Chapitre 2

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6 mois plus tard ...

Evan

   — Sept infirmières Evan ! T'as réussi à virer sept infirmières en même pas un mois mec ! C'est une vraie galère pour en trouver qui se se déplace à domicile. Fais un effort !

   Charly me fait la leçon depuis dix bonnes minutes. Je ne suis plus un gamin. Pour être franc, il m'emmerde... et il n'est pas le seul. Infirmières, kinésithérapeutes, médecins me traitent comme si j'avais perdu mes facultés intellectuelles et non physiques. Je n'en peux plus qu'on m'infantilise. Je déteste ça. Depuis cet accident qui a fait voler ma vie en éclat, emportant mes jambes avec, je ne supporte plus grand chose. Je baisse les yeux sur mon engin à deux roues. Six mois que qu'il est devenu mon meilleur pote ou mon pire cauchemar. Tout dépend sous quel angle on voit la chose. Je suis devenu un fardeau pour mon entourage. J'aurais préféré succomber lors de cet accident et je me demande tous les jours pourquoi je suis encore là. Ma vie s'est arrêtée en même temps que mes membres. Je ne veux pas qu'on m'aide, encore moins pour me laver. Ce geste si simple me renvoie à ma faiblesse. C'est insupportable. Je me sens inutile et incapable de faire quoi que ce soit. Bien sûr, j'ai toujours l'usage de mes bras et de mes mains, mais ça ne me suffit pas. Les gens n'imaginent même pas mes démons intérieurs. J'envie toute personne capable de tenir sur ses deux pieds. Evidemment, je ne montre pas ma détresse face à cette situation. Je me complais dans l'ironie, l'humour noir et la méchanceté, bien souvent gratuite C'est moche, je sais. Mais, au moins, de l'extérieur on ne voit rien.

   J'entends toujours Charly me faire son discours à deux balles sur la politesse, le respect et que ces gens sont là pour m'aider , mais je m'en balance.
Je me remets face aux baies vitrées de ma cuisine. Ces dernières composent une grande partie de la structure de mon appartement. Avant, j'adorais me tenir là, debout, comme si je dominais la ville. Actuellement, elle me crache mon infirmité. Devant moi, la grande pomme que j'adorais arpenter. J'aimais tellement cette ville en effervescence perpétuelle. Ces grattes-ciel et ces milliers de vitres qui, les jours de grand soleil, embrasent Manhattan. La ville qui ne dort jamais me nargue tous les jours.

   Je vis au dernier étage d'un building dont nous sommes les propriétaires avec Charly. Appartement terrasse sur deux étages. Personne au-dessus mise à part le ciel. Mon havre de paix depuis des années. Depuis six mois, il est devenu ma prison. Je ne veux plus sortir. Je refuse qu'on me voie ainsi. L'avantage d'habiter au dernier étage, c'est que l'on connaît avant tout le monde la météo. Je contemple le ciel qui enfile son manteau de velours sombre. Il est aussi gris que mon âme. La pluie se met à tomber. Chaque goutte qui tombe est un souvenir de ma vie passée. Les larmes manquées de mon présent. La voix de Charly me ramène à la réalité.

   — Oh ! Evan! Je te parle.

   — Quoi encore ? Ton stock de salive n'est toujours pas épuisé ? Lui lançais je sans me retourner.

   — Non j'en ai à revendre. Pourquoi tu l'as virée celle-là ?


   — Je ne l'ai pas viré. Elle est partie d'elle-même. Je n'y suis pour rien si elle est susceptible.

   — Ok ! Donc je réitère ... pourquoi est-elle partie ?

   — Je lui ai donné le numéro du meilleur dermatologue du pays. Une mouche à merde avait élu domicile au dessus de sa bouche. Il était temps qu'elle retrouve sa liberté

   — T'es vraiment un sale con ... un vrai gosse!

   — Va dire ça au gars qui m'a enlevé mes jambes.

   — Écoute mec, tu peux pas continuer comme ça. Tu n'es que l'ombre de toi-même. Ta mère n'ose même plus t'appeler. C'est moi qu'elle contacte quand elle veut des nouvelles. Tu refuses toute aide médicale alors que tu en as besoin, tu te laisses aller.

   Je secoue la tête pour dire non. Ma confiance envers le corps médical s'est étiolée lorsque mon opération a foiré. Ma colonne était endommagée ce qui a provoqué chez moi une parésie des membres inférieurs. Les médecins restaient tout de même très confiants. Ils m'ont laissé l'espoir de pouvoir remarcher après une opération mais ils n'avaient pas prévu qu'une contusion se formerait au niveau de ma colonne. Résultat, tous les fils sont connectés, j'ai les sensations mais je ne peux toujours pas marcher. Mon nouveau diagnostic est une paralysie incomplète des membres inférieurs. Le médecin a quand même essayé de me rassurer quand il a évoqué la possibilité d'envoyer mon dossier à certains confrères neurochirurgiens très reconnus. Mais je refuse qu'on touche de nouveau à la colonne.

   — Bon, très bien, tu refuses d'entendre parler de médecin pour l'instant. Pas de soucis ! Mais, tu ne peux pas te passer d'infirmière et tu le sais. J'ai réussi à en trouver une autre, m'apprend Charly. J'ai appelé Lina pour savoir si elle avait des connaissances, elle m'a parlé d'une personne. Nous avons échangé quelques messages et quelques appels. Ta mère et moi avons décidé de lui donner un entretien aujourd'hui.

   — Comment ça aujourd'hui ? Et depuis quand ma mère et toi vous prenez ce genre de décisions, de faire des castings de la parfaite petite infirmière pour moi. Je suis peut-être le patient mais je reste l'employeur.

   — Oui oui, t'as raison ma Brenda, mais, en attendant, il te faut une infirmière. 

   — Je me débrouille parfaitement tout seul.

   — Ah bon ! C'est vrai que tu es devenu un maître en matière de déplacement. Tu rampes à merveille jusqu'à ton fauteuil. D'ailleurs, la communauté des escargots m'appelle tous les jours, ils réclament leur roi.

Je lui balance mon plus beau doigt.

   — Tu as besoin d'une personne pour t'aider ici, elle sera juste là en cas de besoin. Donc, fais-moi plaisir de coller un joli sourire sur ce visage, fît-il avec tout son enthousiasme en mimant un sourire avec ses doigts.

Je me force à étirer mes maxillaires en prenant soin de bien dévoiler toutes mes dents, avec un air de psychopathe.

   — Un vrai rayon de soleil, lâcha Charly exaspéré. Putain Evan, arrête de sourire comme le Joker, tu vas la faire fuir.

   J'ai conscience que mon apparence et mon comportement sont pathétiques. Barbe longue, cheveux longs, grognement. Un véritable homme des cavernes. Mais pourquoi faire des efforts? Tous mes amis m'ont tourné le dos à part Charly. J'ignore mes parents et la gente féminine ne voudra jamais d'un mec comme moi. Et pour couronner le tout, en dessous de la ceinture tout est anarchique. Je n'ai pas l'énergie de prendre soin de moi ! Je ne veux plaire à personne. Faire fuir les gens est devenu une spécialité. L'interphone retentit. Charly décroche le combiné et demande à la personne de monter. Il se tourne d'un coup vers moi et me dit :

   — Tu ne mords pas, Tu ne grognes pas, Tu ne roules sur personne... une phrase se compose d'un sujet verbe et complément. Tu es poli ! Et surtout, , tu t'abstiens sur les grains de beauté.

   La sonnette retentit au moment où il termine son laïus. Charly part ouvrir et je reprends ma place devant la fenêtre.

*

La peur ne se fuit pas ... {terminée}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant