13. Entraves

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Julius.

Je rentre à mes appartements un peu plus tard que l'aube, ayant travaillé tout le reste de la journée et la nuit entière. Mes nerfs avaient été usés jusqu'à la corde, et j'avais bien eu besoin de ça pour obtenir ce voile de fatigue sur ma personne, celle qui me permettra de m'endormir pour quelques heures. Inutile de me chercher un autre lieu où m'échoir, je me doute que Lyes n'a pas ramené l'oméga dans ma chambre. Jalousie perceptible qui l'avait guidé à revenir me trouver un peu plus tôt, lèvres contre lèvres, peau contre peau, mais je l'avais une nouvelle fois chassé. J'étais lasse de toutes ces entraves que ma condition m'oblige à subir, et Lyes, involontairement, me paraissait être la personne que j'avais alors le moins envie de voir. Parce qu'il ne supporte pas l'idée que je puisse garder le loup à mes côtés s'il parvient à m'atteindre. A présent, pourtant, alors que je déboutonne ma chemise, sa présence me manque et j'hésite à l'appeler pour le faire venir, pour goûter une nouvelle fois à ses lèvres et me perdre entre ses cuisses. 

En toute honnêteté, je tiens à lui, il est ma lueur dans cette obscurité, même si elle perd peu à peu en substance à mesure que le temps passe, qu'Altaïr nous a quitté, et que les devoirs m'oppressent pour le bien des miens. Un soupir m'échappe, alors que je perçois encore la fragrance du petit loup qui flotte dans l'air. La pièce a été nettoyée, les draps ont été changés. Wail, très certainement. Mon majordome est loyal et efficace, d'autant plus parce qu'il a toujours pu récupérer les miettes qui m'étaient inutiles. C'est mon frère qui l'a créé, et avant d'être à mes côtés, il était déjà aux siens, déjà à récupérer ses miettes une fois qu'Altaïr se lassait. Il n'a jamais été bien difficile, une chair reste une chair. Parfois, j'aimerais être moins compliqué, moins noyé par ce désir qui a besoin de naître autre part qu'à mon entrejambe avant d'y exister. Ma famille en serait également heureuse, ma lignée aussi. Tous craignent que je perde stupidement la vie avant de leur permettre de survivre un peu plus longtemps. 

Je dépose ma chemise avec indifférence. Elle disparaîtra plus tard. Ma silhouette m'observe dans le miroir, ces yeux d'un vert étrange qui ne sont l'attribut que de ma sœur et moi ; hasard de la génétique héritée sûrement de l'entrelacement de ceux de la créature nous ayant mise au monde et de notre père. Celle que j'appelle mère n'en a que le nom, après tout. Incapable de m'enfanter, elle m'a pourtant élevé. Tout comme Lyes élèvera à mes côtés l'enfant que je pourrai produire, si tant est que cela se produira. Les omégas ne restent jamais, ils ne bénéficient pas de ce traitement de faveur. Ils sont périssables, leurs existences n'ont, après tout, rien d'éternelles, et s'éteignent au même rythme que celles des humains. 

Bien sûr, il existe des légendes, mais si peu confirmées qu'elles ne sont plus que ça. L'espoir détruira les concernés avant de voir une telle chose se produire, d'autant qu'elle n'aurait aucun intérêt. Et mon esprit s'en détourne naturellement, au profit d'une autre réalité : j'ai faim. L'envie de sang se fait ténue mais présente. La lassitude est mon fléau, j'en oublie parfois de m'alimenter. Je rebrousse chemin vers la porte de ma chambre, pénètre dans mon salon et je l'entends... lui et ses gémissements. Sameo. Mon regard se tourne vers sa porte, celle qui nous relie l'un à l'autre. Lyes l'a laissé là et je n'y avais pas fait attention jusque-là, mais mes sens se sont éveillés au profit de ma faim sortie de sa léthargie. 

Ma langue claque contre mon palais après une courte hésitation. Les sons que je perçois n'ont rien de plaisant, ils semblent même exprimer une douleur sourde. Aussi, je m'approche de cette porte que j'ouvre, et me heurte à son parfum. Il est doux, sucré, désirable, entêtant. C'est pour cela qu'il flottait déjà avant, il est plus puissant que d'ordinaire. Il embrase ma faim, appétit brûlant pour le sang de cet être qui semble souffrir. Et là je comprends, il est en chaleur. Les quelques pas que j'ai fait sans m'en rendre compte dans la pièce s'interrompent, et je vais pour faire demi-tour lorsque son timbre s'élève, que sa main s'empare de mes doigts. 

- Julius... gémit-il comme une supplique. S'il te plaît... même si... tu... hum... reste... garde-moi... contre toi.

Je ne lui dois rien, et si je reste, je vais le mordre. Je le sais. J'étais déjà si proche sans même réellement le réaliser. Son sang m'appelle comme un phare en pleine nuit sous la fragrance qu'il exhale pour séduire de potentiels partenaires. Je soupire.

- C'est une mauvaise idée.

- S'il te plaît...

- Je vais te mordre.

- Hum... d'accord...

Je relève le menton comme pour mettre de la distance entre son être et le mien, cette odeur qui me semble plus délicieuse qu'aucune autre, de ce contact de ses doigts qui brûlent les miens. Je cherche à lutter contre cette pulsion purement primaire. Des secondes. Sûrement guère plus. Pas même une minute. Et je grogne contre ma propre faiblesse alors que je me libère de son emprise pour glisser mes bras sous ses genoux et derrière son dos, l'extrayant de ses draps. Il lève ses bras, vient nouer ses mains derrière ma nuque et love son visage brûlant contre mon torse nu. La sensation m'électrise étrangement et provoque un frisson oscillant entre l'agréable et son contraire. Rapidement, je l'entraîne jusque dans cette chambre où il a passé trop d'heures à son goût et le dépose sur le lit. Je suis le mouvement, car il ne me lâche pas, et je m'allonge à ses côtés. La faim me dévore comme elle ne l'a plus fait depuis si longtemps, que je ne tarde pas à venir humer sa gorge, l'effleurant du bout de mes lèvres. Il s'arc-boute contre moi, non pour me repousser, mais pour m'attirer, résister à l'idée que je puisse encore lutter. 

Sans hésiter, sans résister, mes crocs s'enfoncent dans son derme et il gémit d'un plaisir délicieux qui exergue d'autant plus mon appétit. Mais plus encore, c'est la saveur de son sang qui me fait dériver plus haut, plus loin, tandis que je m'agrippe à sa silhouette qui épouse à présent parfaitement la mienne. Je n'ai jamais rien goûté d'aussi délicieux, rassasiant. Nectar précieux me faisant écho de l'ambroisie des dieux. Je m'abreuve et il gémit d'un plaisir comparable au mien. Je perçois sa beauté, celle de son âme dont les murmures se déversent dans la mienne. Mon bas-ventre s'éveille, trahissant un autre besoin que je ne destine depuis des décennies qu'à Lyes. Mon coeur tambourine en écho du sien, s'y accordant avec ténacité, tandis qu'il se frotte contre moi. 

Plus rien ne semble aller, alors j'arrête de m'abreuver rapidement et m'extirpe vivement du lit partagé. J'ai encore le goût de son sang sur ma langue, l'envie de lui qui tend le tissu que je porte. Mon souffle est court, mon regard est embrumé par le désir de le voir ainsi alangui sur mon lit, n'attendant plus que la seconde étape, alors qu'un orgasme l'a déjà saisi tandis que je m'abreuvais. Je lutte contre ce besoin de retourner contre lui, de l'étreindre, de répondre positivement à ce que tout le monde espère.

Je secoue la tête de gauche à droite pour m'extirper de ce mauvais sort que cette créature m'a jeté. Parce qu'il ne peut s'agir d'autre chose, j'en suis certain. Comment, sinon... 

- Julius... soupire-t-il, m'appelle-t-il, et je sens mon corps faire un pas dans sa direction. 

NON ! Je me force à pivoter, à quitter ma chambre, mes appartements... car c'est encore trop près. Sans hésiter, je sais où je dois me rendre, chemin connu, parfum qui termine de m'indiquer la direction alors que j'avance presque à tâtons. L'oméga reste dans ma tête comme une obsession qui m'appelle, mais c'est la porte de Lyes que je pousse sans hésiter, embrumé dans le désir pour un autre.

- Jul...

Lui, dont je percute les lèvres des miennes. Lui, dont les lippes répondent aux miennes, dont les mains s'empressent de déboutonner mon dernier vêtement. Lui, dont je fais tomber le bas du sien. Lui, que je soulève et plaque contre un mur, pour venir me perdre en lui. Mon emprise est brutale, mon bassin impose le rythme, mes lèvres dévorent sa gorge. Mais alors que je déverse la satisfaction d'un besoin primaire en lui, c'est à un regard rougeâtre chargé d'un désir lupin que mon esprit s'agrippe. Comme si c'était cet autre que je prenais contre ce mur. Lui... Pardon, Lyes.

Ne m'entrave pas - T.1 J&S  (bxb)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant