17. Émotion

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Il fallut quand même trois jours pour qu'Oshady commence à retrouver un début de mobilité au niveau de sa caudale. Eliakim passa la majeure partie de ces trois jours à ses côtés, avec des visites régulières de Kahu et Malaki, des équipes d'Odysseis, et d'Aizen l'après-midi. Rahiri et Unutea logeaient elles-aussi dans le grand bassin hôpital, pour être auprès de leur fils, et l'humeur de tout le monde s'allégeait au fur et à mesure que l'état général d'Oshady s'améliorait.

À présent qu'il avait de la place pour bouger et qu'il se savait en sécurité et bien entouré, les couleurs lui revenaient. Il mangeait comme quatre, dormait longtemps, et surtout il semblait ne jamais vouloir s'arrêter de parler, ce qui était à la fois amusant et adorable. N'importe quelle personne passant au bord du bassin hôpital se retrouvait rapidement assaillie de questions, et Eliakim ne se lassait pas de travailler à ses côtés en discutant de tout ce qui leur passait par la tête. Mais aujourd'hui, la bonne nouvelle était d'importance.

— Regarde ! s'exclama Oshady en s'allongeant sur la plage à côté de lui.

Sa queue était encore trop maigre et rigide, mais la couleur sombre de ses écailles semblait commencer à s'éclaircir peu à peu. Et surtout, sa caudale s'agitait vaguement, de tout petits mouvements timides qui représentaient un énorme progrès. Cela rappelait à Eliakim les premiers jours après l'amputation de Jesse, quand il avait dû réapprendre à marcher avec sa jambe artificielle, et il ne savait que trop bien à quel point la joie de ces moments était vive.

— Incroyable ! Tu arrives mieux à la sentir ?

— Ça revient, peu à peu. Je suis sûr que bientôt je vais pouvoir bouger ma queue en entier ! Et alors là, toi et moi on fera la course pour voir ! Et je pourrai aussi m'entraîner avec toi pour le spectacle avec les dauphins !

Comme toujours, son enthousiasme était étincelant et contagieux, et Eliakim se mit à rire en assurant qu'il avait hâte d'en arriver là. De toute façon, il avait volontairement choisi des figures simples, qu'Oshady pourrait réaliser sans trop utiliser sa queue. En plus de ça, Kahu et Davy l'avaient aidé à mettre au point un programme de rééducation pour s'assurer que les muscles atrophiés reprennent peu à peu leurs forces. Oshady s'y était plié courageusement, et cela commençait déjà à payer.

— Est-ce que tu vas appeler Jesse ce soir ? demanda-t-il tout à coup.

Eliakim ne l'avait fait qu'une seule fois en la présence d'Oshady depuis qu'il lui tenait compagnie et les deux s'étaient bien entendu. Surtout que Jesse avait pu le rassurer concernant sa paralysie en lui assurant qu'avec un travail sérieux tous les jours, il retrouverait sa mobilité. Ce n'était donc pas vraiment surprenant qu'Oshady ait envie de lui parler à nouveau.

— C'est prévu, oui. Je peux faire ça depuis ici, tu vas pouvoir lui montrer que tu peux bouger un peu ta caudale.

Cela ne le dérangeait pas de partager l'attention de son petit ami avec Oshady, d'autant plus que rien ne l'empêchait de rappeler Jesse un peu plus tard une fois qu'il serait au calme dans la chambre d'ami chez Kahu et Malaki. Mais d'abord, il avait encore un peu de travail à faire, notamment pour un autre projet de médiation avec les enfants.

— On a déjà pas loin d'une quinzaine de classes de scolaires de prévues rien que pour le mois de juin, Kahu et Caden m'ont demandé de réfléchir à des ateliers de bricolage à faire avec eux pour les sensibiliser à la pollution et la vie marine. Tu veux m'aider à trouver des idées ?

Parce qu'ils avaient tous les deux une approche différente, ils réfléchissaient bien ensemble et Eliakim était heureux d'avoir quelqu'un avec qui discuter pour travailler et retravailler ses idées. Ils étaient en train de lister du matériel nécessaire lorsque l'équipe médicale apparut au bord du bassin, Kahu et Malaki en tête.

— Ça travaille dur, à ce que je vois, rit Mele. À croire que chaque sirène que l'on sauve finit par intégrer nos rangs...

— Oshady m'aide à réfléchir aux ateliers, expliqua Eliakim en se redressant. Mais surtout, il a une super nouvelle pour vous ! Vas-y, montre-leur !

Avec un immense sourire, Oshady se redressa sur les coudes pour agiter tout doucement sa caudale, ridant la surface du bassin. Et même si c'était un petit progrès, tout le monde poussa des exclamations de joie et de félicitation. Avec douceur, Malaki les rejoignit pour s'agenouiller dans l'eau auprès de lui et observer délicatement sa queue jusqu'à la nageoire, tout en posant régulièrement des questions pour savoir si Oshady sentait le contact de ses mains.

— C'est encore un peu engourdi, mais je commence à mieux le sentir !

— Ça va continuer à s'améliorer, promit Kahu avec son grand sourire. Et on dirait que tes couleurs commencent à revenir aussi !

C'était encore difficile à discerner mais l'horrible couleur grisâtre de ses écailles avait pâli par endroit, révélant des reflets plus chaleureux aux nuances d'or et de nacre. En se basant sur la couleur de sa mère, ils savaient que sa queue devait être dans les mêmes teintes ensoleillées et ils étaient tous impatients de la découvrir dans toute sa beauté.

— Déjà, on ne peut plus compter tes os à travers ta peau, remarqua Mele en souriant. Tu t'es un peu remplumé, c'est rassurant.

Il n'avait plus du tout l'air aux portes de la mort à présent qu'il mangeait à sa faim et dormait tout son content. Ses cheveux avaient perdu leur aspect d'algues pour retrouver une texture bien plus naturelle et Rahiri l'avait aidé à se coiffer avec des perles et du corail, ce qui lui donnait vraiment meilleure allure.

— Et je me sens tellement mieux, avoua Oshady en rosissant. Même si je ne peux toujours pas utiliser ma queue, je peux nager avec mes bras et je ne suis plus tout seul. J'ai du mal à me dire que, il n'y a encore pas si longtemps, j'étais dans une si mauvaise situation... ça commence déjà à ressembler à un cauchemar plutôt qu'à la réalité.

L'humidité dans ses yeux n'était probablement pas entièrement due à l'eau du bassin et Malaki lui pressa gentiment l'épaule, apportant un réconfort muet qui lui tira un faible sourire.

— Je ne sais même pas comment vous remercier, continua Oshady. Mais je suis vraiment, vraiment heureux d'être arrivé ici et de pouvoir aider Eliakim à préparer son spectacle et toutes ces choses qui me ramènent petit à petit à celui que j'étais avant d'être enfermé.

Ses émotions troublaient sa voix mais il souriait plus largement et il laissa Malaki le serrer dans ses bras alors que les autres essayaient courageusement de lutter eux aussi contre les larmes qui teintaient leurs sourires.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant