𝐁𝐞𝐡𝐢𝐧𝐝 𝐌𝐲 𝐄𝐲𝐞𝐬

Chapitre II : Normalité

Le bruit de la foudre est semblable à celui d'une arme à feu.

Sky

         Un cliquetis mécanique annonçant la recharge d'une arme retentit face à moi.

Accoudée au bar métallique se situant près d'un mur, mon regard balaye la salle d'entrainement sans réel but.

Mes yeux détaillent les quelques haltères laissés au sol tandis que Saturn, un casque anti-bruit ornant sa tête, s'entraine à tirer sur une cible.

Plongeant plus profondément mon regard sur celle-ci, je remarque bien vite la large photo du leader collée dessus, elle est trouée par les balles.

Les nombreux fracas qu'entrainaient son activité empêchent mes pensées de traverser mon esprit correctement, celles-ci manquèrent de s'évaporer complètement lorsque Thunder, un grand sourire étirant ses traits, descendit les marches deux par deux.

Ses frisotis bruns à présents noués en de nombreuses locks remuaient au moindre de ses pas, depuis notre arrivé au refuge lorsqu'il était encore qu'un petit garçon, il était flagrant que mon ami accordait énormément de temps à son apparence. Il s'était totalement transformé et je mettais ça sur le compte de notre récente indépendance.

Pourtant, même avec son humour et son optimisme naturel, quelques choses d'artificiel semblaient émaner de lui.

Pas étonnant après ce qu'il a pu voir le soir de notre fuite.

Même si je n'ai qu'un an de plus, Thunder a toujours été considéré comme le petit frère du groupe, son sourire sincère et solaire nous apportait un peu de lumière dans les moments les plus sombres

Ce quotidien n'est pas du tout celui que je m'imaginais avant la disparition de mon père, mais lorsque je vois mes amis, je me dis qu'il reste un espoir pour le retrouver.

Il a disparu sans laisser de trace et je sais qu'au grand jamais il n'aurait fait ça volontairement.

Je n'abandonnerais pas.

La fatigue s'emparant lentement de mon corps, mon regard trainait, d'un air absent sur mon amie qui, s'entrainant avec une concentration hors du commun, tentait de tirer sur les cibles les yeux fermés.

Saturn est silencieuse, lorsque je l'ai rencontrée quand j'avais huit ans, les seuls mots qu'elle osait adresser étaient seulement destinés à son frère. Je n'ai jamais su comprendre ce qu'il se passait dans sa tête et ce, depuis ce qu'il s'est passé il y a deux ans.

Le couteau, le corps tuméfié d'Isabelle, le sang perlant sur ses vêtements.

Et depuis cette nuit je prie pour elle, je prie pour que cela ne se reproduise plus. Et lorsque je la vois s'entrainer à tirer ou à se battre, j'ai peur.

Ce n'est pas comme si elle s'entrainait pour une prochaine victime, pas vrai ?

Tu travailles demain Sky ? Me demanda Thunder, me sortant immédiatement de mes pensées.

Je repris mon souffle alors que celui-ci fut bloqué dans ma poitrine à la seule pensée de cette tragédie.

Oui, mais je travaille depuis la maison, on jouera ensemble si c'est ça qui t'inquiète.

Pirater des serveurs informatiques m'a permis de me faire de l'argent facile, je mets très clairement ma vie en jeu mais si je souhaite retrouver un quotidien à peu près normal je me dois de faire des sacrifices.

Saturn ne parle pas depuis que nous sommes rentrés. Tu penses qu'elle m'en veut pour la course poursuite ? Prononçât-'il d'un air inquiet alors que ses yeux bruns détaillaient la jeune femme au fond de la salle.

Je pense qu'elle en veut surtout à Magnolia pour sa pizza carbonisée. Non mais sérieusement, elle est littéralement née à New York et elle ne sait pas en faire ! Soufflais-je, un sourire déformant mes paroles tandis que le jeune homme me rejoignit avec un rire amusé.

Le plus gros fou rire que j'ai pus avoir dans ma vie fut quand Magnolia, un sourire fier en remuant ses petites boucles aux grès de ses pas, nous avait présenté sa propre recette qu'elle avait baptisée la « tacozza », un mélange d'un taco approximatif et d'une pizza.

Celui-ci ressemblait plus à un cadavre en décomposition qu'à quelques choses de comestible pour être honnête.

Thunder et moi avions failli nous étouffer lorsque Jordan, sa peau brune virant dans des couleurs extraordinaires semblait mourir sur place.

Il commence à se faire tard, je vous conseille d'aller dormir les enfants Prononça la voix de Marvin depuis l'étage.

Saturn aura bientôt vingt ans, Thunder a dix-sept et moi dix-huit ans.

Pourtant, même si Saturn possède son permis, que Thunder a complètement fini le lycée et moi déjà dans la vie active, Marvin s'obstinera toujours à nous appeler « les enfants ».

Le jeune garçon à ma droite semble ailleurs lorsque mon regard glisse involontairement sur lui. Ses yeux marrons étaient rivés sur ses chaussures et ses bras pendaient lâchement le long de son corps.

Relevant les yeux en direction de sa sœur, je remarque bien vite son absence au terrain de tir puis, déposant le casque anti bruit sur le bar derrière moi elle ne m'adresse qu'un rapide regard me faisant comprendre qu'elle part se coucher.

Le silence était revenu, mon ami et moi nous contentèrent de regarder dans le vide sans s'adresser un mot, seulement le bruit de la vie nocturne et les bribes de conversations enjouées des adultes à l'étage nous entouraient.

Entre lui et moi, le silence n'a jamais été signe de malaise, pour nous il était comme une parenthèse dans nos conversations, un moment pour repenser à nos rires passés, un sentiment de nostalgie un peu trop récent flottant dans l'air.

Quand le soleil se lèvera demain, nous avancerons lentement mais surement vers une vie normale.

Même si la mort nous suivra toujours.

Même si Saturn n'oubliera jamais Big Sister.

Bon, je vais aller me coucher. Bonne nuit. Chuchotais-je avant de me lever du tabouret de fer.

Thunder me fit un rapide signe de la main avant de baisser son regard en direction du sol de nouveau. Les jambes encore engourdies par ce début de soirée mouvementé, je trainais lentement mon corps vers les escaliers menant au rez de chaussée.

Grattant le haut de mon crane couvert de mon voile favori, une profonde fatigue m'envahit.

Mais celle-ci parti soudainement en fumée lorsqu'un coup de feu retentit à l'étage.