Dans la tourmente du diable [Fabio Quartararo]

1. Tears for the devil

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Léna

« Cette saison, les circuits pouvaient s'apparenter aux enfers. Les enfers sont peuplés de démons, tous plus féroces les uns que les autres. Tous avec une envie de gagner et un talent que personne ne peut nier. Mais il n'y a qu'un seul maître qui peut régner sur les enfers et porter la couronne, au même titre qu'il n'y a qu'un seul pilote qui peut soulever la coupe à la fin de la saison. Et tout le monde sait qui est ce qui gouverne les enfers dans toutes les histoires du monde. Il ne peut y avoir que le Diable, pour gouverner un endroit pareil. C'est ainsi que le petit prince du Moto GP est devenu le Roi. »

Une larme roule sur ma joue lorsque ce souvenir accable mes pensées. Il semble bien loin, le temps où le Diable régnait sur la MotoGP. Il semble bien loin, le moment où Fabio Quartararo est devenu champion du Monde. Une larme de plus s'invite à la fête lorsque cela me rappelle qu'à cette période là, on se sentait invincible. Lui, invincible sur la moto. De mon côté, je nous croyais invincibles au sein de notre relation. Qui paraissait solide, pleine de promesses. Illusions.

J'allume une cigarette pendant que je continue de me ronger le cerveau, seule sur à côté de cette loge. Ça aussi, c'est nouveau.

« La Yamaha, moto magique lorsqu'elle est entre les mains d'un magicien » dit-on lorsqu'elle gagne. Mais que faire lorsque le magicien finit par ne plus croire en son talent ? Que faire lorsque la magie ne suffit plus pour compenser les faiblesses de la machine ? Et surtout, que faire face aux autres pilotes qui sont eux aussi magiciens, mais sur une moto déjà magique à elle toute seule ? Voilà la question à un million de dollars. Pourtant, on est déjà millionnaires ici, mais on ne parvient toujours pas à trouver de réponse et ce, depuis des mois.

J'ai longtemps pensé que si l'argent ne faisait pas entièrement le bonheur, il y contribuait fortement. Mais finalement ça aussi, ce n'est pas toujours vrai. Fabio est payé désormais 6 millions par an, tandis que mes petits 30 000 euros annuels viennent s'ajouter au budget du foyer andorran. Nous ne manquons pas du tout d'argent, en somme. Pourtant, ça serait se leurrer de dire que nous sommes heureux, car ce n'est plus le cas.

Fabio est devenu l'ombre de lui-même certains jours dans le paddock et dans le boxe. Et bien entendu, il entraîne ses proches dans l'ombre avec lui. Nous subissons les frais de ses sautes d'humeur et de sa perte de confiance, en lui comme en les membres de son équipe. Même Tom ne sait plus comment l'aider, lui qui semble avoir toujours eu les solutions pour le rebooster lorsque ça allait moins bien au fil des saisons. Seulement, à la fin de la journée, Tom s'en va dormir avec Mathilde ou tout seul. À la fin de la journée, lorsque le paddock ferme ses portes, il ne reste plus que moi aux côtés de Fabio. Et on ne peut pas dire que ce soit la partie de la journée que je préfère. Avant, c'était largement le cas : pouvoir passer du temps seule avec lui, profiter du fait qu'il s'ouvre un peu plus à moi que lorsque nous sommes entourés des autres membres de l'équipe...Avant, on avait l'habitude de regarder d'anciennes courses le samedi soir, où je m'endormais toujours avant lui. Parfois, il nous arrivait de ne pas manger avec les autres pour faire un dîner à deux et ainsi profiter un peu l'un de l'autre. Tous ces moments n'existent plus. Comme évaporés, partis en fumée en l'espace d'une saison.

C'est la saison dernière que tout a commencé à basculer. Pourtant, en surface, lorsqu'on regarde sa saison, rien n'est catastrophique. Vice-champion du Monde, 3 victoires et plusieurs fois sur le podium au cours de l'année...Mais tous ces résultats ne sont que la partie cachée de l'iceberg. La moto n'était jamais satisfaisante et ce, surtout en seconde partie de saison. Nous avons pourtant encore eu des moments incroyables comme la victoire à Barcelone et celle au Sachsenring juste après, mais il semblerait presque que les moments difficiles aient éclipsé tout ceci de nos mémoires respectives...