15. Horreur

155 35 3
                                        

La configuration de l'avion ne permettant pas vraiment de discuter avec les passagers, Malaki n'eut pas l'occasion de donner plus de détails aux deux sirènes avant qu'ils ne se posent à Odysseis. Monsieur Gim avait appelé pour prévenir de leur arrivée et le comité d'accueil les attendait au bord de la piste, Kahu le premier.

— Soyez les bienvenues à Odysseis ! sourit-il lorsqu'ils descendirent tous du jet. Je m'appelle Kahurangi, je suis soigneur. Venez, Oshady sera sans doute ravi de vous voir.

S'il était évident que Rahiri et Unutea avaient un peu l'habitude de prendre forme humaine et de marcher, elles n'étaient pas aussi à l'aise à la surface qu'eux. Naturellement, Malaki s'adapta à leur allure, bien conscient qu'elles auraient couru si leurs jambes avaient pu les porter jusqu'à leur fils, et prêt à les retenir si l'une d'elles trébuchait. Kahu les précéda au travers du parc en résumant rapidement l'état d'Oshady, puis il s'arrêta devant la porte de la nursery et Malaki recula d'un pas pour ne gêner personne. Tout doucement, Kahu ouvrit la porte, dévoilant leur patient qui discutait toujours avec Eliakim mais qui s'arrêta pour se retourner vers eux. Son expression sidérée aurait pu être comique s'il n'y avait eu le désespoir enfantin sur son visage alors qu'il tendait les bras vers ses parents.

— Mama ! Makuahine !

En trébuchant, les deux sirènes s'effondrèrent à côté du bassin pour le serrer dans leurs bras et Malaki se raccrocha à la main de Kahu lorsqu'Oshady fondit en larmes contre l'épaule de sa mère. Doucement, Eliakim se décala pour venir les rejoindre un peu à l'écart de la famille qui se retrouvait, son visage marqué d'une telle peine que Malaki n'hésita pas à passer un bras autour de ses épaules pour le ramener à lui.

— Ma famille me manque, souffla Eliakim tout bas.

— Je sais...

Tout comme il savait que, contrairement à Oshady, Eliakim n'aurait plus jamais la chance de se blottir dans les bras de sa mère pour y pleurer. Alors il le serra un peu plus contre lui et sourit lorsque Kahu les entoura aussi de son bras. Même s'il avait perdu son banc, Eliakim n'était pas seul, et c'était le plus important.

— Que s'est-il passé ? demanda enfin Rahiri d'une voix rauque. Que t'est-il arrivé ?

Blotti dans la sécurité de leur étreinte comme un tout jeune enfant, Oshady prit une profonde inspiration et entreprit de leur raconter comment il s'était retrouvé dans un aquarium au Mexique. Il avait joué de malchance et d'un très mauvais concours de circonstances, qui l'avait mené tout droit dans un filet alors qu'il essayait d'en libérer un jeune requin. Le poisson s'en était sorti, mais pas lui et il s'était retrouvé sur le pont d'un bateau où il avait été assommé avant d'avoir pu tenter de s'échapper.

— Quand je suis revenu à moi, j'étais dans l'aquarium, continua-t-il d'une voix étranglée. La lumière était aveuglante et il n'y avait aucun endroit où se cacher, pas même assez d'espace pour s'allonger. Rien qu'un gros rocher abrupt, une poignée de poissons effrayés, du sable et cette lumière qui ne s'éteignait jamais.

Dans le silence choqué et horrifié de la nursery, il raconta courageusement comment l'homme qui l'avait acheté le traitait, tapant contre la vitre sans s'arrêter, ordonnant qu'il nage pour faire des spectacles devant ses amis, sans jamais lui laisser un instant de répit. Cela avait duré des semaines, avec à peine assez de nourriture pour survivre, très peu de repos et pas de quoi bouger plus de quelques mètres.

Sa voix vacilla à plusieurs reprises, témoin de l'horreur qu'il avait vécue, mais il continua en prenant de profondes inspirations pour expliquer la fatigue et l'angoisse qui avaient commencé à l'affaiblir, la terreur de ne jamais sortir de là et ces vitres qui lui donnaient l'impression de se refermer lentement sur lui.

— Ma caudale ne répondait plus et j'avais l'impression qu'elle était prise dans un filet qui me tirait vers le fond, j'avais du mal à respirer et l'eau traitée me brûlait les branchies. Et toujours, toujours cette lumière impitoyable qui effaçait toutes les couleurs. J'ai essayé de m'échapper, de sortir de là, mais le verre était beaucoup trop épais pour que j'arrive à le briser, et je n'aurais jamais réussi à soulever le rocher, même au mieux de ma forme. Quant à la trappe tout en haut, elle ne s'ouvrait que de l'extérieur. J'ai essayé, une fois, de profiter du moment où ils distribuaient la nourriture pour essayer d'atteindre le mécanisme. J'ai été... puni.

Avec l'impression que son cœur sombrait dans sa poitrine, Malaki se raccrocha à la main de Kahu qui la serra plus fort, tandis qu'Eliakim se raidissait entre leurs bras.

— L'homme m'a frappé si fort qu'il m'a presque assommé, et après ça ils ne m'ont pas donné à manger pendant presque une semaine. Puis ils ont fait en sorte que je ne puisse plus atteindre la trappe en installant une sorte de grille dessous. Mais de toute façon, j'avais perdu tellement de forces que je ne pouvais même plus monter aussi haut. Si... si Aizen n'avait pas plongé pour me remonter, je n'aurais jamais pu sortir de là.

Par-dessus l'épaule de sa mère, ses yeux pâles cherchèrent le tueur qui lui offrit un signe de tête, le regard hanté. Et puis Oshady se tourna vers les trois sirènes de l'autre côté de la pièce.

— Aizen et son compagnon m'ont ramené ici et les soigneurs se sont occupés de moi. Kahu et Malaki ont même dormi avec moi pour me rassurer, et Eliakim m'a tenu compagnie dans la journée. Kahu, tu peux leur expliquer le reste ?

Avec une profonde inspiration, il se redressa et Malaki le relâcha en souriant de le voir carrer les épaules et reprendre sa casquette de sauveteur, si rassurante et confiante.

— Notre équipe de soigneurs s'est occupé des diagnostics et de planifier les soins. La lumière a causé de sévères brûlures et provoqué un noircissement des écailles, aggravé par la malnutrition, l'épuisement et le désespoir. L'espace trop exigu, en l'empêchant de nager correctement, a entraîné une paralysie de la queue par atrophie des muscles, ce qui a en retour provoqué un début de nécrose suite à une blessure au niveau de la caudale. Et par extension, des lésions dues aux frottements contre le rocher et le sable. Il est aussi certain que le traumatisme laissera des séquelles psychologiques.

Il se tut un instant et Malaki remarqua qu'Oshady n'avait pas flanché, alors que ses parents le serraient un peu plus dans leurs bras, livides. Et puis la voix de Kahu se réchauffa alors qu'il enchaînait avec les bonnes nouvelles.

— Tout ceci est réparable, assura-t-il avec son sourire solaire. La plupart des lésions ont déjà disparu, et la nécrose a diminué de moitié. La plus grande partie du traitement consiste à dormir en sécurité et à manger pour reprendre des forces, le reste n'est que détails. Nous avons fait quelques injections d'antibiotiques et de vitamines et, sitôt que toutes les plaies seront guéries, Oshady quittera la nursery pour le grand bassin hôpital où on s'occupera de rééduquer les muscles de sa queue.

— Avec les dauphins ! ajouta ce dernier.

— Avec les dauphins, acquiesça Kahu. Quant à la partie psychologique, Aizen s'est proposé pour l'aider. D'après nos estimations, la convalescence ne devrait pas durer plus de deux mois, mais il vaut mieux qu'il la passe ici. Si vous le souhaitez, nous avons de quoi vous loger en attendant qu'il soit complètement guéri.

— Quoi qu'il arrive, ajouta tranquillement Malaki, nous allons vous laisser un peu de temps tous les trois. L'équipe du soir viendra pour les soins d'ici une heure, nous pourrons nous organiser pour la suite à ce moment-là.

Sur son injonction, tout le monde quitta la pièce pour laisser Oshady seul avec ses parents. De l'autre côté de la porte, Eliakim annonça qu'il allait rejoindre Caden pour l'aider avec les tortues, Monsieur Gim décréta qu'Aizen et lui allaient se mêler à une visite guidée, et Malaki se retrouva seul avec Kahu.

— Tu sais toujours quoi dire, murmura-t-il. Merci d'être avec moi, hani.

En réponse, Malaki l'embrassa sur le front, exprimant son affection et sa tendresse sans un mot, puis ils se séparèrent à regret pour aller travailler.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant