Chapitre 5

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Mine de rien, le campus universitaire est beaucoup plus grand que celui de Gaspard à Paris. Il avait conscience de l'écart considérable entre ces deux grandeurs mais de là à passer plus d'une demi-heure à chercher l'amphithéâtre ? C'était au-delà de ses espérances.

Ce n'est pas dans la personnalité de Gaspard de se faire remarquer. Il n'est pas timide, non, loin de là, mais il a juste activé le mode "pilote automatique" et ne sait plus comment l'éteindre. Il vit littéralement au jour le jour. S'il a envie de rendre sa dissert sur les effets néfastes des médias sociaux, il la rend, sinon, c'est tant pis pour son bulletin. Alors quand il a envie de changer d'air et que sa fac propose un programme d'échange aux Etats-Unis, Gaspard s'inscrit même si son niveau d'anglais est critique. Très critique. Pour preuve, Gaspard vient d'entrer dans l'immense amphi, après avoir dérangé tout le monde à cause de cette fichue porte mal huilée, et Gaspard ne sait pas comment il va réussir à expliquer qu'il est français, qu'il vient d'arriver et qu'il a passé près de quarante minutes à trouver cette salle. Oh, sans oublier le moment où il s'est senti dans la peau d'un pervers dans les toilettes des filles.

Une femme à lunettes s'approche de lui et lui sourit chaleureusement. Elle a l'air beaucoup trop âgée pour être étudiante mais relativement jeune pour être prof.

- Etudiant étranger en échange ? lui demande la femme.

Gaspard hoche la tête positivement et elle lui fait signe d'avancer.

Des centaines de paires d'yeux sont braquées sur le garçon. Il aime être au centre de l'attention, mais il y a quand même des limites, surtout qu'il n'est pas au top de sa forme avec les effets du décalage horaire. C'est vrai, c'est à peine s'il a réussi à dormir la nuit dernière. Au fond, il commence un peu à regretter son lit double et ses moulures au plafond.

La dame qui l'a approché lui demande discrètement son nom pendant qu'un homme plus âgé poursuit son discours dans un micro bien trop mal initialisé : sa voix résonne en écho dans la salle. Gaspard répond à la femme, qui sourit légèrement à l'entente de son prénom. Son regard se tourne furtivement vers l'audience avant de se reconcentrer sur le français. Elle se présente enfin au garçon. Elle s'appelle Madame Hortense et c'est la conseillère pédagogique de la fac.

- Tu peux aller t'asseoir, nous venons à peine de commencer.

Gaspard croit déceler ce qu'elle vient de lui dire et suppose qu'il a été autorisé à trouver une place. Pour ce qui est du reste de la phrase, elle reste un mystère.

Il commence à monter les marches, tout en scrutant l'audience à la recherche d'un siège disponible lorsqu'il entend des murmures et quelques ricanements. Roh putain, on l'a filmé dans les toilettes. Il faut absolument qu'il trouve une place assise au plus vite. Il s'asseoit finalement en bout de rangée, près d'un mec qui joue à Candy Crush, sûrement très peu intéressé par la conférence.

Celui qui semble être le directeur de la fac tient un discours interminable. Gaspard feint de s'endormir une douzaine de fois pendant ces trente longues minutes.
Heureusement, les élèves sont forcés de participer et donc forcés de se réveiller.

- Je pense avoir assez parlé, maintenant place à vous les enfants ! Vous avez tous un téléphone portable ? demande le directeur naïvement.

La foule marmonne ironiquement face à la question de l'ancien et tout le monde sort son appareil.

- Notre chère équipe pédagogique a concocté un moyen très ludique pour que vous trouviez votre paire. Madame Hortense, vous voulez bien envoyer le lien par mail à tout le monde ? dit-il en se tournant vers la femme à lunettes qui a accueilli Gaspard.

Celle-ci pianote rapidement sur son ordinateur et progressivement, une harmonie de sonneries raisonne dans la salle.

- Vous n'avez qu'à entrer votre nom et prénom dans le lien envoyé et vous obtiendrez une couleur. Si vous obtenez la couleur bleu, cherchez l'autre personne qui l'a également obtenue, car c'est votre paire ! s'exclame le directeur avec un peu trop d'entrain.

C'est vraiment la pire idée : tout le monde se met peu à peu à s'agiter, en criant et en courant entre les rangs, à la recherche de sa moitié.

« Gaspard de Montesson — Jaune »

Gaspard lève la tête, ne savant pas par quel moyen trouver sa paire. Dans tout ce chahut, il décide tout de même de guetter les écrans de téléphone des personnes assises devant lui. Il a une vue de haut, lui qui est assis un peu plus en hauteur.

Rouge, rose, marron, mais pas de jaune.

Soudain, son œil est attiré par un écran jaune pétant, sur la rangée d'en bas à gauche.
La personne qui tient le petit poussin est une brune aux cheveux bouclés. Elle est de dos donc Gaspard n'a aucune idée de ce à quoi elle ressemble. La jeune fille est assise à côté d'une autre qui est déjà retournée, aux aguets pour sa copine.
Soudain, son regard pétillant croise celui du garçon.
Elle se tourne en vitesse et tapote l'épaule de la brunette. Elle pointe ensuite le doigt vers Gaspard, qui se sent rougir contre son gré.
La bouclette se tourne vers Gaspard, en manquant de se cogner le coude contre le siège trop étroit.

Son teint hâlé contraste avec ses yeux verts et ses boucles couleur caramel. En fait, ce n'est pas vraiment une brunette, remarque Gaspard. Elle a de long cils et des lèvres roses qui perfectionnent son visage angélique. Elle est jolie, pense Gaspard.

Puis la jeune fille grimace en faisant la moue avant de se tourner, dos à Gaspard.
Celui-ci émet un léger mouvement de tête en arrière en grimaçant à son tour. C'est quoi son problème à celle-là ?

Mais parce que Gaspard en a marre de se faire humilier depuis qu'il est arrivé, il se lève et traverse la rangée entière en enjambant les paires de jambes sur son chemin. Il a même dû donner quelques coups de pieds pour arriver au bout.
Les deux filles sont penchées au-dessus du téléphone de l'autre brunette (enfin la seule brunette en réalité) . Elles tentent tant bien que mal d'entrer les coordonnées de la jeune femme, celle qui n'a toujours pas de couleur à son nom.

Gaspard pose brusquement sa main sur l'épaule de la brune, qui se retourne dans un sursaut.
Mince, il ne s'attendait pas à ce que sa poigne soit aussi franche.
La fille baisse le regard vers la main du jeune homme, qui la retire lentement. Sa copine lève elle aussi les yeux vers le mètre quatre-vingt-trois devant elles.

- C'est par là-bas l'Egypte, dit la petite brune en pointant la porte du doigt.

Ok, méga raciste, heureusement que Gaspard n'est ni égyptien ou d'une autre ethnie.

Sa copine lui frappe l'épaule et hausse les sourcils, dans l'attente d'une réponse du garçon.
Elle sait qui il est, c'est Gaspard de Montesson, son binôme de l'année.

- Ouais, bah j'irai peut-être un de ces quatre. Pour l'instant, je cherche ma tutrice, répond le garçon sans hésiter malgré un accent extrêmement cassé.

Victoria se lève et lui tend la main.

- Victoria Sloan, ta tutrice. Comment ça va Gaspard ?

Gaspard fronce les sourcils avant de comprendre qu'elle vient de prononcer son nom. Elle l'a tellement mal prononcé qu'il en a senti ses poils s'hérisser. Il serre tout de même sa main.

- Bien. Comment tu connais mon nom ?

Elle lâche sa main et prend son sac, posé sur la chaise en bois.

- Oh mais je sais tout. D'ailleurs, je file aux toilettes !

Après quoi, elle passe à côté de lui en dévalant les escaliers, laissant Gaspard et Alizé l'observer d'en haut.

En échangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant