Un peu groggy, Kahu se réveilla en sentant un mouvement inhabituel près de lui. Les tentacules de Malaki l'entouraient aussi étroitement que d'ordinaire, formant un cocon dans lequel il adorait se lover, mais il y avait aussi une main accrochée à la sienne et il lui fallut quelques secondes avant de comprendre pourquoi le nombre de membres ne correspondait pas. Malaki était en train de se réveiller aussi mais le plus important était le regard trop pâle que Kahu croisa en clignant des yeux. Les yeux qui le fixaient ne semblaient pas le voir très bien, mais ils étaient ouverts et, plus importants, ils étaient conscients.
Tout doucement, le soigneur se redressa et sentit son cœur se serrer en découvrant leur position. C'était déjà la deuxième nuit que Malaki et lui passaient dans le bassin dans l'espoir de rassurer leur petite sirène et lui apporter la sensation d'une présence sûre et familière, et jusque-là ça n'avait rien changé. Mais ce matin, Kahu pouvait voir que ça avait quand même fonctionné au-delà de ses espérances. Leur blessé était désormais blotti tout contre lui, accroché à sa main comme à une ancre, dans l'étreinte protectrice des dix bras de Malaki. Il avait toujours l'air terriblement épuisé et affaibli, mais il avait repris connaissance.
— Bon retour parmi les vivants, sourit Kahu en serrant doucement sa main dans la sienne. Est-ce que tu me comprends ?
En se basant sur le fait que la sirène avait été retrouvée captive sur la côte ouest du Mexique, il avait tenté la langue sirène du Pacifique et il fut soulagé de lire un éclat de reconnaissance dans les yeux ternes et effrayés qui le fixaient.
— O... oui. Où... suis-je ?
— En sécurité au parc Odysseis, dans les îles Salomon. Je m'appelle Kahu, et lui c'est Malaki, mon compagnon. Nous sommes des sauveteurs et des soigneurs, comme tout le monde ici. Sauf que les autres sont humains. Nous allons veiller sur toi et t'aider à guérir, tout ira bien à présent. C'est promis.
C'était peut-être un peu beaucoup d'informations mais ces yeux décolorés clignèrent lentement en signe de compréhension alors que Malaki se redressait aussi.
— Quel est ton nom ? demanda-t-il gentiment dans un pacifien impeccable. D'où viens-tu ?
— O... Oshady. Je m'appelle Oshady. Je viens de... d'un banc près d'Hawai'i.
— Eh bien Oshady, sois le bienvenu à Odysseis. Tu vas rester ici un moment, le temps de bien guérir, et nous allons faire notre possible pour prévenir ton banc.
Mais avant ça, Kahu s'était suffisamment réveillé pour reprendre sa casquette de soigneur et il lui posa gentiment toutes les questions nécessaires à déterminer son état. Aidé de Malaki, ils inspectèrent ses blessures en lui demandant où est-ce qu'il avait le plus mal, et il eut l'impression qu'il allait s'envoler de soulagement lorsqu'ils eurent fini leur diagnostic.
— On dirait bien que tu vas t'en sortir, remarqua-t-il avec un clin d'œil complice. Nous allons te donner un traitement pour soigner ta queue mais tu vas surtout te reposer, manger et nager. Les premiers jours, tu vas devoir rester dans ce bassin dont l'eau est stérile, le temps que la vilaine nécrose près de ta caudale se résorbe. Mais ensuite, nous allons te transférer dans le bassin hôpital qui est genre... vingt fois plus grand. Est-ce que tu aimes les dauphins ?
Un émerveillement enfantin passa sur le visage creux d'Oshady et Kahu rit doucement en se retenant de lui ébouriffer les cheveux.
— J'adore les dauphins ! Ça fait si longtemps que je n'en ai pas vu !
— Eh bien tu vas partager le bassin avec eux, nous avons une maman avec ses deux petits qui sera heureuse de te rencontrer. En attendant, Malaki et moi nous allons sortir d'ici pour remplir ton dossier, parler avec nos collègues et t'apporter le petit déjeuner.
Se déplier pour sortir du bassin fut un peu compliqué et la transformation lui tira une grimace, autant qu'un grognement de douleur chez Malaki alors qu'Oshady les regardait avec de grands yeux. Ce pauvre garçon était encore si jeune, presque un adolescent, mais Kahu était prêt à parier qu'il était bien plus solide qu'il en avait l'air et qu'il allait bien s'en remettre.
Noa arriva alors qu'ils terminaient de s'habiller, accompagné de Caden et Céleste qui composaient l'équipe du matin. Rapidement, Kahu leur fit un résumé de ce qu'ils venaient d'apprendre, puis il présenta tout le monde à Oshady avant de quitter la nursery avec Malaki pour aller chercher le petit déjeuner.
En chemin, ils s'arrêtèrent à l'Étoile des Mers où Monsieur Gim et son compagnon prenaient le leur, et Kahu leur annonça en souriant que la sirène s'était enfin réveillée, qu'elle pouvait parler, et qu'elle s'en sortirait. Si le démon se contenta d'un sourire discrètement soulagé, le vampire parut se déplier comme une fleur au soleil, comme si un chœur céleste venait de lui chanter dans les oreilles.
— Vous pourrez lui rendre visite cet après-midi, offrit-il.
Il ne savait pas si Oshady se souvenait de ceux qui étaient venus à son secours, mais cela ne ferait pas de mal de lui amener du monde avec de bonnes intentions. Même s'il était déjà bien entouré, avec une équipe plus que compétente. Le petit déjeuner, surtout, lui redonna aussi quelques couleurs et ils le laissèrent sur la promesse de revenir à la tombée de la nuit.
— Je crois que je ferais bien la sieste d'ici là, marmonna Kahu avec un bâillement. Ce n'est pas que le bassin de la nursery est inconfortable mais...
— Mais ça ne vaut pas notre lit, rit Malaki. Nous devons d'abord passer voir les requins puis Eliakim, mais ensuite nous aurons un bon moment devant nous pour dormir un peu en attendant ce soir.
Kahu adorait la manière dont il disait «notre lit» et il l'embrassa sur la joue avant de se redresser parce qu'ils avaient effectivement du travail. Et même s'il adorait faire tout ce qu'il faisait, il fut vraiment content de passer enfin la porte de son appartement, Malaki sur les talons.
— Lit ou bassin ? demanda-t-il.
— Bassin. J'ai besoin de me dégourdir les bras.
— Vendu.
Un chemin de vêtements abandonnés marqua leurs pas alors qu'ils se dirigeaient vers le bassin pour y plonger. Enfin, se laisser tomber dans le cas de Kahu. Mais au lieu de changer, il se contenta de nager comme un humain avant d'aller s'allonger sur la petite plage, à moitié dans l'eau et à moitié à la surface. Sans hésiter, Malaki s'étendit tout près de lui et Kahu roula pour s'étaler dans ses bras, appréciant la façon dont ses tentacules s'enroulèrent doucement autour de ses jambes.
— Merci d'être resté avec moi cette nuit encore, chuchota-t-il en venant l'embrasser sur le bout du nez. Je pense que ça a fait beaucoup de bien à Oshady, de ne pas être seul. Mais surtout... j'aime pouvoir me blottir contre toi et me reposer sur ta force et ta douceur. Je crois que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée, de toute ma vie.
Avec l'impression que son cœur était sur le point de s'envoler, il lui caressa la joue et repoussa une mèche de ses cheveux pour couvrir son visage de baisers, les bras solides de Malaki refermés autour de sa taille.
— Non, en fait je suis sûr que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. Tu es doux, merveilleux, et beau à en sombrer nageoires par-dessus tête. Je suis complètement, définitivement amoureux de toi.
C'était la première fois qu'il le disait à voix haute, mais certainement pas la première fois qu'il le pensait. Et la manière dont Malaki le serra soudain plus fort dans ses bras en l'embrassant tout doucement lui répondit mieux que des mots, parce que ces merveilleux yeux violets étincelaient d'autant d'amour qu'il en ressentait.

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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...