03. Le cadeau

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Julius.

Je pénètre à l'intérieur de l'énorme bâtisse qu'est la demeure de notre famille, de notre clan, d'un pas nonchalant et traînant. Je me moque de l'effervescence que mon retour provoque en son sein. Nul doute que déjà les domestiques se hâtent d'aller prévenir ma mère et ma sœur que je suis enfin rentré après mon interminable voyage "d'affaires de clans". Bien évidemment, il ne fait aucun doute qu'ils l'avaient appris avant même que je ne passe ces portes. C'était l'évidence même, le sommet royal s'était terminé depuis quelques jours, et le temps du trajet n'avait été que la durée nécessaire à me voir réapparaître. 

Le monde avait changé, évolué, lors des derniers siècles, s'élevant de la moisissure puante dans laquelle se baignait la race humaine, pour s'ouvrir à la science et aux nouvelles technologies. Je n'étais pas assez vieux pour pour avoir connu des millénaires, mais j'avais atteint les trois siècles malgré tout. Des siècles qui avaient été le témoin de la disparition de mon père, puis plus récemment de mon frère aîné sur lequel je comptais implicitement pour procréer un héritier à notre famille avec l'un.e des omegas ayant partagé son existence au fil du temps. Mais le destin l'en avait empêché, ne lui permettant d'enfanter que des filles. Et dans notre race... les filles sont immanquablement stériles. Altaïr avait peu à peu sombré dans une rage assassine et meurtrière, tuant avec acharnement l'omega coupable à ses yeux, ainsi que le nouveau né féminin, au plus grand damne des nôtres. Il avait fini par mettre fin à ses jours sous une crise de trop. Ne laissant derrière lui qu'un marasme détonnant, et une fille survivante qui m'avait regardé d'un air désespéré et si triste que la lassitude était venue m'étreindre, tandis que ma main se posait sobrement sur son épaule. Mais les siècles avaient dévorés les dernières bribes de la raison de mon aîné et j'avais bien été incapable de l'empêcher de se noyer dans une folie assassine qui s'était retournée contre lui-même.

Peut-être notre famille était-elle destinée à s'éteindre, tout simplement ? Je l'ignorais, et cela semblait rebuter le conseil, sans oublier que notre lignée toute entière se révolterait de cette intolérable fatalité. Pourtant, nous ne sommes pas fait pour vivre éternellement, contrairement aux possibilités de notre race. Plus le temps s'égrène, et plus nous perdons goût pour ce qui pourrait ravir le commun des mortels. Ces humains qu'il m'arrive d'observer avec la fascination d'un être scrutant une fourmilière dont il pourrait faire disparaître l'un de ses membres de la pulpe de l'un de ses doigts. Ces humains... semblent bien plus heureux que nos semblables lorsque l'éternité en vient à se faire trop longue pour l'âme emprisonnée dans sa carcasse immuable.

Pénétrant dans l'imposant salon à l'apparat trop épuré que la lune transperce de son éclat argenté, rendant la scène plus abyssale encore sous l'aura de l'imposante baie vitrée, je jette, plus que je ne le pose, mon ample manteau sur l'un des fauteuils, tout en me dirigeant vers le bar trônant dans un coin de la pièce pour me servir un verre d'alcool. J'y trempe mes lèvres presque immédiatement, savourant la saveur âpre sur mes papilles qui ont encore la perception du goût savoureux de l'ambroisie dont je m'étais repu, à même la veine d'un esclave humain, un peu plus tôt dans la nuit. Mais je suis lasse, comme bien souvent, d'avoir hérité de la gestion du domaine affilié à ma famille, suite à la disparition de mon frère, ainsi que de toutes ces responsabilités qui me hérissent au plus haut point rien que d'y penser. 

La porte choisit précisément cet instant pour se voir ouvrir d'un geste brusque, qui pousse le battant à claquer avec fracas sans remord. Un claquement de langue agacé répond aux deux silhouettes qui viennent d'entrer, sans me permettre d'imaginer me reposer un instant loin de l'agitation qui faisait vibrer toute la royauté vampirique, et qui m'avait poussé à devoir me rendre dans un autre pays pour ce sommet dérisoire. J'avais entendu les préoccupations de mes comparses, nous qui devions veiller à nous fournir régulièrement en omega pour renouveler nos rangs, avant que la maladie des siècles ne nous épurent jusqu'au dernier. Il en allait de la survie de notre espèce toute entière. Mais l'heure n'est déjà plus à ces préoccupations qui me semblent dérisoires, brusquement.

Ne m'entrave pas - T.1 J&S  (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant