cette première seconde où tu es apparue dans ma chienne de vie. Alors oui, il était bien plus facile de te garder à mes côtés en me conduisant tel le parfait meilleur pote qu’oser tout t’avouer de ce que tu as déclenché en moi pour te voir ensuite ériger un mur entre nous.
Il renifle en secouant la tête, l’air abîmé, avant d’ajouter :
— Tina, avec toi, c’est soit tout soit rien. Tu le sais parfaitement et en le sachant comment voulais-tu que j’agisse en prenant en compte le fait que rien n’aurait pu mettre fin à ce que tu as réveillé en moi ?
Que dire face à ça ? Ghost est magnifique et je le connais assez pour savoir que cela ne s’arrête pas au physique. Mais que faire quand dans ma poitrine rien ne fait écho à ses paroles ?
Je sais à cette seconde que je ne pourrai jamais lui dévouer le même amour qu’il nourrit pour moi. Le mien se cantonne au statut amical ou fraternel, mais ne tient en rien de celui passionné, de l’ivresse du béguin.
Il le lit dans mon regard navré posé sur lui. Un son déchirant sort de sa gorge tandis qu’il serre les poings. Une douleur à fendre l’âme me frappe de plein fouet quand je vois la souffrance s’accaparait de la sienne.
Je pose une main sur sa joue abîmée en fixant l’éclat luisant de son œil amoché.
— Je suis désolée, Ghost, lui soufflé-je affligée.
Il appuie son visage contre ma paume en fermant les yeux avant de le tourner pour prendre une profonde inspiration de ma peau, puis de déposer un tendre baiser au creux de ma main restée en suspens. Je me sens tellement mal, tellement coupable alors que je n’ai rien fait pour.
Il se détourne ensuite brutalement et sort de ma tente en me laissant seule et totalement vidée. Son air torturé m’inquiète assez pour me décider à le poursuivre à l’extérieur.
Je m’extirpe de la toile à mon tour et l’aperçois fondre dans la nuit côté parking.
L’angoisse au ventre, je détourne les frères, encore présents dans l’allée, comme Ghost vient de le faire afin de ne pas attirer leur attention sur moi. Mes pas me mènent jusqu’au parking où j’arrive trop tard pour l’empêcher de foncer sur sa bécane je ne sais où dans l’obscurité de la nuit.
Une main se pose sur mon épaule et me fait sursauter.
Loner.
Si je m’attendais à ce qu’il me regarde de travers, ce n’est nullement le cas. Son regard n’exprime rien d’autre que de la compassion. Il voit parfaitement combien je suis chamboulée comme il sait pertinemment ce que représente Ghost pour moi.
Cette seule scène lui a appris tout ce qu’il y a à savoir. Faut pas être devin pour lire l’évidence. Ghost vient de me fuir avec le regard hanté de douleur quand le mien laisse lire le remords d’être la cause de sa souffrance sans pour autant pouvoir la lui ôter.
Je pince la bouche sous l’intensité de ses yeux compréhensifs ancrés aux miens. Se passant de paroles, il m’attire contre lui et m’offre le réconfort nécessaire face à mon angoisse dirigée pour mon ami.
Je pense que c’est pile à cet instant que je sais, au fond de moi, que Loner représente bien plus qu’une simple attirance corporelle. J’aime le fait qu’il ne se lance pas dans une crise de jalousie en pétant un câble sans savoir ce qui a bien pu se passer sous ma tente. Il ne se laisse pas dominer par des bas instincts bien que j’imagine qu’il en soit animé.
Non, Loner respecte énormément les autres, même la personne pour laquelle il s’est pris une raclée par son président national en se lançant ensuite dans un combat sans limite pour elle alors qu’elle ne l’a pas choisi pour autant. Tout comme il respecte la douleur d’un frère. Même d’un autre chapitre.
Il reste cette présence silencieuse, mais bel et bien là et nourrissant une réelle sollicitude en partageant la peine touchant la personne à laquelle il tient. Il est un soutien infaillible. Cela m’apprend beaucoup de lui en se passant de mots. Il n’y en a pas besoin dans ces cas-là. Les gestes, les actes parlent d’eux-mêmes. Ils sont d’autant plus véridiques que le seront jamais de simples paroles.

Le lendemain, je découvre Kim affalée à moitié sur moi dès que j’ouvre les yeux. Je la dégage en grognant et me passe une main sur le visage déjà lasse devant cette nouvelle journée alors que je devrais être excitée de me trouver à ce festival.
L’ombre d’une personne se peint sur la toile de notre tente illuminée par les rayons du soleil.
— Hé ho, on est en vie là-dedans ? demande Brawler.
— Casse-toi, grogne Kim maintenant couchée sur le ventre avec la joue écrasée contre un oreiller.
— Qu’est-ce qui se passe ? interrogé-je le prospect en ignorant mon ivrogne d’amie.
— Une nouveauté, m’apprend-il.
Curieuse, j’abaisse la fermeture éclair de la tente en laissant apparaître son visage.
Il fronce les sourcils.
— T’es pas allée courir ce matin, déclare-t-il l’air réellement surpris.
— Très drôle, le bleu. Dis-moi que ce n’est pas là la nouveauté du jour, le menacé-je.
— Non, mais une dure à cuire comme toi ne devrait pas laisser une quelconque mésaventure la détourner de ses habitudes.
— Je rêve où tu te permets réellement de me faire la leçon ? lancé-je interloquée.
Kim s’esclaffe dans son coussin que je rêve de lui faire bouffer si elle pense à me chauffer de si bonne heure.
Il lève les mains en l’air semblant rendre les armes et pince la bouche.
— J’attends, grogné-je en le pressant de délier sa langue toute permise.
Non, mais ! J’aurais tout vu !
— Une compétition, la plus réaliste qui n’ait jamais existé, se tient aujourd’hui en dehors de la ville. Le maire n’a pas approuvé, donc elle se déroule dans un terrain vague à quelques bornes d’ici. Tous les clubs ont inscrits les membres choisis de leur MC.
— Et ?
— Nous l’avons fait plus tôt, mais il manque les représentantes féminines.
— Ce qui veut dire ? Vois-tu, je ne suis pas très loquace ce matin, fais-je en passant mes poings sur les yeux.
— Que Kim ou toi doit obligatoirement représenter les Shadow Riders et se mesurer aux autres filles ou femmes des autres clubs. Ranger aurait voulu que Bonnie le représente, mais elle n’est pas là et…
— J’y serai ! s’exclame tout à coup Kim en me faisant sursauter.
Je renifle en ricanant en coin.
— Tu veux rire ? répliqué-je en la dévisageant, hallucinée.
— Oh que non, déclare-t-elle soudainement sûre d’elle.
— C’est des conneries ! Brawler inscris-moi…
— J’te dis de me laisser faire, Tina, gronde-t-elle en m’assassinant du regard.
— T’es pas sérieuse ? lui demandé-je en réalisant que c’est parfaitement le cas.
— On ne peut plus sérieuse, me confirme-t-elle.
Je pince la bouche à mon tour en me disant que ce n’est pas l’idée du siècle.
— T’es au courant que ton combat puéril contre ta belle-mère…
— La pouffiasse, n’omet-elle pas d’ajouter.
— Ouais, grogné-je, va probablement causer notre perte ?
— Vu la colère qui m’anime je ne parierai pas sur ça, maintient-elle.
— Bon, j’imagine que toutes les autres filles ou femmes qui représentent leur club ne sont pas des sportives aguerries et de haut niveau et puis, je peux toujours m’inscrire pour représenter la maison mère.
Brawler intervient.
— En fait non. Une seule représentante par MC. Vous portez les mêmes couleurs alors pas possible.
— Tina, cette fois-ci c’est moi qui m’en charge ! soutient Kim.
— Tout ça pour prouver à ton père que tu vaux mieux que Bonnie, soupiré-je en me pinçant l’arête du nez et fermant les yeux en sentant poindre un mal de crâne. C’est complètement débile parce qu’il n’y a pas de rivalité quelle qu’elle soit !
— Ça ne regarde que moi ! déclare-t-elle avant de donner des consignes à Brawler affichant un air las devant notre petite querelle matinale. Tu m’inscris comme représentante des Shadow Riders.
— J’ai le droit de dire mon mot ?
Elle pouffe avant de déclarer :
— Bien sûr que non, tu n’es que prospect alors tu la boucles et tu fais gentiment ce qu’on te dit de faire, émet-elle d’un ton de plus en plus sévère.
— Quelle garce ! ricané-je.
— Elle va causer notre perte, dit-il tout de même avant de disparaître de l’ouverture en me faisant rire tandis qu’elle lui adresse une floppée de noms d’oiseaux.
Je me laisse retomber sur le dos en lâchant un profond soupir.
— J’espère tout de même que tu sais dans quoi tu t’embarques, lui lancé-je pendant qu’elle s’extirpe de sa couverture.
Elle fouille dans son sac et en extirpe une trousse de toilette avant de sortir à son tour de la tente. Avant de partir en direction des sanitaires, elle se penche et me déclare sûre d’elle :
— Ces salopes ne savent pas à qui elles ont à faire ! Elles vont vite comprendre devant qui elles osent se mesurer !
J’attends ensuite ses pas s’éloigner.
— Kim, Kim, Kim… Tu risques d’apprendre durement la leçon que détenir un grand caquet ne suffit pas à remporter un tournoi, marmonné-je.
C’est une furie, je lui accorde cela et le fait qu’elle sait se servir de ses longs ongles rose pétard, mais je crains la tournure des choses. Je quitte à mon tour mon sac de couchage sur lequel j’étais posée pour la rejoindre prendre une bonne douche.
Je soutiendrai toujours les Shadow Riders, mais encore plus ma meilleure amie peu importe dans quel merdier elle se lance. Et je pense très sérieusement que celui-ci va être le  pompon. Kim a horreur de la défaite, son pétage de plombs est inévitable si je crois ce qu’il risque de se produire aujourd’hui…
Quelle poisse !

Shadow Riders #Bewitching biker's girl & #In Turmoil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant