15. Asphyxia

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Fabio

Encore une course Sprint où je ne prends pas de points au championnat avec une médiocre 10ème place. En même temps en partant 15ème sur la grille, je ne vois pas trop à quoi j'aurais pu m'attendre de mieux. Je secoue la tête, me rendant compte que je suis trop pessimiste. Mais putain, comment être autrement avec cette moto ? J'ai envie de me taper la tête contre un mur pendant que je marche du boxe jusque'à mon motorhome. 10ème n'est pas une place catastrophique, mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas suffisant quand je sens que ce n'est pas mon pilotage qui pose problème mais les lacunes de la moto, conséquence d'une firme japonaise qui a décidé de se reposer sur les acquis des quinze dernières années.

Lorsque je rentre dans le camion et que j'enlève mon casque, je me retiens de ne pas le jeter par terre. Pendant que je me change, je prie pour que personne ne vienne me déranger. Je n'ai pas envie de voir Tom, car il n'y a rien qu'il puisse me dire qui va me remonter le moral. En plus de ça, je trouve qu'il agit bizarrement depuis qu'on est arrivé ici, comme s'il m'en voulait de quelque chose. J'ai encore moins envie de voir Lucia se pointer pour m'ordonner d'aller au media debrief. La seule personne que j'ai envie de voir est celle qui ne viendra justement pas ici. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Pendant des mois, elle s'est pointée ici, tantôt en me suggérant fortement de faire les debrief, tantôt en me suppliant parce qu'elle ne savait plus comment s'y prendre avec moi. Tout ces efforts de sa part pendant que moi, je faisais comme si je ne l'entendais pas. Comme si je m'en foutais, et comme si elle allait rester à faire ça pour moi toute ma vie. Comme si ça ne la faisait pas souffrir.

L'adage qui dit que tu te rends compte de la valeur des choses lorsque tu les as perdu est réel. J'avais envie de l'envoyer chier parce que j'avais l'impression qu'elle ne me comprenait pas quand je ne voulais pas aller en interview, mais je ne me rendais pas compte à côté qu'elle ne faisait qu'essayer de m'épauler. Maintenant que je sais qu'elle ne viendra pas, même nos disputes à propos des media debrief me manquent. J'en deviens ridicule.

Bien entendu, quelqu'un finit par toquer à la porte au bout de 20 minutes. J'entends la voix de Lucia qui me demande si elle peut entrer. Mon esprit ne peut s'empêcher de la comparer à Léna, songeant qu'elle n'aurait pas pris la peine de toquer, ayant l'habitude de rentrer comme dans un moulin. J'en viens presque à rire lorsque je me souviens qu'elle faisait ça avant même qu'on soit ensemble. C'est ce côté là d'elle qui m'a plus, parce qu'elle ne me ménageait pas et que j'aime ça. Ou plutôt, j'aimais ça, parce que je n'ai plus que mes souvenirs pour pleurer. Un break. C'est ce que tout le monde dit avant de se séparer pour de bon. Étant donné qu'on est marié, le fait de divorcer aurait été trop long et compliqué à mettre en place en pleine saison. Mais je ne me fourvoie pas, Léna va sans doute me remettre son foutu papier sous le nez pendant la trêve hivernale.

Des coups à la porte plus violents me ramènent sur Terre. Je crois que mon attachée de presse de substitution s'impatiente un peu trop. Je finis par aller lui ouvrir et elle se met à me faire un sermon de je ne sais combien de minutes concernant mon comportement qui n'est soit disant pas professionnel. La pauvre ne se rend pas compte que je n'écoute pas un mot de ce qu'elle raconte. Ce week-end n'est vraiment pas un week-end propice pour travailler avec moi. Venir ici en étant célibataire pour la première fois depuis 2 ans ne me réussit par particulièrement, et les performances médiocres de ma M1 n'aide certainement pas à améliorer mon humeur.

- Je sais que tu as l'habitude de te comporter comme ça depuis des années, mais je ne suis pas Léna. Si elle se laissait marcher dessus c'est son problème, mais personnellement j'aimerais garder mon job, donc tu vas faire en sorte de coopérer, elle finit par cracher et j'en sursaute presque.

Je me demande si elle est suicidaire à premièrement me parler sur ce ton et deuxièmement en mentionnant Léna alors qu'elle est parfaitement au courant de la situation. Je tente de me calmer pour ne pas voir flou sous la colère qui monte dans mon sang.

Dans la tourmente du diable [Fabio Quartararo]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant