MEXIQUE
Arme à la main, Aizen s'avança lentement et discrètement sur le balcon qui faisait tout le tour de la villa. La vue était superbe, donnant sur l'océan par-dessus la végétation du parc, sans la moindre habitation voisine pour gâcher le paysage. À cette heure-ci, le soleil était en train de se coucher, donnant une teinte ensanglantée aux vagues tout autant qu'aux murs cuivrés de la villa. En dessous du balcon, les lumières de la piscine étaient allumées, attendant que l'on vienne s'y baigner. Si tout se passait correctement, personne ne tremperait un orteil dans cette eau paisible ce soir.
Au tournant du balcon, le tueur s'arrêta juste avant d'atteindre la grande baie vitrée et se pencha prudemment, utilisant la lunette de son fusil pour observer l'intérieur de la villa. Pour le moment, tout était calme. Il n'avait pas croisé âme qui vive à l'exception du gardien à l'entrée dont il avait soigneusement évité la guérite. D'après ses informations, sa cible était seule jusqu'au lendemain, ce qui laissait une fenêtre inespérée pour l'éliminer sans dégâts collatéraux. Et la villa paraissait complètement vide, sans le moindre signe de vie. Par acquis de conscience, il vérifia avec sa lunette thermique, qui ne détecta pas plus de mouvement que l'autre. À croire que l'endroit tout entier était désert. Bizarre.
Dans le plus grand silence, il raccrocha son fusil pour crocheter la serrure de la baie vitrée et se glisser à l'intérieur de la villa immobile. La pièce dans laquelle il se faufila était une chambre, au décor trop impersonnel pour être celle du propriétaire des lieux. En revanche, le couloir qui se trouvait de l'autre côté portait bel et bien sa marque. À intervalle régulier sur les murs crème se trouvaient de grandes photos qui représentaient sa cible devant un décor différent. Le Taj Mahal, le Machu Pichu, la Grande Muraille... tous placés en contrebas alors que l'homme se prenait en photo avec un air conquérant.
— Connard prétentieux, murmura Aizen en passant.
Mais après tout, il y était habitué. Son job consistait la plupart du temps à faire disparaître des gens comme ce type, dont l'ego démesuré représentait une menace pour son employeur. Et c'était le plus souvent très satisfaisant de passer outre les systèmes de sécurité pour voir la peur dans les yeux de ces gens persuadés d'être intouchables et au-dessus de tout. Il était à peu près certain que cette fois ne ferait pas exception. C'était une mission de routine, qui ne prendrait que quelques heures, et il serait bientôt de retour dans le jet privé de la Ren Bank qui le ramènerait à Yokohama d'ici le lendemain.
Une première difficulté se présenta au tournant du couloir, juste avant de déboucher sur l'immense espace central de la villa. Il entendit les voix bien avant que l'une des portes ne s'ouvre sur deux gardes en costume noir, avec une oreillette chacun et un beretta à peine dissimulé dans leur holster d'épaule. Malgré tout un peu soulagé de voir enfin du mouvement, Aizen se glissa dans une chambre attenante pour attendre qu'ils s'éloignent. Inutile de se faire repérer si tôt, il n'était là que pour éliminer sa cible et ne comptait abattre quelqu'un d'autre qu'en cas d'absolue nécessité. Ces gardes ne faisaient que leur travail, ils n'avaient rien à voir avec la mission.
— Eh regarde un peu ! s'exclama l'un des deux. Viens là !
Par l'entrebâillement de la porte, Aizen jeta un œil dans le couloir et retint un soupir en découvrant les deux gardes qui posaient comme des idiots devant l'une des statues grimaçantes du pallier pour se prendre en selfie. Visiblement, ils étaient employés davantage pour la dissuasion que pour leur efficacité, et le tueur n'eut qu'à attendre qu'ils finissent de s'amuser pour pouvoir reprendre sa progression, dans la direction opposée à celle que les deux gardes avaient prise.
Puisqu'il avait étudié le plan de la villa avant de venir, il savait qu'il avait toutes les chances de trouver sa cible en bas, dans l'espace démesuré qui occupait une grande partie du bâtiment. C'était là qu'avaient lieu les réceptions, dans un décor au luxe éblouissant qui ne déparait pas au reste de la villa. Le propriétaire avait de l'argent et ne paraissait pas à court d'idées pour le dépenser si l'on en croyait ne serait-ce que le bar aux incrustations d'or et de nacre, fourni avec les alcools les plus chers que le monde pouvait offrir. Il y avait aussi des œuvres d'art inestimables, disposées avec soin à défaut de goût, et une surenchère d'éléments destinés à rappeler aux invités que leur hôte avait un ego encore plus grand que le leur.
Avec un rictus de mépris, Aizen continua à s'avancer doucement vers le grand espace dégagé en comparant cette villa tape-à-l'œil avec celle de son employeur, construite sur une petite île privée au large du Japon. C'était peut-être une différence de culture, mais la maison de Monsieur Hann-Zu Gim était un havre de paix où Aizen s'était toujours senti chez lui, meublée avec goût et simplicité sans la moindre ostentation. Comme disaient les gens d'aujourd'hui, «deux salles, deux ambiances». Dans tous les cas, il se demandait un peu à qui reviendrait cette villa une fois que son propriétaire serait retrouvé mort. Peut-être à des héritiers, ou bien elle serait vendue aux enchères avec tout son contenu, pour être rachetée par une autre fortune qui aurait la tête tout aussi enflée.
Il secoua la tête en retenant un reniflement de dédain puis arma soigneusement son fusil en atteignant enfin le balcon intérieur qui surplombait le grand espace. Il pouvait déjà apercevoir l'immense aquarium cylindrique qui en occupait le centre et sur lequel il comptait pour se dissimuler à la vue de sa cible jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Rapidement, il se faufila vers la rambarde et se pencha pour observer l'étage du dessous. L'aquarium lui dissimulait une grande partie de la pièce et il s'immobilisa complètement en découvrant ce qu'il contenait.
— Et merde, jura-t-il tout bas. Changement de plan.
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Odysseis (1&2)
ParanormalKahurangi est une sirène, mais pas que. Depuis quelques années, il travaille comme soigneur animalier au parc Odysseis qui recueille et protège des animaux marins blessés ou en danger. Il adore son travail, apprécie sincèrement ses collègues, et n'h...