24. Perdu

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Sameo.

La première chose qui me choque alors que je papillonne difficilement des yeux, que je sens comme mes bras ankylosés, c'est l'odeur qui me prend au nez. La forêt, les loups, le vampire, les animaux, les perles de rosée. C'est une multitude de parfums qui me donnent le tournis alors que je relève difficilement le nez de la mousse humide sur laquelle je réalise que mon visage est posé. Mais je ne comprends pas, j'ai encore le goût de sa peau sur ma langue, et je sais que je n'ai rien imaginé, ma gorge me tire là où il m'a mordu une nouvelle fois. Je cherche à comprendre, à réaliser, et mes oreilles sont attirées par l'échange de paroles qui se produit un peu plus loin. 

- ... compter sur le fait que vous êtes satisfait. Il n'a pas été plus abîmé qu'une ou deux morsures. 

- Et l'outrage ? Le vol ? L'attaque ? Les morts ? Qu'est-ce qui va rembourser tout ça ? tonne la voix de mon père qui ne me porte pas un regard.

- Nous sommes disposés à vous fournir une compensation financière, cela va sans dire.

L'argent. Je sais que mon père n'y est pas indifférent, mais j'ignore ce qui motive leurs actes, leur volonté à vouloir me retrouver, me récupérer. Je n'ai pas tant d'importance que ça. Juste monnayable mais j'ai surtout mal à cette seconde, parce que cela veut dire que Julius a décidé de me rendre, alors que cela me dévore de l'intérieur. Je ne pourrai pas vivre sans lui, j'en suis persuadé, et je désespère que cela soit son cas. A moins qu'il ne m'ait pas cru, ou qu'il n'apprécie pas l'obsession qu'il nourrit à mon encontre. Je sais qu'il la ressent, parce qu'il me l'a avouée. Sa présence me manque et je me sens perdu, au milieu de ces bois, parmi ces loups que je ne veux pas retrouver. Ma place n'est pas parmi eux, et ne le sera plus jamais. Pas ainsi. 

Je tremble, immobile, et me décide à me transformer rapidement. Dans la foulée, je constate que l'anneau à ma cheville n'est plus là. Il m'a réellement chassé. Non ! Julius ! Tu n'as pas le droit espère d'enfoiré de moustique ! Je dois te faire changer d'avis ! Je dois y retourner ! Sous ma nouvelle forme, je rampe lentement, prêt à m'élancer lorsqu'une poigne m'attrape par la nuque, et que je me retourne, tous crocs dehors, cherchant à croquer l'impertinent qui me retient et m'empêche de rejoindre mon âme sœur. Ma mâchoire claque dans le vide, et je grogne, sous le regard amusé du premier bêta de mon père. 

- Mais c'est qu'il a appris à mordre chez les vampires. se moque-t-il pour attirer l'attention de mon paternel, dont le regard est froid, implacable, discernant un problème qu'il réglera plus tard.

- Vous avez abîmé notre oméga. reprend-il à l'adresse de l'autre.

- T'as même pas trouvé le moyen de te faire baiser par les canines. murmure celui qui me tient, et qui me renifle sans honte. Pourtant tu pues le sexe. C'est si bon que ça d'être une pute à vampire ?

Je m'énerve sous ses paroles, je ne suis pas... non ! Je ne le suis pas ! Julius ne m'a jamais contraint à rien. Julius. Je tente de me libérer de la poigne brutale, me débat, et il s'agace. D'un coup, c'est le noir qui m'avale.

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J'ai... mal à la tête lorsque je réouvre les yeux. J'ai repris forme humaine et je sens la pierre sous moi, la paille qui me gratte le derme sous la nudité que j'arbore. J'entends un hurlement lointain qui me fait dresser les oreilles, me pousse à me redresser vivement pour regarder autour de moi. Je sais où je suis... dans les cellules d'une meute. Pas la mienne. Mais les odeurs sont à la fois différentes et familières. J'entends la chaîne qui pend à ma gorge, le collier étrangleur qui s'y trouve, fardé d'anneau d'argent qui me brûleront si j'agis sans réfléchir. Et puis je le sens, lui, le loup qui se trouve dans un coin de la pièce, tandis que j'éternue une fois. Je n'aime pas ce qu'il sent, ce mélange de sang séché et de sang frais, mais il m'adresse un sourire, comme s'il voulait me rassurer alors qu'il a l'air plus dangereux encore. 

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Ma voix ne lui ressemble pas, elle est rocailleuse et je me râcle la gorge pour tenter de l'éclaircir.

- Je suis où ? Et vous êtes qui ?

- Dans ma meute.

Un alpha. Je suis face à un alpha. Comment ne m'en suis-je pas encore rendu compte ? Est-ce qu'il est celui à qui j'aurais du être vendu initialement ? Est-ce que la transaction s'est terminée ? Est-ce que... Je ne veux pas qu'il me touche ! Je m'y refuse ! Et je recule d'un mouvement, cherchant à mettre plus de distance entre lui et moi. Ce ne sont pas mes chaleurs, j'ai encore du temps, mais je connais la perversité des loups, je l'ai vu s'abattre jour après jour sur ma mère, puis sur les autres omégas. Mais même si on m'a élevé pour trouver tout cela normal, je sais que ça ne l'est pas. Je sais que je ne souhaite plus que Julius. Si nous étions déjà liés, je pourrais lui transmettre chacune de mes émotions, le supplier de venir me sauver, mais il s'en moque sûrement. 

- Les vampires m'ont rendu ?

Ma voix se nimbe d'une forme de déception douloureuse qui n'échappe pas à mon vis-à-vis. Mais c'est une question qui ne mérite pas vraiment de réponse, puisque je l'ai entendu dans la forêt. Ils ont répondu à la demande des loups. Un cri transperce à nouveau son absence de réponse, et je tourne les yeux vers mes barreaux, vers l'endroit d'où vient la douleur palpable dans le timbre. Pourtant, lorsque je perçois un infime bruit symbole d'un mouvement, je braque mon regard sur l'alpha qui s'est redressé et me regarde avec attention. Lui, ne m'a jamais quitté des yeux. Lui, est le véritable danger qui rôde dans cette pièce. Pour l'instant du moins.

- Bien sûr qu'ils t'ont rendu, ils ne sont pas idiots. Enfin, pas totalement.

Un autre cri me fait sursauter, mais je ne fixe que l'alpha que j'ai devant les yeux. Il s'approche, et je ne peux plus reculer sans m'étrangler, sans sentir la morsure de l'argent sur ma peau. Et c'est beaucoup plus douloureux et désagréable que les crocs de mon âme sœur. Il s'accroupit pour croiser mon regard, tendre la main qui caresse doucement ma joue et finalement agrippe férocement mes cheveux. Il m'arrache un couinement, mais je ne baisse pas les yeux.

- Ils t'ont donné de mauvaises habitudes à ce que je vois, mais qu'importe, puisque tu vas nous dire tout ce qu'ils t'ont appris sur eux. 

Je fronce les sourcils, déterminé à ne rien dire. 

- Non ? Tu changeras d'avis.

Un autre cri transpirant d'une douleur sans nom qui me fait frissonner.

- Ecoute la sangsue chanter. Bientôt ce sera ton tour.

- Je suis toujours fécond. que je souffle, lui arrachant un rire amusé.

- Tu crois qu'on ne peut pas se montrer créatif tout en t'utilisant pour la reproduction ? Il me lâche, se redresse. Habitue toi à tes nouveaux quartiers, une pute à vampires ne mérite rien de mieux.

- Je ne...

- Non. C'est vrai, je le sens. Tu n'as pas été baisé à proprement parler, mais tu leur es loyaux.

- Non, je...

- Non ? En ce cas, fais ton travail, oméga. Viens donc entre mes cuisses. Cajole ma queue et dis-moi tout ce que tu sais sur eux.

Il me voit pâlir subitement alors qu'il me teste ouvertement, me donne une chance de quitter cette geôle si j'accepte de devenir ce pour quoi j'ai été élevé, si je lui révèle tout ce qui pourrait faire du mal à Julius. Je pourrais mentir, lui raconter des mensonges, mais il le sentirait sûrement. Et rien que l'idée de le toucher me révulse. Ainsi, je détourne la tête sur le côté pour lui signifier mon refus, et il ricane. A croire que...

- Tu vas être amusant à dresser.

Ne m'entrave pas - T.1 J&S  (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant