CHAPITRE 004

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Maïmou leva les yeux pour regarder sa mère:
elle ne le put que durant quelques secondes à cause des larmes qui coulaient encore de ses yeux, abondamment.
Salmou comprit que sa fille ne voulait pas d'Adamou.
Dans sa colère, elle se saisit le menton de la main gauche et laissa tomber un "laahi laahi,
illa lahu, mahamadarra sullalahi, sahla lahu alayhim
wassalama, koy fo si kal irkoy ; c'est-à-dire: il n'y a de Divinité qu'Allah et Mohamed est son Prophète.
Elle se mit à battre Maïmou, à la traiter de fille maudite qui ne pense ni à son bonheur, ni à celui de sa mère. Maïmou encaissa ces coups sans mot dire, elle ne bougea même pas. D'ailleurs, la force n'y était pas.
"Et puis, à quoi bon ?".
devait-elle se dire.
Pendant ce temps, Adamou et son griot chantaient et riaient à pleine gorge, convaincus que le coeur de la petite fille serait bientôt conquis, pourvu qu'à Salmou ils en fassent goûter, comme on dit...Dans le silence de la nuit, la guitare de Zoumari résonnait si fort qu'à l'entrée de Kangaou,
une foule de jeunes gens arcentree filkangint a leur rencontre. Garba qui se trouvait sur la place publique avec des amis, apprit rouvait sue et perdit brusquement tout contrôle de lui-même, lui qui, quelques instants auparavant, mesurait encore ses chances avec Maïmou.
Cette nuit-là, il ne dormit point.

Lelendemain, ce fut pareil, il ne dormit ni ne mangea.
Il réfléchissait toujours. Puis, au soir du troisième jour, il décida de vendre tout ce qu'il possédait trois moutons, un cheval, deux chèvres. Il put ainsi réunir la somme de vingt mille francs, la porta à sa mère, lui demanda d'en soustraire dix mille et la chargea de les remettre à ses soeurs pour qu'elles aillent doter Maïmou.
Le lendemain, quand la délégation des soeurs arriva chez Salmou, celle-ci, suivant les règles de la tradition, accepta non sans une certaine raillerie, de garder la dot.
La nouvelle se répandit
immédiatement dans tout le village et même dans les villages voisins. Lorsque Salmou vint lui annoncer la nouvelle, Maïmou ne put dissimuler sa joie, la première depuis la mort de son père.
Elle s'entendait déjà appeler "Garba wandé woy kaasa", c'est-à-dire "madame Garba, la femme choyée"

Les rivaux de Garba n'attendirent pas non plus pour se manifester. Moussa envoya sa dot: quinze mille francs; Adamou fit parvenir le double, battant ainsi tous les records enregistrés jusqu'alors dans cette région: alors, qui pouvait empêcher que la belle Maïmou lui revienne ?





Deux mois s'écoulèrent. Deux mois durant lesquels chacun des trois rivaux attendit le jour; pendant tout ce temps, Adamou fit parvenir à Salmou presque jour pour jour, argent, cola, habits et produits alimentaires, et tout naturellement, Salmou les acceptait. Puis un beau matin, Adamou envoya une délégation pour s'enquérir de la date de son mariage avec Maimou. Salmou, bien au fait de la tradition, alla demander à sa fille lequel des trois candidats elle avait finalement choisi:

- Aujourd'hui, tu es devenue la perle rare de cette région, et déjà trois garçons te demandent en mariage. Je suis sûre que ce n'est pas tout, d'autres viendront encore. Mais pour ne point laisser traîner les choses, je sais que tu préfères Adamou. C'est un homme riche et beau. Lui seul, saura te rendre heureuse et me rendre heureuse avec toi. Tu as raison, nous vivons à une époque où toutes les femmes cherchent à s'accrocher à ceux qui ne se posent pas la question de savoir comment demain sera fait, c'est-à-dire ceux qui possèdent. Tu as bien choisi, Maïmou, je savais que..
Maïmou lui rétorqua immédiatement
- Je ne veux pas d'Adamou. Je préfère Garba.

Salmou furieuse,vociféra, se jeta
sur Maïmou, la frappa jusqu'au sang; la petite fille pleura à se fondre les yeux ; elle gémit, gémit encore, mais eut la force de dire:

- Je refuse d'épouser cet homme. D'abord il ne me plaît pas, ensuite, marié à trois femmes, il est père de cinq enfants. Qu'il possède tout l'or du monde, jamais je n'accepterai de l'épouser.

Mais Salmou, elle, ne voyait justement que l'argent, cette richesse d'Adamou. Elle était donc prête à tout faire pour satisfaire ce dernier. C'est ainsi qu'elle rejeta contre toute attente les dots de Moussa et de Garba, pour ne retenir que la candidature d'Adamou, le plus offrant. Puis d'un ton sec, elle dit à Maïmou:
- Que tu le veuilles ou non, tu seras l'épouse d'Adamou.







Une semaine plus tard, on fixa la date du mariage. Dans toute la région, le seul sujet de conversation était la victoire qu'Adamou venait de remporter sur ses rivaux. Adamou en était fier, et ne se privait pas de manifester publiquement sa joie.
Pendant ce temps, Maimou, elle, cherchait les moyens de faire face à la décision de sa mère. La date du mariage était proche. Il ne restait plus que quelques jours.
Les habitants de Dourmi étaient à pied-d'oeuvre, et attendaient avec impatience ce mariage.
Mais voila qu'à trois jours du mariage, Maïmou prit la décision de s'évader. Un soir, alors que sa mère était partie au marché voisin, elle prit la fuite en direction du village de Kokorbé où résidait sa tante maternelle. Vers le milieu de la nuit, elle aperçut un feu de bois et s'Y dirigea.
C'était une famille peulh qui campait là. Maimou y trouva à manger, à dormir aussi. A l'aube, elle reprit son chemin. Ainsi, après deux jours de marche, mangeant des fruits et buvant l'eau des mares, la petite fille arriva à destination, toute fatiguée, chétive, presque sans vie. Sa tante la faisant asseoir près d'elle, lui demanda les raisons de ce voyage à travers une brousse pleine de toutes sortes de bêtes féroces. Maïmou lui raconta tout, et sans tarder.
Mais comme toutes les vieilles de son temps, la tante non plus ne l'entendait pas de cette oreille:

- Tu es une fille maudite. Ainsi tu te rebelles contre ta mère, celle-là même qui t'a mise au monde. Comment peux-tu refuser ce mariage ? Ah ! que le monde est foutu ! En tout cas, moi, je te ferai retourner à Dourmi dès demain.

Maïmou fondit aussitôt en larmes. Elle pensa alors à son père et, à voix basse, dit:
- Père, depuis que tu as quitté ce monde, je ne connais que misère: reproches et coups de fouet pleuvent sur moi continuellement.
Maïmou se sauva à nouveau dans la nuit, alors que sa tante était à la cuisine.
Elle avait déjà parcouru un long chemin lorsque sa tante, s'apercevant de son absence alerta les voisins ; les envoyés de Salmou arrivèrent à leur tour, mais pour apprendre avec déception ce qui venait de se passer.
Toutes les recherches entreprises furent vaines, Maïmou était déjà loin, très loin, marchant toujours, sans savoir où elle va, mais sans se décourager non plus.
A la pointe du jour, elle atteignit un petit village perdu au fond de la brousse et s'arrêta à la première case; la, on lui offrit à boire, et sa soif étanchée, elle reprit sa route pour aller se reposer finalement à l'ombre d'un grand tamarinier.
Le soleil commençait à s'incliner lorsque trois vieilles femmes, de passage, s'arrêtèrent non loin d'elle pour accomplir leur prière.
Par la suite, Maïmou les suivit jusqu'au village de Kwaramargu. Là, dans une concession à l'entrée du village, elle trouva une vieille femme et lui demanda l'hospitalité. Elle s'adressa à la vieille en ces termes :
- Grand-mère, je suis une fille que le malheur a livrée à l'aventure depuis deux jours. Mon nom est Maïmou et je suis du village de Dourmi. Mon père est mort il y a trois ans, mais ma mère vit encore. Avant sa mort, mon père m'avait dit ceci:
"ma fille, tout au long de ta vie, tu tâcheras d'être vertueuse, reconnaissante et humaine. J'aurais voulu te voir un jour choisir, sans contrainte aucune, un mari avec qui tu vivras en paix au milieu de vos enfants".
"Ces recommandations de mon père, je ne les oublierai jamais. J'userai de toutes mes forces pour les accomplir, les unes après les autres.
Hélas, ma mère me gronde, me frappe pour un rien ; elle vient de décider de me marier à un homme pour qui je n'ai pas d'amour, tout simplement parce que cet homme est riche et lui fait des cadeaux fabuleux. J'ai donc refusé ce mariage ; j'ai dit à ma mère que j'aimais un autre garçon, pauvre, mais c'est lui que j'aime. Ma mère se jeta sur moi et me battit jusqu'au sang. Alors, ayant compris que "dans une épreuve de force la justice ne triomphe que rarement", j'ai décidé de quitter notre maison, de fuir mon village. Ma tante qui habite Kokorbé, au lieu de chercher à comprendre et de m'aider à convaincre ma mère de la nécessité de me laisser choisir mon mari, se rangea elle aussi du côté de ma mère et projeta de me retourner à Dourmi: je fus donc obligée de m'évader pour fuir ce mariage forcé. Tant que ma mère n'aura pas renoncé à me vendre à cet homme, je ne remettrai jamais pieds dans notre village".
La vieille ne peut s'empêcher de larmoyer,
puis, elle s'adressa à Maimou:

MAÏMOU ou Le drame de l'amour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant