CHAPITRE 002

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DOURMI s'apprête à célébrer, dans un enthousiasme populaire, le mariage de Souley, fils du chef de village, avec Bouli, unique fille de l'unique marabout du coin. Depuis une semaine, la nouvelle circule de bouche à oreille, surtout parmi les filles. Toutes voudraient, pour la circonstance, paraître plus belles, plus charmantes. Aussi, ne cessaient-elles de harceler leurs mamans de ces nombreux "paie-moi ceci, paie-moi cela !".
Maimou, elle, ne semble pas se soucier de ce qui se passe autour d'elle. Elle n'en parle même pas à sa mère. Et son attitude ne cesse d'étonner les autres filles.
Certaines dirent même qu'elle
manifestait cette indifférence à cause de ses qualités physiques dont elle est d'ailleurs consciente. Mais en réalité, Maïmou se demande si sa mère accepterait de l'habiller convenablement. C'est pourquoi elle se gardait bien de lui demander quoi que ce soit.
Mais voilà que Salmou, ce soir la, de retour de Kangaou, l'autre gros village de la région, appela sa fille pour lui remettre une jolie camisole multicolore et son pagne, une belle paire de chaussures, des boucles d'oreilles, des perles chatoyantes et plusieurs produits de beauté.

Maïmou, d'abord interdite devant ce geste, se ressaisit, puis longuement la remercia avant d'aller ranger ses somptueux cadeaux.
Le lendemain, dimanche, jour du mariage de Souley et de Bouli, Maïmou se fit tresser les cheveux chez la vieille Ramatou qui, depuis un quart de siècle, vit de cet art.
Dès le soir, dant tout le village, ce n'étaient que cris d'enfants en bandes joyeuses, battements de tam-tams enfièvrés, chansons et déclamations rauques ou mélodieuses des griots accompagnés de leurs "kuntiri" ou de leurs "moolo".

Chez Bouli, la cour est pleine de monde. Le dehors aussi.
Filles et garçons dans la tendresse de leur âge se promènent, s'accostent, échangent des propos, rient à belles dents et se promettent monts et merveilles.
Seule Maïmou n'y est pas. Son absence fut si remarquée que Rabi, sa meilleure amie, se décida à aller s'enquérir de ce qui la retenait.
A peine en eut-elle l'idée qu'on aperçut Maïmou, vêtue de ses plus beaux atours et souriante, comme pour laisser entrevoir ses petites dents très blanches.

Dès qu'elle parvint jusqu'au public, un murmure assourdissant que dominait l'enthousiasme se répandit aussitôt sur les lieux.
Tous les regards se braquèrent sur elle. Les autres filles, jalouses, ne cachèrent pas leur dépit, car Maïmou était comme la reine du soleil et du beau temps, le crépuscule qui enveloppe le monde, une fille, plutôt une sorcière, dont le regard vous pénètre, et vous transporte irrésistiblement dans un monde fascinant de rêves et de douceurs.
Maïmou salua gentiment l'assistance et alla s'asseoir près de son amie. Ce fut alors une véritable valse dans les rangs des garçons éblouis par tant de beauté, de charme, d'élégance et de fraîcheur. Chacun veut l'approcher, lui parler; chacun veut surtout obtenir d'elle , qu'elle lui jette un doux regard ou le gratifie d'un sourire. Même les joueurs de tam-tams s'arrêtèrent de jouer un instant, pour satisfaire leur curiosité.
Lorsque la danse reprit son cours normal, la vieille Ramatou vint trouver Maïmou et l'invita à danser. Maïmou avait peur de décevoir le public ; mais après quelques hésitations, elle accepta d'aller au milieu du cercle formé pour la circonstance.

Dans toute la splendeur de sa jeunesse, elle exécuta
les pas d'un "zaney-zaney guntu". Très emballé, un garçon se détacha aussitôt de la foule, vint jusqu'à Maïmou et fit voltiger autour de sa tête quelques billets de banque d'une valeur de mille francs; un autre prit la relève avec deux mille francs, puis apparut un troisième, Adamou:
d'emblée, il sortit cinq billets craquants de mille francs pour les coller au front de la danseuse, ce qui provoqua un véritable
tonnerre de "you-you" stridents,
d'acclamations et d'éloges, car jamais on n'avait vu pareille... "folie".
Pour Maïmou, l'instant était à l'émotion.





Le lundi à l'aube, les filles, assises sur une grande natte autour de leur "tubal" traditionnel, entonnèrent quelques airs en l'honneur de la jeune mariée.
Maïmou, avec une voix au timbre spécial qui lui vaudra l'admiration des unes et la jalousie à outrance des autres, interpréta de sa voix câline, cette douce chanson qu'aujourd'hui encore dans les campagnes on continue de vivifier et de perpétuer de génération en génération au Niger :

Si heen Nyaale si hee Nyaale,
si heen Nyaale ka mundi kay mo ra
Zeynabou gin dum day
Amadou gin dum day
Kal or ma koy yongo..
Dii-cera ma te baani,
ni kurnye ma ni yaari
Irkoy ma ni faabaa
Gurma day beero,
Hawsa day beero,
Yaawiri day beero,
Dalway day beero
ni ibar ma zulla ra
hal a ga too bindi
bono ma te kaaru.


TRADUCTION :

Ne pleure pas beauté, ne pleure pas beauté
Ne pleure pas beauté car des larmes tu arracherais à mes veux
Zeinabou t'accompagnera, voyons
Amadou t'accompagnera, voyons jusqu'à ce que vous soyez arrivés là-bas puisse votre rencontre se faire en paix puisse Dieu te venir en aide.
Le grand puits du Gourma, le grand puits du Haussa, le grand puits de Yaouri le grand puits de Dalway que ton ennemi tombe dedans et, avant qu'il n'en atteigne le milieu que sa tête se brise en mille morceaux



Pendant que les filles chantaient, les garçons eux, se réunissaient en petits groupes d'amis pour ne parler que de Maimou. Il fit presque jour. Les filles s'apprêtèrent à rentrer chez elles; j'honneur revint une fois encore à Maïmou d'interprêter le chant d'adieu:

Ir wondiyey bono hiji, mate nir ga te
yeeji nir ga san ganda wala haw gunu ?
Haw guno ga bakarandi
y yeeji ir ga wi;
din anzurey futa gin waw
ni ma heen ma dangey,
din kurnye kayne tun gin waw
ni ma heen ma dangey
din kurnye beere tun gin waw
ni ma heen ma dangey
din kurnye bumbu tun gin waw
min gambu candi,
kan se gambu candi sinda haawi
saakaala se;
ir cineyey kir ga te cer se isa fond ra, ir cineyey kir ga te cer se fari fonda ra, Nyaale ma sar ga jippo ce hinza
satto bisa.

TRADUCTION :

De nous autres filles, la responsable s'est mariée, comment ferons-nous ?
un taureau jeterons-nous à terre ou une vache en gestation ?
La vache en gestation inspire la pitié,
C'est un taureau gendreusncenant qui ta injurice.
tu dois pleurer et te taire si de ton époux le frère aîné un jour t'injurie, tu dois pleurer et te taire lorsque c'est ta belle-soeur méchante qui t'a injuriée
tu dois pleurer et te taire
lorsque ton époux en personne s'est mis à t'injurier, tu dois collecter tes affaires;
puisque collecter ses affaires n'entraîne pas de honte
pour une jeune femme; nos propos à voix basse sur la route du fleuve nos propos à voix basse sur la route du champ, Nyaale saute et retombe trois fois, l'ère en est passée.

MAÏMOU ou Le drame de l'amour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant