13. Vieille Fortune

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Ils étaient en train de raconter à Oshady une anecdote sur les débuts du stage d'Eliakim lorsque Kahu revint, accompagné de Monsieur Gim et Aizen. Ce dernier avait toujours l'air un peu inquiet, ce qui tranchait avec les traits durs de son visage, mais il s'illumina sitôt que son regard se posa sur Oshady qui riait avec Eliakim. Avec tout ce monde, la nursery était un peu bondée mais Malaki se décala un peu pour permettre à Aizen de se rapprocher du bassin.

— Oshady, je te présente Aizen, déclara Kahu avec un sourire dans la voix. C'est lui qui t'a sorti de l'endroit où tu étais enfermé. Et voici Monsieur Gim, dont l'avion a permis de te ramener ici à temps.

— Nous sommes heureux de voir que tu as repris conscience, ajouta le démon. Aizen était inquiet d'avoir de tes nouvelles.

Dans le bassin, les yeux pâles de leur malade se fixèrent dans les yeux sombres du tueur et quelque chose sembla passer entre eux, que Malaki fut bien en peine de comprendre. Mais le vampire tendit la main et Oshady la prit avec un sourire plus fragile.

— Merci, murmura-t-il. Sans toi je crois que... je n'aurais pas survécu plus longtemps.

— Je sais ce que c'est que d'être enfermé, répondit Aizen tout aussi bas. Je ne suis pas une sirène mais... j'ai vécu quelque chose de similaire, quand j'étais encore humain. Je ne pouvais pas te laisser là-dedans. Si tu veux... en parler ou juste... je ne sais pas, avoir quelqu'un qui comprend, je suis là.

Il y avait une fêlure dans sa voix et Malaki releva instinctivement les yeux vers Kahu qui semblait tout aussi peiné que lui. Et à ses côtés, Monsieur Gim avait laissé une émotion transparaître sur son visage, un mélange de chagrin, de colère et d'un amour évident.

— Je veux bien, souffla Oshady avant de prendre une inspiration profonde et courageuse. Malaki et Kahu m'ont dit que j'allais rester ici encore quelques jours, le temps que je puisse nager sans aggraver mes blessures Et ensuite je vais déménager avec les dauphins !

— Ça a l'air formidable, rit Aizen. Tu vas pouvoir te dégourdir les nageoires.

— Et peut-être que quand je serai assez guéri, je me transformerai pour visiter le parc en entier.

Attendri, Malaki ne cacha pas son sourire de le voir reprendre des couleurs en pétillant d'impatience. Ce garçon semblait être de la même trempe que Kahu, plein d'énergie et d'enthousiasme, et il commençait à devenir évident que son caractère vif ne demandait qu'à éclore à nouveau. Il était possible qu'il s'en remette encore mieux que prévu.

— Et ensuite, termina Oshady, je vais pouvoir rentrer chez moi et retrouver ma famille. Ils doivent être tellement inquiets...

De l'autre côté du bassin, Kahu grimaça faiblement et Malaki laissa Aizen réconforter Oshady tandis qu'il rejoignait son amant auprès de Monsieur Gim.

— Nous devons trouver le moyen de contacter son banc, murmura la pieuvre. Et vite. Je suis allé une ou deux fois du côté d'Hawai'i mais je n'y connais personne et Eliakim non plus...

— Est-ce que vous seriez en mesure de les retrouver en partant de là-bas ? releva le démon. Je ne suis guère familier avec les différentes cultures des sirènes, l'eau n'étant pas du tout mon élément, mais est-ce que vous pourriez entrer en contact avec les siens depuis Hawai'i ?

— Oui, sans aucun doute, assura Kahu. Même si nous ne connaissons personne particulièrement, en nageant un peu il serait facile de retrouver une cité, une colonie ou un banc. Mais ça fait un sacré trajet jusque là-bas.

— Ce n'est pas un problème, coupa le banquier. Nous avons déjà fait une fois le tour du monde pour ce petit, traverser la moitié du Pacifique n'est qu'un détail. Si je vous emmène à Hawai'i, vous pensez parvenir à retrouver sa famille ?

Un peu surpris, Malaki écouta Kahu discuter des détails avec Monsieur Gim qui n'avait pas du tout l'air de plaisanter. Il avait déjà fait beaucoup pour Oshady, mais il était prêt à l'aider encore, sans regarder ni à la dépense, ni au moindre obstacle pouvant se dresser sur son chemin.

— Pourquoi ? demanda-t-il malgré lui. Pourquoi faites-vous tout cela pour lui ? Je veux dire... c'est une excellente chose et cela nous permet d'avancer bien plus vite et de l'aider à guérir mais ça doit vous coûter une fortune !

— Parce que je le peux, répondit simplement le démon. Cela fait des siècles que j'amasse de l'argent, à quoi est-ce que cela me servirait si je ne l'utilise pas lorsque quelqu'un en a besoin ?

— Et vous le faites en partie pour Aizen, comprit Malaki. Parce que personne n'était là pour le sauver comme il l'a fait avec Oshady, alors vous faites ça pour lui.

Il l'avait dit tout bas, alors que les pièces du puzzle s'assemblaient dans son esprit, et Monsieur Gim lui jeta un regard de jaspe brûlant, sans se mettre en colère.

— Vous êtes perspicace, remarqua-t-il plutôt. Et vous avez aussi parfaitement raison. Alors... quand partons-nous pour Hawai'i ?

— Le plus tôt sera le mieux, argua Kahu. Et malheureusement, ce sera sans moi. Même si j'aurais beaucoup aimé vous accompagner, j'ai trop de travail ici pour m'absenter plus de quelques heures. En plus de ça, Malaki est probablement plus à même de retrouver ce banc, c'est un excellent pisteur et un merveilleux explorateur.

Touché par le compliment, Malaki essaya de ne pas rougir, quand bien même Kahu avait raison. Avec son précédent métier, il avait visité une vaste partie de l'océan Indien, et presque autant du Pacifique. Il n'aurait probablement pas besoin de beaucoup de temps pour atteindre le banc d'Oshady, là où son amant avait l'habitude de travailler dans le parc, entouré d'animaux blessés et d'humains. Kahu était peut-être charmeur et rassurant, mais il se perdrait probablement dans une baignoire. Enfin, peut-être pas, mais Malaki aimait bien cette métaphore.

— Nous pouvons partir demain matin, offrit-il. Je dois d'abord confier mes tâches de la journée à quelqu'un d'autre, mais ce sont surtout des soins quotidiens et la supervision du stage d'Eliakim qui s'en sort très bien tout seul. Et aussi... je pense qu'Oshady serait heureux qu'Aizen vienne lui rendre visite dans l'après-midi, par exemple.

— Bonne idée, appuya Kahu. Nous voulons veiller à ce qu'il ait de la compagnie toute la journée pour lui changer les idées le temps de sa convalescence et même s'il n'en a pas l'air comme ça, Eliakim a en fait du travail à faire pour planifier le spectacle éphémère de cet été. Les soigneurs sont là en permanence, évidemment, mais ce n'est pas tout à fait la même chose, d'autant qu'ils ont d'autres pensionnaires dans la nursery.

— Je vais lui dire, acquiesça Monsieur Gim avec l'ombre d'un sourire. Je suis certain qu'il en sera heureux.

Ils rejoignirent le bassin où Oshady discutait toujours avec Eliakim et Aizen, et Kahu fut celui qui annonça les deux bonnes nouvelles, d'abord qu'Aizen reviendrait passer l'après-midi avec lui, et ensuite que Malaki partait le lendemain matin pour prévenir ses parents. Et plus tard encore, lorsque la nuit fut tombée et que tout le monde eut quitté la nursery, alors qu'ils s'étaient installés dans le bassin pour dormir, Malaki sourit de sentir Oshady se pelotonner tout contre eux. Tout doucement, il enroula un bras autour de sa taille sans serrer, seulement pour le réconforter, et la petite sirène posa la tête contre son épaule.

— Merci, murmura-t-il. Et merci d'aller trouver mes parents demain...

En réponse, Malaki l'embrassa sur le front alors que sur le côté, sans un mot, Kahu entremêlait leurs doigts. Et ce fut un réel soulagement de sentir Oshady s'endormir sans peine, l'air serein.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant