The Price of Freedom

|36| Ceux qui nous ruinent

     Assise dans le noir, je prends conscience de tout ce que je ne peux pas voir. Le bitume rugueux effleurant le tissus de mes vêtements, le moindre son, même à peine audible, qui m'alerterait d'une quelconque présence, la poussière et l'odeur d'humidité poisseuse que la muselière qui compresse ma mâchoire ne filtre pas.

     Pourtant, je n'ai jamais autant souhaité pouvoir ne plus rien ressentir. Pouvoir éteindre mes sens, mettre en veille cette machine usée qui me sert de corps, qu'il ne reste que le vide que rien ne viendrait combler. Ainsi je serais aveugle des barreaux et des chaines et je n'entendrais plus ce grésillement constant qui m'avertit de ne pas trop bouger mes poignets menottés.

     Je veux juste me couper de tout. À ce stade, qui me retiendra de sombrer ? Mes muscles se sont raidis à force d'être restés si longtemps sans bouger. Je ne me sens même pas capable de tenir debout, en imaginant que mes deux jambes parviendraient à supporter mon poids sans plier. Le temps continue d'avancer et je suis toujours bloquée ici.

     Les secondes sont devenues des minutes et les minutes des heures, et j'ai finalement arrêté de les compter. Ce qui se passe en-dehors de cette cellule m'est complètement inconnue, puisque c'est un autre monde dont je ne fais désormais plus partie. Je ne peux rien faire d'autre qu'attendre, que le temps s'arrête complètement pour moi et que je ne fasse plus partie de rien du tout.

     Alors j'attends, avec pour seule compagnie un simple nom qui, durant ces dernières vingt-quatre heures est devenu synonyme d'obsession pour moi :

     Enola.

     Et à chaque fois que ce nom me revient en tête, que j'en épelle les lettres au point de les visualiser inscrits sur le sol à mes pieds, je me remémore une phrase que m'a dite Marcus Cassius au quelle je n'avais naïvement pas accordé grande attention :

« Evidemment la discrétion est de mise. Crois-moi, lors d'un tel évènement, tu auras l'air d'une autruche si tu ne te déguises pas comme eux. »

     Je n'ai pas su voir plus loin que ce que l'on m'a montré. J'aurais dû creuser les couches suivantes, ne pas laisser le jugement des autres influencer le mien. Ainsi, peut-être que j'aurais pu découvrir ce que cachait cette façade reluisante de mensonges avant qu'elle ne m'explose à la figure. Enola a joué son rôle à la perfection, modélisant la fiction pour en faire une réalité que nous voulions tous croire. Son déguisement était parfait, je ne le réalise que trop tard, quand elle l'a déjà enlevé.

     La trahison fait naître de l'incompréhension, d'abord. Elle vous rend si minable et perdue, jusqu'à vous convaincre que vous êtes coupable des actes d'une tiers personne. Que c'est votre faute. Puis vient la colère. Celle qui vous comprime les poumons, qui vous fait pleurer lorsque vous voulez hurler. C'est cette colère qui, lorsque vous serez à bout de force, vous remettra sur pieds avec une seule idée pour vous motiver : la vengeance.

     Je m'imagine Enola, ses yeux ambrés luisant à la lueur des néons, son teint cireux et les balafres sur ses joues. Je la vois et je me jure que je me vengerai. Je vais la trouver et je lui ferai payer jusqu'à ce qu'elle me donne une raison valable de nous avoir trahi.

     Alors puisque la colère est le seul carburant qui me donne encore de la force depuis quelques temps, je me relève. Ma vue se brouille mais je reste bien camper sur mes jambes. Le grésillement se fait plus intense. Je sais exactement qui m'a donné cette épingle alors que je la tourne du bout des doigts, même si je ne le fais pas aussi adroitement que l'aurait fait Luke. La paire de menotte tombe avant que la charge ne m'immobilise complètement.

« L'oisillon essayerait-il de s'échapper ? »

     Je me stoppe net, comme le ferait une fillette prise en fragrant délit. Je ne l'ai pas entendu arriver. Aucun doute cependant, c'est bien lui. Même dans la pénombre, impossible de se tromper. Je reconnaîtrais cette voix entre mille.