Odysseis (1&2)

19. Lever de soleil

Trois jours plus tard, à force de séances de kiné pour rééduquer ses muscles, Oshady pouvait bouger doucement sa queue depuis ses hanches jusqu'à sa caudale. Et il fallut toute la force de persuasion de ses mamans et du reste de l'équipe pour l'empêcher de trop s'agiter maintenant qu'il parvenait à nager un peu plus normalement.

— Tu es exactement comme Kahu, rit Malaki en lui donnant une pichenette sur le front. Absolument incapable de tenir en place plus de quelques minutes. Laisse-toi le temps de guérir un peu plus avant d'essayer de te tordre une nageoire en voulant bouger trop vite.

Avec une moue boudeuse complètement adorable, Oshady s'immobilisa enfin et Malaki continua à rire alors qu'Eliakim passait un bras autour des épaules de son ami pour le secouer gentiment.

— Tu as déjà fait le plus gros ! assura-t-il. Tes couleurs sont revenues et il ne te manque plus que quelques muscles pour que nous puissions faire la course comme promis.

Au fil des derniers jours, ses écailles s'étaient peu à peu colorées, perdant leur aspect grisâtre maladif pour retrouver progressivement leur teinte étincelante. Comme ils s'y attendaient, il arborait des couleurs très proches de celles de ses parents, tout en nuances d'or et de nacre.

— Comme un lever de soleil sur la mer, sourit Mele depuis le bord. Je n'en reviens toujours pas de l'immense diversité des couleurs parmi les sirènes. Non seulement vos nageoires n'ont pas les mêmes formes — et je ne parle même pas de Malaki et ses tentacules — mais en plus vous avez toutes les teintes possibles et imaginables.

En réponse, Eliakim agita légèrement sa caudale à côté de celle d'Oshady, comparant leurs différences. Sa queue était un peu plus longue, et bien évidemment plus épaisse et plus souple, puisqu'il était en meilleure santé. Il n'avait aucune nageoire secondaire, seulement une caudale aussi fine qu'un voile, et toute sa force motrice résidait en fait dans ses bras et les muscles de sa queue. Oshady en revanche avait deux petites nageoires de chaque côté de sa queue, et une caudale en forme de croissant qui lui permettait de se propulser autant que de se diriger comme un gouvernail. Et là où Eliakim avait les écailles turquoise à partie de sa taille qui se dégradaient vers du rose violine en descendant vers sa nageoire, lui avait les couleurs de l'aurore sur la mer, comme avait dit Mele. Sa caudale était d'un splendide doré tirant sur le nacré, comme un croissant de lune ou un demi-soleil, alors que ses écailles hésitaient entre un rose pâle et un bleu doux suivant l'angle selon lequel on le regardait.

— C'est pour ça que notre spectacle va être génial ! assura Eliakim avec un grand sourire. Moi en turquoise et rose, Oshady en doré, Kahu en vert et Malaki en violet... ça va rendre super, super bien !

— Et si ça ne te dérange pas, reprit Mele, j'aimerais faire quelques photos avec toi. Tout est bien plus facile avec de vraies sirènes pour poser sur les affiches au lieu d'avoir à retoucher des photos d'humains maladroits...

— Bientôt on va se retrouver à faire des cartes à collectionner, intervint Kahu en riant. Et celle de Malaki se vendra mieux que toutes les autres parce qu'il est le plus beau et le plus exotique de nous tous.

— Tu sais quoi ? Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée...

Ils se mirent tous à rire de l'air calculateur sur le visage de Mele et Eliakim songea que ça ne lui déplairait effectivement pas, d'avoir une carte le représentant. Il pourrait l'offrir à Jesse par exemple... Souriant, il écouta Mele et Kahu débattre du projet avec leur enthousiasme habituel, auquel Oshady se joignait de plus en plus souvent, mais le calme revint un peu lorsque de nouvelles personnes les rejoignirent. Davy précédait Monsieur Gim et Aizen, lequel vint s'accroupir au bord du bassin avec l'expression douce qu'il réservait à leur rescapé.

— Il paraît que tu parviens à nouveau à nager ? demanda-t-il avec l'ombre d'un sourire.

— Et comment ! Regarde un peu ça !

Sûr de lui, Oshady se laissa couler en arrière et ils le regardèrent tous faire lentement le tour du bassin, parfaitement visible à travers la surface. Il n'était peut-être pas extrêmement rapide, ni même très assuré, mais il se débrouillait tout seul et ses mouvements étaient souples. En secouant la tête avec amusement, Eliakim jeta un regard à Aizen et se figea en voyant l'humidité au bord de ses yeux sombres. Son émotion était visible sur son visage d'ordinaire si neutre, et Monsieur Gim dut le sentir puisqu'il posa simplement la main sur sa nuque, dans un geste aussi possessif que tendre. Et puis Oshady perça à nouveau la surface, et Eliakim reporta son attention sur lui.

— Trop bien, hein ? Je vais continuer à faire mes exercices avec Malaki et bientôt je pourrai faire la course avec Eliakim !

— Et je suis certain que tu lui en mettras plein la vue, répondit Aizen avec une moue complice.

Mais il y avait quelque chose d'un peu triste dans son attitude, ou mélancolique peut-être, et Eliakim se demanda s'ils avaient reçu une mauvaise nouvelle, ou quelque chose dans ce genre. Sauf que c'était plutôt l'inverse et c'était eux qui avaient une nouvelle à annoncer.

— Maintenant que tu es presque guéri, nous allons rentrer chez nous, déclara gentiment Monsieur Gim. Tu es bien entouré, avec tes parents en plus de toute l'équipe, et nous avons du travail qui nous attend.

— Oh... murmura Oshady avec une mine déconfite. Mais vous allez revenir me voir, pas vrai ? Vous viendrez assister au spectacle de cet été ?

Aizen échangea le plus bref des regards avec son compagnon, qui hocha imperceptiblement la tête avec un léger sourire.

— Bien sûr que oui, dit-il ensuite. Et Aizen reviendra te rendre visite pendant que tu séjournes à Odysseis. Ensuite... eh bien nous réfléchirons à une autre façon de prendre de tes nouvelles.

Cela ramena un sourire sur le visage d'Oshady qui se redressa avec son impulsivité naturelle pour jeter ses bras autour du cou d'Aizen et le serrer contre lui. D'abord surpris, le tueur lui rendit rapidement son étreinte, une expression vulnérable et émerveillée sur son visage.

— Merci, murmura Oshady. Merci de m'avoir sauvé, merci pour tes conseils et pour ton aide.

— Je vais laisser mon numéro de téléphone à Malaki, comme ça tu pourras m'appeler si tu as besoin. Et en attendant... j'ai un petit quelque chose pour toi.

De la poche de son costume — qui prenait complètement l'eau — il tira un petit sachet de soie brodé des carpes koï enflammées de la Ren Bank. De là où il se trouvait, Eliakim ne pouvait pas bien voir ce qui se trouvait à l'intérieur mais il aperçut un bref éclat de lumière avant qu'Oshady ne pousse un petit cri et ne resserre son étreinte autour du cou d'Aizen, dont les yeux brillaient à nouveau.