14. Maman

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C'est avec une sincère curiosité que Malaki s'installa dans le cockpit de l'Étincelle, après avoir embrassé Kahu sur la promesse de revenir vite. Dans le siège à côté du sien, Monsieur Gim était en train de démarrer l'appareil et la pieuvre s'assit aussi bien que possible, un peu incertain malgré lui.

— Mal de l'air ? demanda le démon en enclenchant une suite d'interrupteurs sans même y regarder.

— Je ne suis jamais monté dans un appareil volant avant aujourd'hui, avoua-t-il. Même pas l'hélico d'urgence. Et je ne suis jamais allé si vite...

— Vous n'allez rien sentir, si ce n'est une légère impression d'apesanteur au décollage. Et dans une demi-heure à peine, nous atterrirons au milieu du Pacifique sans la moindre secousse.

Pas particulièrement effrayé, Malaki hocha la tête et suivit scrupuleusement ses consignes pour s'attacher. Au travers de la fenêtre du cockpit, il fit signe à Kahu qui lui envoya un baiser en soufflant sur ses doigts, puis l'Étincelle commença doucement à s'élever, sans faire le moindre bruit. Un instant, ils survolèrent le parc étincelant de blanc et de bleu sous la lumière du soleil, puis Monsieur Gim orienta le nez de l'appareil vers l'est et accéléra. Aussi simplement que ça. L'immensité pâle du ciel et celle plus sombre de la mer devinrent floues et ce fut la seule preuve de leur vitesse phénoménale.

Et le trajet fut aussi rapide que le démon l'avait dit, une grosse trentaine de minutes qu'ils passèrent à discuter paisiblement. Malaki ne saurait même pas dire de quoi ils avaient parlé exactement mais la conversation avait été agréable, naturelle. Le démon n'était pas seulement qu'un sponsor du parc parmi tant d'autres, il était l'un des premiers à avoir financé Odysseis et il s'y intéressait réellement. Dans l'ensemble, Malaki en retira la certitude qu'il était bien plus qu'une immense fortune.

— Je vais vous attendre dans l'appareil, indiqua Monsieur Gim une fois l'Étincelle posée. Prenez le temps qu'il vous faut, je tiendrai nos compagnons d'Odysseis au courant.

— Je fais au plus vite, assura Malaki. J'espère qu'ils sont toujours à proximité de la côte...

Il s'apprêtait à descendre mais le démon le retint d'une main légère et étonnamment chaude posée sur son bras. Ses yeux de jaspe brûlante croisèrent les siens, toujours aussi sérieux.

— Nous pouvons emmener au moins un passager avec nous, déclara-t-il. Même deux, en tournant les sièges à l'arrière. Je ne voulais pas en parler devant Oshady pour ne pas lui donner de faux espoirs mais...

— Mais nous pouvons ramener ses parents, compléta Malaki avec un hochement de tête. Je leur proposerai. Merci.

Monsieur Gim acquiesça sans un mot de plus et le relâcha pour le laisser descendre. Le jet était posé sur une petite plage de sable clair, dans une crique déserte et sauvage, et Malaki n'hésita pas une seconde à se déshabiller pour laisser ses vêtements dans l'appareil avant de gagner les vagues. Désormais habitué à changer son corps, il se transforma sitôt dans l'eau et nagea rapidement vers le large en espérant tomber rapidement sur quelqu'un qui pourrait le renseigner.

Il n'eut pas très loin à aller avant de tomber sur une pieuvre mimétique qui le salua du bras avant de lui offrir quelques informations. Elle avait vu des sirènes passer récemment, plutôt vers l'ouest. Malaki la remercia et continua son exploration, savourant la chaleur de l'eau cristalline sur sa peau. La dernière fois qu'il avait nagé en eau libre, c'était avec Kahu sur l'un de leurs rares jours de congé, et ça avait été un moment parfait à juste passer du temps tous les deux.

Mais aujourd'hui il avait une mission et il ne lui fallut pas bien longtemps avant de repérer les premiers signes d'une présence à proximité. Encore quelques kilomètres et il tomba sur une forêt d'algues entre lesquelles scintillaient des écailles plus claires. Il s'approcha encore et fut bientôt reçu par une sirène aux couleurs de l'aube, ses longs cheveux pâles tressés de perles.

— Bonjour, salua-t-il poliment en mettant une main sur son cœur. Je m'appelle Malaki, je viens de loin et je suis à la recherche du banc des Aahiata.

— Tu l'as trouvé, répondit la sirène en lui rendant son salut. Je m'appelle Natuari, je suis la guide du banc. Que pouvons-nous pour toi, Malaki ?

— J'aimerais parler aux parents d'Oshady, expliqua-t-il doucement.

Un air de totale stupéfaction passa sur le visage doux de la sirène qui lui faisait face, avant que ses yeux ne s'illuminent d'un mélange d'espoir et de peur.

— Est-ce que tu as de ses nouvelles ? Sais-tu où il est ? Est-ce que...

— Il est en sécurité à la clinique du parc Odysseis, dans les Îles Salomon. Nous faisons de notre mieux pour le soigner et il va s'en sortir. Je voudrais rencontrer ses parents pour leur donner les dernières nouvelles et les rassurer.

— L'Océan soit loué, murmura-t-elle. Nous étions tellement inquiets... Viens, suis-moi !

Un peu plus loin, le reste du banc était occupé à récolter des algues et beaucoup se retournèrent à leur passage pour saluer Malaki avec une curiosité polie. Natuari le mena vers une femme qui comptait des paniers d'algues et lui posa doucement la main sur l'épaule avant de murmurer quelques mots. La femme sursauta puis se tourna vers Malaki avec des yeux immenses remplis de larmes.

— Vous l'avez retrouvé ? bredouilla-t-elle. Vous avez mon fils ?

— On nous l'a amené en urgence il y a trois jours, expliqua doucement Malaki. Je suis soigneur au parc Odysseis, votre enfant est entre de bonnes mains là-bas, mon compagnon est avec lui, ainsi que les meilleurs soigneurs du monde. Oshady a... été retenu captif dans un aquarium pendant une durée indéterminée. Il a des lésions sur la queue et il est très affaibli mais il est conscient, en sécurité et bien entouré. D'après nos estimations, il devrait pouvoir retourner nager dans l'océan d'ici un bon mois.

La mère laissa échapper un sanglot avant d'attraper sa main pour la serrer avec force et il la serra en retour, désireux de la réconforter.

— J'ai eu tellement peur, avoua-t-elle d'une petite voix. Cela fait des mois qu'il a disparu sans laisser de traces, je ne savais pas où il était, ni ce qui lui était arrivé... Oh par les abysses, j'ai cru l'avoir perdu...

— Je pense qu'il a eu très peur aussi, et il a bien failli mourir là-bas, mais à présent il est à peu près sain et sauf et son état ne pourra que s'améliorer. Si vous le souhaitez, je peux vous emmener auprès de lui. Il faudra juste que vous puissiez échanger votre nageoire contre des jambes, parce que je suis venu en avion.

— Ça me va ! s'exclama-t-elle. Tout ce que vous voulez pourvu que je puisse le retrouver. Laissez-moi juste...

L'air un peu hagard, elle s'éloigna légèrement pour rejoindre une autre sirène un peu plus loin, visiblement pour lui annoncer la nouvelle. Et le cri étranglé qui lui échappa résonna probablement jusqu'à la côte, avant qu'elle ne se précipite vers Malaki aux côtés de la mère d'Oshady.

— Il va bien ? pressa-t-elle. Pour de vrai ?

Calmement, il lui répéta ce qu'il venait de dire et apprit que Rahiri était la mère d'Oshady et que Unutea était sa compagne depuis des années, ce qui faisait d'elle la mère adoptive du garçon. Se rappelant ce que Monsieur Gim avait dit, Malaki offrit de les emmener toutes les deux à Odysseis et vingt minutes plus tard il quittait le banc accompagné des deux sirènes pour rejoindre la côte où elles avaient des vêtements qui les attendaient. De là, ils longèrent ensuite la plage pour rejoindre celle où était posée l'Étincelle puis quitter Hawai'i.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant