03. Glossy

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Le soleil était en train de se coucher lorsque la Calypso fut en vue de la Nausicaa, auprès de l'un des récifs qui bordaient l'îlot Voeli. Le ciel s'enflammait de toutes les couleurs, donnant à l'océan une profonde teinte violette qui tirait vers l'indigo et le bleu d'encre. Mais le moment n'était pas à l'admiration des spectacles offerts par la nature, ils étaient là pour le travail et, surtout, pour une urgence.

Prudemment, Martha glissa leur vedette auprès de la seconde puis coupa le moteur avant de jeter l'ancre de large. Sur le pont de la Nausicaa, Mele apparut soudain, encore habillée de sa tenue de plongée qui pendait sur ses hanches, ouverte sur le t-shirt mouillé qu'elle avait passé par-dessus.

— Enfin vous voilà ! Kahu, on a besoin de toi en urgence, ça ne se présente pas bien.

Sans perdre de temps, il sauta vivement par-dessus le bastingage pour changer de bateau et rejoindre sa collègue qui paraissait aussi inquiète que fatiguée. Ses cheveux vaguement relevés en chignon gouttaient sur ses épaules et elle sentait l'eau de mer.

— Qu'est-ce qui se passe ? Qu'avez-vous trouvé ?

— On a entendu un cri de détresse qui nous a fait penser à celui d'une orque alors on s'est approchés pour découvrir un véritable désastre. Je pense qu'un petit bateau de tourisme a été emporté par une vague, ou bien il n'était pas amarré correctement, je n'en sais rien, mais il a fini sa course ici. Nous avons repêché le plus gros de ce qui flottait, toutefois il y a eu des dégâts. Une créature est coincée sous l'épave, aucun de nous n'arrive à l'atteindre mais elle est vraisemblablement blessée. Du peu que j'ai vu, je pense que ça peut être une sirène, sans grande certitude. Mais si c'est le cas, je ne sais pas combien de temps elle va tenir. Je ne sais même pas depuis combien de temps elle est là, ni dans quel état elle est.

— Je m'en occupe, promit Kahu de sa voix la plus rassurante.

Après toutes ces années passées à travailler à Odysseis et à vivre parmi les humains, il savait comment rassurer les gens et leur montrer qu'il maîtrisait la situation. Il savait que c'était en partie dû à son charme de sirène, mais aussi à l'aura de sauveteur qu'il dégageait, donnant l'impression qu'il avait tout sous contrôle.

— Caden est en bas, ajouta Mele. Il fait de son mieux, mais je ne sais pas s'il lui reste beaucoup d'air.

— Je vais prendre la relève, ne t'en fais pas. Je le renvoie à la surface dès que possible.

Rapidement, il se déshabilla pour descendre dans l'eau sombre, vidant ses poumons pour plonger et amorcer sa transformation une fois sous la surface. Il l'avait fait tellement de fois que la douleur n'était plus qu'un vague inconfort et une poignée de secondes plus tard, il nageait en direction de l'épave qui brillait vaguement dans les dernières lueurs du soleil. Il était temps qu'il rejoigne Caden, parce que bientôt les humains ne pourraient plus rien voir et cela deviendrait d'autant plus dangereux pour lui. La dernière chose dont il avait besoin, c'était de devoir sauver son meilleur ami en plus d'une sirène blessée. Ce n'était pas un choix qu'il voulait avoir à faire.

Au moins, l'épave n'était pas très loin sous la surface, seulement trois ou quatre mètres. Caden n'aurait pas besoin d'un palier de décompression et ils étaient suffisamment haut pour que la lumière mourante du soleil perce jusque-là. De toute manière, Kahu voyait parfaitement dans le noir, mais ce n'était pas le cas de son ami.

Le petit bateau ressemblait à une canette froissée, complètement encastré sur le rocher comme s'il y avait poussé. Sa coque luisait faiblement, sans que son nom ne soit visible, et Kahu se demanda brièvement si son propriétaire le cherchait ou s'il avait péri dans le naufrage. Si c'était le cas, l'équipe d'urgence ne l'avait pas retrouvé.

La plupart des débris et des objets flottants avaient été ramassés par l'équipe de la Nausicaa, ce qui rendait l'approche moins dangereuse, mais le seul accès à l'intérieur se trouvait dans la cabine sur le pont. Il fallait pouvoir s'y faufiler sans rien toucher, de peur de faire basculer le tout au risque d'emporter Caden et le blessé. Pour un plongeur avec bouteilles et palmes, cela n'avait pas dû être simple, mais pour une sirène, c'était d'une facilité déconcertante pourvu qu'on soit attentif à ne rien heurter.

Avec prudence, il se faufila à l'intérieur de la cabine encombrée, guidé par le bruit régulier des respirations lentes de Caden au travers de son masque. Lorsqu'il le rejoignit enfin, ce fut pour le découvrir occupé à scier méthodiquement un gros morceau de plastique qui s'était coincé entre deux rochers, dans la lueur jaune de ses lampes. Doucement, Kahu posa la main sur son bras en s'assurant de ne pas le surprendre pour éviter qu'ilsursaute et lui fit signe qu'il s'en occupait. Caden eut l'air soulagé et lui laissa la scie pour remonter vers la surface, toujours aussi calmement. Le moindre mouvement brusque risquait de déloger toute l'épave, et il devait de toute manière être bientôt à court d'air, donc il devait économiser ses réserves.

En plus, il n'y avait vraiment pas beaucoup de place dans l'espace exigu qui restait entre le pont et le rocher qui avait éventré la coque. Le bateau n'était déjà pas bien grand à l'origine, probablement à peine assez pourque l'on tienne debout dans l'espace sous le pont, mais désormais il était impossible à Caden de passer sans toucher Kahu. Lequel s'assura que ses bouteilles ne s'accrochent pas alors qu'il se glissait au long de l'escalier pour remonter par la cabine et sortir. Une fois certain que son ami était hors de danger et que l'épave ne risquait pas de s'effondrer en l'emportant avec elle, Kahu prit le temps d'observer ce qui l'entourait pour essayer de déterminer le meilleur moyen d'accéder au blessé sans les tuer tous les deux.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant