Odysseis (1&2)

08. Dystopie

Lorsque le jet privé ultra rapide de la Ren Bank se posa délicatement sur l'héliport, toute l'équipe de transfert l'attendait de pied ferme, prête à accueillir la sirène blessée. À côté de Malaki dont les longs cheveux retenus en chignon voletaient dans l'air dégagé par l'appareil, Kahu avait un peu l'impression de se retrouver soudainement au milieu de l'un de ces films dystopiques que Davy aimait tant.

Et l'impression ne fit que se renforcer lorsque la porte de l'appareil s'ouvrit, dévoilant un bac de transport qui ressemblait beaucoup au leur. Au pas de course, l'équipe s'avança pour le réceptionner, aidée par Monsieur Gim et son agent qui firent doucement descendre l'aquarium contenant la sirène. Kahu aurait voulu s'approcher en même temps que Malaki, toutefois le démon lui fit signe et il vint plutôt à sa rencontre, légèrement à l'écart de l'équipe qui s'affolait pour prendre les premières informations sur leur blessée. Moins d'une minute plus tard, l'agent les rejoignait à son tour et Kahu le détailla brièvement. L'homme était un vampire, probablement japonais, avec des cheveux sombres un peu ébouriffés par l'agitation de l'atterrissage et des yeux presque noirs, vêtu d'un élégant costume agrémenté d'une cravate brodée de discrètes carpes enflammées. Il collait étonnamment bien à l'ambiance étrange de l'instant, et Kahu comprit sans un mot que ce n'était pas qu'un simple «agent». Cet homme était sans aucun doute un tueur, et pourtant il avait l'air inquiet et incertain en s'immobilisant auprès de son patron.

— La sirène a perdu conscience durant le trajet, indiqua-t-il. Est-ce que... est-ce que vous pensez qu'elle va pouvoir s'en sortir ?

— Je ne sais pas, avoua franchement Kahu. En revanche, ce que je peux vous promettre, c'est que nous allons mettre tout en oeuvre pour que ce soit le cas. Sans diagnostic, il est délicat d'affirmer quoi que ce soit, mais nous l'amener si rapidement était la meilleure chose à faire.

— Il va sans dire que je financerai tous les soins nécessaire, intervint royalement Monsieur Gim. Considérez que l'argent n'est pas un obstacle à sa prise en charge.

— Cela n'aurait jamais été le cas, mais je vous en remercie.

Au bref, très bref regard que le démon avait posé sur son tueur, Kahu avait deviné que le sort de la sirène était important aux yeux de ce dernier, et que c'était en grande partie pour lui que le banquier ne regardait pas à la dépense. C'était surprenant, et adorable à la fois, même si jamais il ne se serait permis de faire la remarque. En revanche, cela le poussa à se montrer rassurant d'une autre manière.

— Nous ne sommes pas exactement un hôpital, mais je vais demander à ce que vous soyez inscrits comme contact à prévenir pour toute information importante. Et notre stagiaire vous fera un rapport quotidien sur la situation, cela va l'entraîner à rédiger des comptes-rendus de soins. Suivant l'évolution de son état, vous pourrez sûrement revenir lui rendre visite dans les prochaines semaines.

S'ils étaient venus depuis le Mexique pour transporter cette sirène jusqu'à eux, faire le trajet depuis le Japon ne représenterait probablement pas une difficulté pour eux. Après tout, c'était moitié moins loin. Et le vampire eut l'air touché et soulagé, ce qui adoucit considérablement son visage dur. Alors Kahu ajouta une nouvelle proposition.

— Souhaitez-vous rester à Odysseis en attendant le premier diagnostic ? Vous avez pratiquement fait le tour du monde pour amener cette sirène jusqu'ici, et cela ne devrait pas prendre bien longtemps... mais nous pouvons aussi vous loger à l'Étoile des Mers et...

Une fois encore, le démon avait jeté le plus bref des regards à son agent/tueur à gages avant d'interrompre Kahu avec un sourire étonnamment franc.

— Ce serait avec plaisir. Ainsi nous aurons des nouvelles en direct et je pense qu'Aizen appréciera de pouvoir rendre visite à notre rescapée sitôt que ce sera possible. Quant à moi, eh bien je n'ai pas souvent l'occasion de prendre un jour de congé et je serai enchanté de pouvoir visiter le parc et découvrir les dernières nouveautés.

— Alors je vais faire le nécessaire, promit Kahu en souriant. Si vous voulez bien me suivre ?

L'équipe d'urgence avait déjà emmené le bac de transfert vers la nursery et il avait parfaitement confiance en Malaki pour dialoguer avec la sirène si jamais elle reprenait conscience, ou en tout cas pour guider les soigneurs. Surtout avec Eliakim à ses côtés. S'il les rejoignait, il ne ferait que les gêner, alors il pouvait bien jouer les guides pour Monsieur Gim et son compagnon en attendant d'avoir des nouvelles.

Il les mena donc tout droit à l'accueil de l'Étoile des Mers, l'hôtel de luxe à moitié sous-marin qui avait été construit à proximité du parc pour recevoir les visiteurs les plus fortunés, et se dirigea droit vers Nerida qui lui sourit depuis le comptoir.

— Monsieur Gim et son agent viennent de nous amener un pensionnaire en urgence, indiqua-t-il. Ils vont séjourner ici en attendant des nouvelles de ce nouveau pensionnaire, si tu pouvais leur accorder des suites Corail...

C'était ce qu'ils avaient de plus beau et plus luxueux, les chambres entièrement construites sous l'eau avec d'immenses vitres qui permettaient de voir le fond de l'océan. Un peu comme sa propre chambre, mais sans possibilité de pouvoir en sortir pour nager.

— Une seule suite conviendra, l'interrompit tranquillement Monsieur Gim. Avec un grand lit. Après tout, nous sommes en vacances. Mais je ne dirais pas non à la vue sur l'océan et les poissons.

Même s'il fut surpris, Kahu était bien trop poli pour le montrer, et Nerida aussi. À la place, elle se contenta d'acquiescer en souriant toujours et de tendre au démon la carte magnétique qui ouvrirait leur chambre.

— Avant de visiter le parc, j'imagine qu'il serait judicieux de déplacer l'Étincelle pour ne pas monopoliser votre héliport, remarqua ce dernier. Occupe-t'en, Aizen. Pendant ce temps, je vais prendre possession de notre suite.

Le vampire acquiesça d'un simple signe de tête empli de respect et, Kahu le voyait à présent, d'affection. Monsieur Gim les quitta pour rejoindre l'ascenseur, alors Kahu ne put que quitter l'hôtel avec l'énigmatique Aizen. Incapable de trouver quoi dire, il laissa le silence s'éterniser et sursauta presque lorsque le tueur prit la parole.

— J'espère que la sirène ira bien, murmura-t-il. Qu'elle s'en remettra.

— Nous sommes à la pointe de la technologie médicale, nous allons tout faire pour, promit Kahu avant de s'arrêter. Mais vous parlez de dommages psychologiques, n'est-ce pas ?

— Elle était enfermée dans un grand cylindre de verre, sans le moindre abri, aucun endroit où se reposer ou se cacher... sans cesse de la lumière, sans cesse des sollicitations... cela briserait n'importe qui.

— Je ne peux pas promettre que nous pourrons guérir cela aussi bien que des blessures physiques, répondit doucement Kahu. Toutefois, nous sommes trois sirènes et mon compagnon est l'homme le plus doux et le plus patient que je connaisse. Nous ferons notre possible pour l'aider à s'en remettre et voir si nous pouvons retrouver sa famille. Quoi qu'il arrive, nous ne la laisserons pas tomber.

— Merci.

Dans cette réponse murmurée, Kahu crut déceler quelque chose de bien plus personnel que de la simple reconnaissance mais il musela sa curiosité et se contenta de guider Aizen jusqu'à l'héliport.