CHAPITRE 24

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-D'où viens-tu, lui demande-t-elle ?

Quelle question !

- Quelle question ? N'ai-je pas le droit de savoir quand tu entres à pareille heure ? Tu es parti depuis ce matin, et tu ne rentres que maintenant alors que les coqs commencent à chanter. En tout cas ne me dis pas que tu étais au champ. Donc je veux savoir, et c'est mon droit.

- Non, tu n'en as pas le droit.

- Si, avant tout je suis ton épouse, et je dois savoir. Oui je dois savoir tout sur toi et sur tes actes.

- Mais enfin, tu exagères Maïmou. L'homme, vois-tu, doit toujours avoir un côté mystérieux pour son épouse.

-Ce côté mystérieux dont tu parles, n'est-ce pas la cour assidue que tu fais en ce moment à Kadi Haïnikoye; celle qui va devenir bientôt ta nouvelle épouse ?je ne t'empêche pas de te marier d'ailleurs je n'en n'es pas le droit. Mais j'aurais souhaité au moins que ce ne soit pas quelqu'un d'autre qui m'apprenne la nouvelle,alors que c'est moi qui vis avec toi

-Je dois avouer que tu as vu juste et que ton réseau de renseignements est particulièrement efficace. En effet, je viens de la quitter à l'instant même et j'ai décidé que nous allons nous marier sous peu, car je ne peux pas continuer à vivre avec toi seule dans les conditions que tu sais. Tu ne m'appartiens plus.
Ta mère se mêle trop de nos affaires. Pour une belle-mère, son comportement est non seulement vexant, humiliant, mais inadmissible.
Voilà, tu es satisfaite à présent.

- Je suis satisfaite comme tu dis. Mais il faut aussi que tu sâches qu'une mère est une mère. On n'en a pas d'autre. A cause de toi, j'ai rompu totalement avec ma mère. Aujourd'hui que nous nous reconcilions, nous avons donc besoin de nous voir le plus souvent possible.
Depuis notre mariage, dans les conditions que tu sais, j'ai toujours veillé à ce que tu trouves en moi une épouse à la fois fidèle, respectueuse et affectueuse. Je ne me reproche rien sur ce plan. Je t'aime, et je n'ai jamais cessé de t'aimer. Mais, de grâce, épargne maman de tes accusations de vouloir disloquer notre ménage. Il n'en est rien, et tu ne dois craindre absolument rien. Maintenant je comprends tout simplement que le comportement de maman n'a été qu'un prétexte pour te remarier.
Mais sache une chose: celle que tu te proposes d'épouser, je la connais suffisamment. Nous avons grandi ensemble et joué sur la même place publique. Elle n'est pas le genre de femme pour toi. Et sitôt passée votre lune de miel, tu te rendras compte de son arrogance et d'autres défauts que tu apprendras à connaître.
Je ne te mets pas en garde par jalousie, mais par amour. A présent, fais comme tu veux. J'aurai au moins la conscience tranquille de t'avoir prévenu à temps.

-Merci pour les conseils, mais je suis déterminé à faire de Kadi ma seconde épouse. Elle m'aime, je l'aime et ses parents sont favorables à notre mariage. La dot partira dans une semaine et je te demande en tant que première épouse de faire partie de la délégation.

- D'accord. Je ferai partie de la délégation et je ferai tout pour que ton mariage réussisse, pour peu que je doive oeuvrer, par devoir et par amour dans ce sens.







C'est sur ces mots que le couple Garba s'en alla se coucher. Mais aucun d'eux ne dormit véritablement.
Garba pensant à la fois aux propos de sa femme, aux douces paroles échangées quelques heures auparavant avec la belle Kadi;

Maïmou pétrie d'amertume, non par rancoeur ou par jalousie, mais par l'incompréhension et la morosité qu'elle sent naître de plus en plus dans son foyer. Cette nuit là, au lit, ils ne se regardèrent même pas, chacun tournant le dos à l'autre. La nuit, on ne peut plus, a été longue, très longue même comme elle ne l'a jamais été depuis leur mariage.






Le lendemain matin, de bonne heure, Garba se rend à son champ.
Il y reste presque toute la journée sous un soleil de plomb. Et lorsqu'il rentre à la maison fatigué et ruisselant de sueur, Maïmou l'accueille comme à l'accoutumée avec un large sourire, comme si la veille ils ne se sont pas disputés au point de s'ignorer par la suite. Rapidement, Garba prend une douche et vient s'asseoir aux côtés de Maïmou délayant le "foura" traditionnel assaisonné de lait caillé qu'elle va lui servir, accompagné d'une belle noix de cola blanche. Il a peine à croire que Maimou, après la vive querelle de la veille, puisse encore se dépasser pour ne pas perdre de vue son devoir d'épouse. Alors, dans sa tête se bousculent mille et une questions à propos de Maïmou et de Kadi. Mais, il s'est engagé à épouser Kadi et il ira jusqu'au bout. Car, se dit-il, je suis un homme de parole et tout le village le sait.
J'épouserai donc Kadi, advienne que pourra. A peine s'est-il déplacé pour rejoindre son fauteuil habituel, que ses amis Omar et Biro font leur entrée. Ils saluent et prennent place à côté de lui.

Omar, le véritable habitué de la famille s'adresse alors à Maïmou sur un ton plaisantin : "warguida
saraoutan mata", autrement dit: ô, toi Maimou, première épouse, reine des femmes.

Maïmou saisit la balle au bond et répond à
Omar: "Ir ya ma doudaï nankan ir lamba"
"Pour nous l'essentiel c'est de trouver où nous cramponner". Littéralement, elle veut dire ici que les choses ne sont plus comme avant entre elle et son mari. Bien sûr, Omar qui est l'ami intime de Garba et qui connaît les projets de celui-ci n'insiste pas, et engage la causerie sur un autre sujet et sur un autre ton.
Maïmou en profite pour entrer dans la maison cajoler son enfant qui vient de se réveiller.
Elle n'en ressort plus, laissant la place aux hommes.
La tradition veut en effet, que les femmes ne participent pas activement aux palabres des hommes.
Garba, Omar et Biro se sont mis à causer pendant longtemps encore avant de "lever la séance". Une séance au cours de laquelle ils ont débattu de plusieurs questions à propos de la Samaria, de tel ou tel membre influent, des filles qui deviennent de plus en plus inabordables et mercantiles, etc.
En route, et pendant que Garba les
raccompagne, Omar se souvenant de la boutabe de Maïmou dit à Garba:

- Dis-moi, ta femme est donc au courant de ton intention de prendre une seconde épouse ?

-Oui mon cher, elle est parfaitement au courant

MAÏMOU ou Le drame de l'amour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant