Chapitre 14-Transformation

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     (pour soutenir la lecture, je vous propose l'écoute de "Une histoire étrange" de Laylow, une de mes musiques pref)

     Putain... On ne pouvait nous révéler information plus saugrenue. Des liens puissants? Avec l'un d'entre nous? Qu'est-ce-que cela signifiait? (à mon avis les renards étaient un peu fous) Le renard qui nous avait parlé désigna tout d'abord Satine. Ce geste effraya tout le monde. Sa griffe pointait vers elle comme le doigt du spectre de la Mort, comme le viseur d'un tireur d'élite, comme le couteau de sacrifice d'un Aztèque ou encore comme la hache d'un bourreau. Nesrine frémit et demanda vaillamment ce qu'il voulait dire par là. Le vent se mit à souffler et le feu s'éteignit soudainement. Nous baignions à présent dans une semi-obscurité, seulement éclairés par les étoiles. Je me sentais oppressé de toute part: les arbres formant des ombres étranges dans l'obscurité, les allures fantomatiques de notre campement, les crocs et le pelage luisant de notre interlocuteur et puis ce vent humide venant de la jungle, qui ne cessait de me faire frisonner. La sentence tomba. Le canidé déclara :

      « Nous l'emmenons, elle est de notre famille à présent. »

      J'aurais pouffé de rire et j'aurais envoyé un coup de pied dans son pelage roux, en d'autres circonstances. Je m'abstins car, brusquement, Satine tomba à terre. Nesrine la soutint, elle lui murmura que tout allait bien se passer, les renards racontaient des bêtises pour nous déstabiliser, Dieu nous viendrait en aide. Ses paroles réconfortantes ne suffirent pas. En effet, Satine se mit à hurler à la mort. En tournant la tête, je vis deux oreilles pointer sur le crâne de Satine.

      Des oreilles rousses. Elle piqua un sprint vers la forêt tropicale comme si elle pouvait y trouver refuge, échapper à l'horrible sensation qu'elle devait subir. Elle courut avec une jambe, elle s'écroula, non, il y avait une patte poilue à la place de sa défunte longue jambe fine. Des tremblements la parcouraient : elle ne criait pas, ne levait pas les yeux. Elle parut se recroqueviller sur elle-même et ce spectacle me causa beaucoup de peine. Il fut tellement rapide que personne n'eut le temps de faire un geste. Je crus bien qu'elle fut morte quand elle s'arrêta de trembler. Un pelage roux perçait déjà sous ses vêtements. Un glapissement sortit de sa gorge, puissant, farouche, mélancolique, bienheureux. Les émotions fortes dégagées nous atteignirent d'abord, puis nous fûmes frappés de constater qu'une renarde rousse s'échappait vers la jungle, à la place de Satine. Ses vêtements déchirés tombèrent sur le sol.

      Nesrine fut la première à réagir : elle se mit à la poursuite de la bande de renards qui partait à la suite de Satine la renarde. Elle était sur le point de saisir un des animaux quand elle se prit bêtement un arbre de plein fouet. Le visage en sang, elle appela sa meilleure amie. Elle était désemparée. Gaëtan se précipita à ses côtés et la prit dans ses bras. Il la dorlota doucement. Nous étions tous plus que désemparés : Paul, Maurice et Satine, trois amis qui manquaient à l'appel. Pourtant il nous fallait dormir, car il nous serait impossible de retrouver les renards dans cette jungle qu'on ne connaissait pas, en pleine nuit. Comment penser à dormir alors qu'un tas de questions remuait dans ma tête ? Tant bien que mal, je me couchai sur le lit composé de broussailles, dans la cabane en bois. Youssef partageait ma chambre. Il était étendu sur le dos, les yeux grands ouverts, fixant le plafond de notre cabanon. Il avoua :

       « Je connais Satine depuis l'école primaire. Je ne suis pas aussi proche qu'elle l'était de Nesrine mais ça me fait un sacré choc quand même...Je me rappelle cet hiver, dans le tableau Ski quand nous avions 9 ans, première fois que nous voyions la neige, Satine s'était enfoncée jusqu'au cou au premier pas. Elle voulait essayer de traverser la neige sans raquettes parce qu'elle voulait qu'on la surnomme Flocon suite à sa réussite. Mais elle tomba lourdement et on avait dû construire une mini-grue en bois à l'improviste, avec mon père. Ha ha ! Sacré Satine, elle a toujours été intrépide, ambitieuse et rêveuse, même si l'arrivée d'Obnut et la mise en place de notre combat la changea beaucoup. Tu sais Luke, à l'époque, j'étais même amoureux d'elle mais elle est devenue plus une amie qu'autre chose. Maintenant c'est une renarde. Mais pourquoi? En ce moment difficile, j'aurais aimé me blottir dans des bras chaleureux. D'ailleurs tu devrais faire ça.

       -Comment ça ?

       -Avec Louane.

       -Hein ? Comment tu sais ?

      -Oh, tu sais, je l'ai appris dès le premier jour où je t'ai vu. Le regard que tu échangeas avec Louane sur le champ de bataille fut presque aussi puissant que ton cri de paix avec le renard. Alors fonce la réconforter.

      -Mais juste comme ça ? C'est un peu intrusif et puis il y a JB aussi, c'est ton pote alors j'imagine que tu souhaites qu'il réussisse aussi. Tu m'as dit que lui aussi était amoureux de Louane.

       -C'est mon meilleur pote, avec Louane. Mais je les connais : il n'y aura rien qui puisse se passer entre eux. JB sera sûrement atteint et bouleversé s'il apprend que tu lui voles Louane mais ça ne durera qu'une semaine. Crois-moi, elle ne pourra être qu'heureuse de te voir surgir dans sa cabane de bois. Vas-y mollo bien sûr, mais je te fais confiance.

       -D'accord, tu m'as convaincu. »

       Avec de si belles paroles, j'étais bien obligé d'y aller. Après bien sûr ce qu'il m'avait suggéré j'en crevais d'envie, mais cela me semblait légèrement trop tôt. Sur les cinq mètres qui séparait la case de Louane de la mienne, je sentis mes jambes devenir de coton. Mon cœur battait à 100 à l'heure, tellement fort que je crus entendre son écho. Le souffle court, je marquai un temps de pause devant la porte en bois. Et prenant mon courage à deux mains, je toquai à la porte comme si je jouais ma vie. J'entendis un oui interrogatif et j'entrai. Je la trouvais prostrée sur son lit. Une bière se trouvait derrière les feuilles. Elle semblait patraque et me demanda doucement :

       « Qu'est-ce-qu'il y a Luke ?

       -Je suis venu voir comment tu allais. Je peux m'asseoir ici ? »

      Elle me fit signe que oui et je m'assis à côté d'elle. Juste à côté, Mathieu dormait à poings fermés. Soit il était très serein soit c'était son moyen (visiblement très efficace) pour évacuer le stress. Louane me regarda droit dans les yeux, avec sa détermination que je connaissais bien maintenant. Elle me dit :

      « Je n'ai même pas les mots pour dire mon état.

     -Je comprends. Moi non plus, je ne sais plus comment me placer face à cette situation. A la base, avant tout ce bazar, je devais juste aller refaire ma déco dans une brocante. Le seul truc qu'il y a dans ma maison c'est un vieux masque africain qui orne ma cheminée, maintenant il y a un train à la place et je n'y comprends plus rien. Quand j'étais petit, à l'époque où c'était simple, je croyais que c'était le père Noël qui s'était cogné à la cheminée et que c'était pour ça qu'on avait un masque sur la cheminée qui faisait une grimace.

      -Tu fêtais Noël ?

     -Oui et je continuerai encore, même si je devais le fêter dans cette jungle. Et toi ? Tu fêtes Noël?

       -Non, ma mère devait s'occuper de moi seule et elle n'avait jamais les moyens et la patience de se consacrer à une fête. Comme elle devait se concentrer sur son travail, je passais tout mon temps libre dehors, entre les murs de la cité. J'ai eu pas mal de galères mais maintenant c'est passé. Ma mission d'aujourd'hui consiste à venger mon père en éliminant Obnut.

       -Qu'est-ce-qui est arrivé à ton père ?

       -Il est mort... »

       Elle resta quelques instants silencieuses puis fondit en larmes :

      « Mon père voulut changer les choses, garantir un beau cadre de vie à notre banlieue...Il est allé jusqu'à parler au gouvernement de notre tableau en face-en-face et il a fait un tas de choses pour arranger les choses ou sensibiliser les bourgeois. Nous habitions dans un grand tableau appelé "Je viens de là". Un jour, un homme puissant n'a pas aimé qu'il veuille sortir de la pauvreté. Il a envoyé des hommes l'assassiner à un coin de rue, tard le soir. Cet homme cruel, c'était Obnut. On a retrouvé mon père dans un état horrible le lendemain.»

       Affligée, elle tomba en larme. Je la pris dans mes bras et elle déposa doucement sa tête sur mon épaule. Elle commença à laisser tomber doucement ses paupières. Elle murmura un remerciement et je lui répondis que je serai toujours là pour elle. Elle sembla s'endormir en paix. Je ne tardais pas longtemps à m'endormir aussi.


VS le tableauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant