Ne m'entrave pas - T.1 J&S (bxb)

01. Transaction

Sameo.

Mes yeux se ferment, préférant m'absoudre du regard pénétrant de mon reflet dans le miroir. Je n'ai pas l'habitude d'être apprêté de la sorte. Des tissus précieux recouvrent mon corps, me donnant l'illusion de mériter subitement bien plus que ce que représente ma vie aux yeux de tous ces autres qui avaient rendu ma vie si solitaire jusqu'à présent. Même les autres loups omegas, en apprenant mon départ futur, avaient esquissé un sourire satisfait. La vie serait plus belle une fois que j'aurai quitté les terres de la meute pour mon nouveau foyer. Je suis synonyme d'argent remplissant les caisses de notre famille, améliorant le quotidien de tous par la même occasion, même de ceux positionnés au plus bas dans la hiérarchie. Un juste retour des choses selon eux, puisque j'avais été globalement mieux choyé jusqu'ici, pour qu'il ne m'arrive rien qui aurait pu me faire perdre de ma valeur. On m'avait protégé des besoins de la meute, et lors de mes premières chaleurs, on m'avait enfermé pour que rien de "fâcheux" ne se produise. Mon corps, comme tous ceux des omegas, était différent de ceux des mâles bêta ou alpha, me permettant de porter la progéniture de l'un d'eux. C'était sensé être un honneur d'être le réceptacle des futures générations... si tant est que l'on puisse nous protéger en retour. Ca aurait du l'être... mais mes iris avaient déjà parcouru trop de lignes d'histoires dérobées à la bibliothèque de l'alpha, pour me permettre encore d'ignorer que mon destin est véritablement déprimant. 

Et injuste surtout. 

L'alpha m'avait fait éduquer dès mon plus jeune âge, donnant l'illusion à tous que j'étais plus important qu'un omega lambda, parce que ma mère était une bonne reproductrice, et que j'étais le produit d'un alpha. Mais il ne l'avait fait que pour accroître ma valeur, satisfaire n'importe quel futur acheteur de ma personne, ouvrir les opportunités de vente, quel que soit le sort que l'on pourrait me réserver. Je ne le sais que trop bien. Ce père... ne l'a jamais été. Je ne suis qu'une possession à ses yeux. Une possession qu'il venait tout simplement de vendre sans même me consulter, parce qu'un animal ou un objet n'a pas son mot à dire. Et je ne suis que cela au sein de la meute Hohbuhn. Un objet qui va, bien trop vite à mon goût, changer de propriétaire.

Sous un soupir, j'ouvre les yeux et repose un regard critique sur ma silhouette, tournant la tête sur le côté pour observer ma chevelure que l'on avait nouée en une coiffure compliquée. Je sais, parce qu'on m'avait appris à rendre mes gestes plus sensuels, suffisamment étudiés pour sembler naturels, que le retrait d'une simple épingle suffira à dénouer ma coiffure, offrant le spectacle d'une cascade sanguinolente sur mes épaules. Epaules que je sens terriblement tendues. Je suis inquiet... on le serait à moins. Car personne n'a pris la peine de m'expliquer vers quoi tendra mon existence une fois que j'aurai quitté les murs de cette demeure. J'ignore tout de mon acquéreur, de la meute que je vais rejoindre, de ma future condition. L'alpha est juste tout simplement heureux de la transaction à venir, c'est l'évidence même. L'accord semble être plus rentable qu'il l'avait pensé initialement, au point où mon géniteur se plaisait à réfléchir avec ses bêtas les plus proches, de l'avenir de cet investissement qui se devait d'être parfait. 

Ce n'est pas tous les jours qu'un omega aurait une véritable utilité pour sa meute, et je devrais m'en réjouir selon lui. Une moue étire mes lèvres dubitatives à cette pensée que je ne partage pas. Je devrais me réjouir de changer de propriétaire ? De me voir offrir à quelqu'un dont j'ignore tout ? Peut-être que la meute en question est également violente, et cette simple idée me rend nauséeux. Sans nous, les omegas, la reproduction lupine serait en péril, mais pas un loup n'irait nous accorder plus d'importance pour autant, tant nous sommes faibles à tout point de vue, incapables de faire autre chose que de nous soumettre à leur volonté. L'aura écrasante de l'alpha aurait eu raison du moindre de mes mouvements, après tout.