Avec le coucher du soleil, l'obscurité était quasiment complète sous l'eau. Kahu y voyait à peu près, mais il était reconnaissant à Caden et Mele qui avaient installé ce qu'ils appelaient entre eux les « sabres laser », des tubes fluorescents qui dégageaient une lumière douce suffisante pour y voir clair sans se brûler les yeux. Caden les avait fixés à la coque de l'épave pour éclairer ce qu'il faisait et Kahu pouvait donc discerner l'ouverture sombre que son ami avait tenté de dégager avant son arrivée. Il était parvenu à créer un passage, trop étroitpour s'y faufiler avec ses bouteilles, mais presque assez large pour que luipuisse y passer au moins la tête.
— Est-ce qu'il y a quelqu'un ? appela-t-il dans la langue de l'océan Indien.
Un bruit étouffé lui parvint de l'autre côté, comme un gémissement ou un sanglot, ce qui fit sombrer son cœur dans sa nageoire alors qu'il se rapprochait un peu plus, essayant de voir à l'intérieur. Puis il parvint à discerner une voix, dangereusement faible mais intelligible.
— Je vous en prie... aidez-moi... j'ai mal... s'il vous plaît...
— Je vais vous sortir de là, promit-il de sa voix de sauveteur la plus rassurante. Tenez bon, j'arrive. Tout va bien, je suis avec vous.
Au moins, cela répondait à la question qu'ils se posaient tous : c'était bien une sirène qui était coincée là-dessous. Mettant à profit la force considérable de ses bras, Kahu força avec précaution sur les morceaux de plastique qui le gênaient, jusqu'à se ménager un passage suffisant pour se glisser dans l'ouverture. Il tira à sa suite l'un des sabres laser pour s'éclairer, la lueur pâle formant un halo autour de lui. Le bateau s'était littéralement encastré sur la roche, et il avait peur de découvrir l'état dans lequel se trouvait la sirène coincée dessous. D'autant qu'à présent, c'était l'odeur du sang qui le guidait, ce qui n'était pas très bon signe. Il n'avait aucune idée de comment la sirène s'était retrouvée là mais c'était une question qu'il pourrait lui poser plus tard, une fois qu'il l'aurait tirée de ce piège mortel.
La première chose qu'il aperçut de la sirène fut un large tentacule de pieuvre qui flottait misérablement, barré de vilaines entailles ensanglantées qui lui donnèrent un coup au cœur. Puis il parvint enfin à l'atteindre et il ne put retenir une grimace devant son état. L'un des morceaux de la coque l'avait épinglé à la roche, écrasant au moins l'un de ses tentacules et une partie de son torse. Autour d'elle, l'eau était trouble de sang et d'encre mélangés, que Kahu essaya vainement de disperser.
— Je suis là, dit-il calmement. Ça va aller.
La sirène était à peine consciente, ses yeux sombres écarquillés par la terreur ou la douleur, il n'aurait su le dire. Si Kahu voulait la sauver, il devait faire vite parce qu'elle ne tiendrait pas beaucoup plus longtemps. Tout en lui parlant pour la maintenir avec lui, il observa le plastique et le métal qui le transperçaient, cherchant le meilleur moyen de tout retirer sans l'achever au passage.
— Attention, ça va faire mal, prévint-il. Accrochez-vous à moi, je vais faire vite.
Il attendit de sentir une main s'agripper à son épaule avant de s'attaquer à l'épave. Il lui faudrait la maintenir écartée pour créer un espace assez large pour passer, et maintenir le poids du bateau tout entier à la seule force de ses bras. Cela ne tiendrait que quelques secondes avant de s'effondrer, donc il n'aurait pas de deuxième chance et n'avait pas intérêt à se rater. Sinon, ils y resteraient tous les deux.
— Je vais écarter cette partie-là, prévint-il. Dès que vous le pouvez, vous vous accrochez ici et vous tirez pour vous extirper de là. Il faudra être rapide, okay ? On y va ?
Sur un dernier avertissement, il poussa dessus de toutes ses forces, dégageant la partie déchiquetée juste assez pour que la sirène puisse se libérer. Dans un grincement de fin du monde, l'épave commença à glisser et Kahu ne perdit pas de temps à tirer la sirène avec lui par son bras valide.
— Allez chico, on met la gomme !
D'un puissant coup de nageoire, il fila par l'ouverture libérée par l'épave, propulsant la sirène devant lui juste avant que le bateau ne s'enfonce, écrasant l'endroit où ils s'étaient trouvés quelques secondes plus tôt. Emportées par le bateau, les lumières s'éteignirent d'un seul coup, les laissant dans l'obscurité de l'océan sans que Kahu ne s'en préoccupe, trop inquiet de l'état de l'autre sirène.
— Ouf, c'était moins une. Je vous remonte à la surface pour vous soigner, mes collègues sont des soigneurs humains. Est-ce que ça va aller ?
— Je... je ne peux pas changer... bredouilla la sirène. Pas assez de... force...
— Vous en faites pas, j'ai seulement besoin que vous respiriez. On s'occupe du reste.
Ils étaient assez proches de la surface pour qu'il puisse les remonter tous les deux sans peiner, même si la sirène blessée paraissait plus grande que lui. De toute façon, il était hors de question de la laisser utiliser ses tentacules, cela ne servirait qu'à accélérer son hémorragie et empirer ses blessures.
— Je vous tiens, promit-il. Accrochez-vous à moi, je vous emporte. Essayez de rester consciente tant que vous le pouvez, au moins le temps que je vous mette en sécurité. Après ça, vous n'aurez plus à vous soucier de rien, vous serez entre de bonnes mains.
Doucement, il commença à pousser vers le haut en tenant son bras valide, effaré de voir le nuage de sang et d'encre qui les entourait toujours. C'était un petit miracle qu'aucun requin ne soit venu fourrer son museau dans le coin, mais il ne voulait pas rester assez longtemps pour les voir débarquer. Il avait déjà bien assez à s'occuper avec la sirène à moitié morte qu'il emportait délicatement vers la surface en priant tous les dieux de l'océan pour qu'elle tienne le coup encore quelques minutes. Au moins, les feux de signalisation de la Nausicaa et de la Calypso scintillaient au-dessus de leurs têtes, lui donnant une direction à suivre pour trouver les secours.
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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...