Chapitre I5 : De l'autre coté

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Le silence d'une tragédie vaut milles hurlements.




21H



        Loin de Washington et de ses belles bâtisses, un brouillard industriel s'était installé. Comme prit dans une scène apocalyptique, la pluie commençait à tomber et les déjections que provoquaient les voitures formaient une épaisse brume odorante.

Ce soir, le trafic n'était pas si perturbé, peut-être parce qu'ils étaient assez loin de la population, ou peut-être parce qu'ils arrivaient près d'un des plus grands bidonvilles de l'état.

Ces routes n'étaient pas très recommandées et encore moins en soirée. Pourtant, l'importance de ce déplacement est au-delà de la sécurité.

Un fourgon noir aux vitres teintées atteignit la zone délimitée par des barrières. La pluie s'écrasait maintenant sur la terre et le ciment, le fourgon roula quelques temps dans la boue avant de s'arrêter complètement.

La première portière coté conducteur s'ouvrit, un homme âgé d'une quarantaine d'années en sorti, un parapluie à la main. Puis suivit d'un autre, une arme accrochée à la jambe.

Des gardes du corps.

Et comme si le temps s'était suspendu, tous les employés arrêtèrent leurs ouvrages pour se concentrer sur l'arrivée de l'invité tant attendu.

Une dernière porte s'ouvrit, seule la pluie se faisait entendre.

Puis, tranchant avec la précarité et l'atmosphère du lieu, un escarpin onéreux posa pied hors du véhicule.

L'homme au parapluie s'empressa de l'ouvrir presque mécaniquement pour le poser au-dessus de la personne sortante.

Et d'un seul coup, tous les employés du chantier vinrent s'approcher de la voiture, certains abandonnèrent leurs machines, d'autres se placèrent en ligne comme envoutés par cette arrivée.

Une scène d'une allure horrifique, injuste prit place sous ses yeux.

Les sans-abris étaient tous entassés comme du vulgaire bétail aux abord de l'autoroute. Une équipe de nettoyage fut engagée pour vider la zone en attente d'un couteux projet de construction.

L'odeur de boue mêlée à celle des machines du chantier se répandait dans l'air comme un virus. Les habitants du lieu, contraints de se cacher dans leurs constructions précaires à cause de la pluie tremblaient à cause des basses températures qu'offrait cette soirée.

Et même en pleine nuit les employés du chantier tentaient de déplacer les habitants, avec violence et sans vergogne ils séparèrent les parents des enfants, détruisaient les bidonvilles et tentaient d'effrayer les plus persistants à coup de menaces et autres projets juridiques frauduleux. Pourtant, ils n'arrivaient pas à tous les faire fuir.

Mais elle, le pouvait.

Bonsoir madame, nous sommes vraiment désolés de vous déranger à une heure aussi tardive mais voyez-vous... L'équipe de construction a pris beaucoup de retard à cause de... Voyez-vous... Ce petit empêchement. Bafouilla le chef de chantier, peu sur de ses explications.

La femme face à lui ne pipa mot, le dévisageant d'un air impassible ses grands yeux bruns étaient plongés dans les siens, accentuant l'angoisse de l'homme.

Ses longues boucles brunes s'étirants dans son dos vêtu d'un long manteau de cuir flottaient au grès du vent tandis que ses bras couverts par des gants de la même matière se croisèrent sur sa poitrine.

Nous avons bien essayé de les faire partir mais certains persistent... Et si nous n'y arrivons pas d'ici une semaine nous seront contraint d'arrêter le proj-

Avez-vous tout essayé ?

D'une seule phrase, elle brisa le peu de confiance que l'homme possédait dans sa voix. Les deux grands gardes du corps les suivaient de près, l'un tenant le parapluie au-dessus de la tête de la femme et l'autre regardant rudement son interlocuteur, qui lui, était totalement mouillé par le torrent en cours.

Et bien...Nous avons menacé ces familles d'un procès qu'ils ne pourront jamais se payer, avons détruits quelques abris même si certains tentaient de se défendre. Nous avons même proposé à certains gang des alentours de dégager la zone mais...

Je vous demande pardon ?

Sous cette question le chef de chantier commença à sentir son cœur battre d'avantage, il sentait la peur l'assaillir.

Donc si je récapitule bien, vous avez décidé d'user de la violence pour faire fuir ces sans abris au lieu de proposer des aides adaptées comme des logements ?

Elle leva les yeux en direction de l'homme, qui, rendu pale par cette question, n'osait rétorquer.

Nous sommes tellement désolés ! Nous voulions commencer ce projet le plus rapidement possible comme nous savons que vous vouliez tellement ce centre commercial... Il se confondit en excuses peu sincères pendant que la femme fit quelques pas de plus.

Elle était maintenant très proche, et malgré sa taille, une aura de grandeur semblait s'émaner d'elle.

L'homme senti des sueurs froides perler le long de son crane, la pluie continuait de tomber sur lui tandis qu'elle, était protégée.

Dans le silence angoissant de cette scène, il croisa son regard, son souffle rompu.

Entourés d'une longues rangée de cils, deux points, semblables à des trous noirs qui engloutirait n'importe qui s'y plongeant étaient eux, entourés d'une iris brune, sombre.
La sclère les entourant semblait avoir doublée de volume donnant à son regard une allure de vipère au regard fendu.

Tel un serpent, son souffle vint ramper le long du cou de l'homme, apeuré.

Mais brisant le silence, elle éclata de rire.

Son rictus était large mais fermé, cachant ses dents. Ses yeux pourtant sources de cauchemars se plissèrent en une expression joyeuse contrastant totalement avec l'horreur du moment.

C'était une plaisanterie évidemment !

Ah... Oui ahah... Répondit l'homme, perdu.

Mais j'aimerais tout de même vous demander un service. Demanda-t'elle, tout en reprenant son expression impassible.

Les yeux de celle ci se posèrent sur les bidonvilles, où hommes, femmes et enfants se cachaient, tremblants en attendant la fin de l'averse. Pourtant cette fois-ci, son regard n'était pas rieur. Croisant par moment celui d'un enfant recroquevillé à l'extérieur d'une tente, elle les regardait du haut de ses escarpins couteux, puis, sans prêter attention à cette scène injuste la femme rangea ses mains dans les poches de son manteau.

Et tel un souffle brulant sur sa langue, sans hésitation elle ordonna ;



Brulez tout.



Et sans attendre, elle tourna les talons en direction du véhicule. Ses cheveux flottant encore dans le vent, elle avançait sans baisser les yeux.

Bien, rentrons au palais.

Tournant sa tête en direction de la fenêtre, elle vit des familles hurler, courir et se faire attraper bien vite par les travailleurs.

Les flammes commençaient à consumer leurs vies.

Le véhicule reparti, la culpabilité s'éloignant avec les kilomètres. Et encore une fois, la nuit était floue.

Déserté de toutes étoiles, le ciel ne restera qu'un sombre tableau taché par les erreurs des hommes.

𝐁𝐞𝐡𝐢𝐧𝐝 𝐌𝐲 𝐄𝐲𝐞𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant