04. Star Wars

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Comme à chaque fois, le démon décrocha à la première sonnerie et Aizen se détendit un tout petit peu sitôt qu'il entendit sa voix. Son timbre grave et un peu enfumé se lova dans son cœur comme une flamme, consumant les mauvais souvenirs réveillés par l'attitude de sa cible face à la sirène.

— J'ai eu Odysseis au téléphone, annonça son amant. Ils nous attendent avec un aquarium de soin prêt à recevoir leur nouveau pensionnaire.

— Tant mieux, je ne sais pas si elle aurait pu tenir beaucoup plus longtemps. J'ai exécuté la cible, mais il va falloir extraire la sirène sans se faire remarquer.

— Ça devrait être dans tes cordes, répondit Hann-Zu avec un sourire audible. Je m'apprête à monter dans l'Étincelle, je serai là d'ici une heure avec de quoi transporter notre blessée jusqu'à Odysseis.

— Je vous attend.

Sur une dernière caresse de chaleur au creux de son âme, le démon raccrocha et Aizen rangea son portable pour poser brièvement le front contre l'aquarium et se reprendre. Il ne pouvait pas se laisser distraire, pas alors qu'il était seul au cœur d'une villa potentiellement hostile, avec une sirène mourante à protéger. En attendant l'arrivée d'Hann-Zu, il devait s'assurer de sécuriser la pièce et faire en sorte que personne ne vienne fourrer son nez par ici au cours de la prochaine heure. C'était un délai extrêmement court pour parcourir les quelques dix mille kilomètres qui séparaient le Japon du Mexique, mais c'était l'avantage d'être un démon possédant des fonds illimités et l'imagination nécessaire pour s'en servir.

L'Étincelle était un jet privé extrêmement rapide, dont le fonctionnement avait été inspiré du système hyperdrive des vaisseaux dans Star Wars. Être un immortel n'empêchait aucunement d'être fasciné par l'imagination des humains et il n'avait pas fallu longtemps pour qu'un premier prototype de véhicule capable d'accélérer à plusieurs fois la vitesse du son soit fabriqué. De ce qu'Aizen en savait, l'Étincelle pouvait dépasser Mach 10 en l'espace de quelques secondes et n'était pas le seul avion doté de ces capacités formidables. Il connaissait au moins deux voitures du même type, et une moto capable d'atteindre la vitesse de la lumière. Grâce à cette puissance, rallier le Mexique depuis Yokohama prendrait à peine moins de temps que de rejoindre ensuite Odysseis de l'autre côté du Pacifique.

Avec une pensée malgré tout amusée pour tous ces immortels patients et un peu farfelus qui avaient l'argent et surtout le temps nécessaires à réaliser leurs rêves, il se détourna lentement de l'aquarium pour errer un peu dans la grande pièce en réfléchissant au meilleur moyen de sécuriser les lieux et d'évacuer la sirène en toute sécurité.

— Commençons par éviter que qui que ce soit ne débarque par ici, marmonna-t-il. Voyons un peu le programme...

Du peu qu'il avait vu de sa cible — dont le cadavre gisait toujours au beau milieu de la pièce — l'homme était plutôt du genre à végéter devant sa télévision, ou peut-être à écouter de la musique très fort. Le silence risquerait d'alerter les gardes, tandis que du bruit signifierait que leur patron était occupé et ne devait donc pas être dérangé. Après une brève réflexion, Aizen décida d'opter pour l'immense écran plat et il attrapa la télécommande pour l'allumer. Il tomba évidemment sur la sélection complète et exhaustive de tout ce que le monde pouvait fournir en divertissement vidéo et fit défiler les chaînes à la recherche de quelque chose qu'il pourrait écouter sans avoir envie de briser quelque chose.

En moins d'une minute, il tomba sur toute une sélection proposée à l'occasion du «May the Fourth» et il se prit à sourire en lançant le premier épisode du Mandalorien. Il avait déjà vu la série dans son entier mais peu importait en cet instant, au contraire il avait plutôt besoin de construire une bulle de confort et de sécurité autour de la sirène et lui. Sans cela, il avait peur de se laisser engloutir par l'obscurité qui rampait dans les tréfonds de son âme, ce qui résultait généralement par un bain de sang. Ce ne serait ni discret, ni pratique, et il valait mieux que ça désormais.

Alors, tandis que la musique familière se répandait dans la pièce, il se percha sur le dossier du canapé pour réfléchir à un plan qui permettrait de poser l'Étincelle sur le toit pour évacuer la sirène. Il faudrait déjà la sortir de son aquarium, ce qui ne serait probablement pas une mince affaire. Aizen espérait qu'elle se laisserait emporter sans tenter de résister, parce qu'il n'était pas certain qu'elle tiendrait le coup si elle essayait de se débattre ou s'ils devaient l'endormir. Tout ce qu'il pouvait faire à ce sujet était de lui parler, sans même savoir si elle pouvait le comprendre ou même l'entendre. Et il faudrait aussi trouver le moyen d'accéder à l'intérieur de l'aquarium pour l'en sortir et l'emporter directement dans le jet. Fastoche.

Sur un soupir, le tueur se frotta la nuque puis se releva pour revenir auprès de l'aquarium et poser à nouveau les mains sur le verre en s'accroupissant pour être à la hauteur du visage cireux de la sirène.

— Je ne sais pas si tu comprends ce que je dis, énonça-t-il lentement. Je ne sais même pas si tu m'entends. Mais je suis avec toi. Je ne te ferai pas de mal. D'ici une heure, mon compagnon va venir nous chercher. Il va nous emmener tous les deux hors d'ici, vers un endroit où tu seras en sécurité. Auprès d'autres sirènes, qui tiennent une sorte... d'hôpital, disons. Elles vont te soigner et veiller sur toi.

Les épaules basses, il soupira à nouveau puis posa le front contre le verre, le regard rivé aux yeux terne qui le fixaient depuis l'autre côté de la vitre. Ce n'était pas vraiment une réaction à proprement parler, mais au moins la sirène avait conscience de sa présence.

— J'ai une bonne idée de ce que tu ressens, continua doucement Aizen. J'ai été à ta place, il y a longtemps. Enfermé, traité comme un objet, brisé. C'est pourquoi je te promets que je vais te sortir de là. L'homme qui va bientôt arriver, c'est celui qui m'a réparé. Il m'a envoyé pour éliminer celui qui te retenait prisonnier ici, et il va t'aider aussi. Tu vas pouvoir rentrer chez toi.

Ses mots étaient rauques, sans doute trop bas pour être vraiment entendus au travers de l'épaisseur du verre, mais il se passa alors une chose à laquelle il ne s'attendait pas : la sirène se rapprocha faiblement et tendit lentement la main pour la poser face à la sienne.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant