Chapitre 23

9 1 4
                                    

A 15h, Victoria sort de son dernier cours et avance vers l'entrée du campus, là où elle s'attend à retrouver Gaspard, comme tous les jours depuis presque trois mois. 

Sauf qu'aujourd'hui, il n'est pas là. 

Victoria se rejoue alors le film de la cafet', celui de leur première "dispute". Elle avait sûrement réagi à chaud, se laissant submerger par la panique. Elle avait essayé de relativiser sur la situation, se disant que l'évènement s'est déroulé il y a deux ans, que de l'eau avait du couler sous les ponts. Mais elle connaissait bien Zack, et à moins qu'il ait vraiment tourné la page, il valait mieux pour Gaspard de rester loin de lui. 

Comme si elle l'avait invoqué, Gaspard arrive vers elle, plus détendu qu'à midi. Il s'arrête à ses pieds et lui offre un bref sourire. 

"On y va ?" 

Comme simple réponse, Vic hoche la tête en entamant la marche routinière. 

Le trajet se déroule dans le silence, ce qui fait écho à leurs premiers trajets, lorsqu'ils ne pouvaient pas se supporter plus de deux minutes. Avec le temps, ces quinze minutes qui séparaient le campus de la maison de Vic n'avaient été que du pur bonheur ; ils s'étaient époumonés sur les pires chansons, s'étaient battus pour savoir qui allait choisir la prochaine musique et disputés sur qui avait passé la pire journée.
Hélas aujourd'hui, personne n'avait pris la peine d'allumer la radio.

En entrant chez Victoria, le silence pesant qui habite son salon est absent. A la place, une harmonie de voix féminines émanent de la pièce. Les deux étudiants évoluent dans la maison et y trouvent Anya, ses sœurs et Katja, la grand-mère de Vic.
En voyant les deux jeunes, elles s'interrompent et arborent un large sourire, surtout Katja.

"Mais qui vois-là je ! C'est mon petit Gaspard, s'écrie Katja en se levant.

Gaspard sourit, quelque peu embarrassé, moins par l'enthousiasme de Katja que par le fait que sa relation avec sa petite-fille batte des aîles. 
Katja l'enlace chaleureusement et il ressert son étreinte. Puis elle fait de même avec sa petite-fille.

- Et ma belle Victoria, continue Katja en arrangeant une mèche de cheveux de la bouclette. 

Victoria sourit à sa mamie et incline la tête.

- Comment tu vas, mamie ? Je ne savais pas que tu étais à la maison.

- Ta mère m'a invitée, répond Katja, on est en plein dans mon activité préférée : préparer Noël, murmure la vieille dame en roulant des yeux.

Victoria rit en posant sa main sur l'épaule de la bonne femme. Elle sait à quel point sa mère et ses tantes peuvent être capricieuses et intransigeantes lorsqu'il s'agit des fêtes de fin d'année. 
Vic avance vers ses tantes, assises en rond autour de la grande table. Elle les embrasse et pique un biscuit dans l'assiette centrale.

- Pas trop, non plus, commente sa mère en la dévisageant.

Victoria lève les yeux au ciel en rejoignant Gaspard.

- On monte, ordonne Victoria en montant les premières marches.

Gaspard emboîte le pas mais la voix d'Anya l'interrompt.

- Bonjour Gaspard ! Tu vas bien ? 

Gaspard s'arrête et redescend les deux marches qu'il avait déjà montées.

- Comme sur des roulettes, et vous ? 

Anya balaye l'air de la main.

- Tutoie-moi par pitié, je ne suis pas si vieille. 

Gaspart rit, gêné. Les trois sœurs de la blonde le scrutent, sourire en coin, et il s'est rarement senti aussi observé. Il aimerait seulement retrouver Victoria dans sa chambre et en finir avec cette journée qui a l'air d'avoir duré toute une vie.

- Excuse-moi, je n'ai pas l'habitude.

- Comment vont tes parents ? enchaîne Anya.

Gaspard ignore si c'est le fait d'avoir déjà discuté avec la famille de Vic qui l'allège de la pression ressentie, mais il ne se sent plus aussi anxieux à l'idée d'évoquer sa mère. Peut-être que dans toute cette histoire de fausse relation, il a réussi à en tirer quelque chose de bon. 

- Ils vont bien et vous passent le bonjour, ment Gaspard léger.

- Tu leur retourneras, répond Anya en souriant sincèrement.

Gaspard prend sa réponse comme une permission à se retirer de la pièce et monte retrouver sa tutrice. En arrivant dans sa chambre, il la trouve assise sur son lit, l'air pensif. Leur discussion quelque peu houleuse de ce matin ressurgit et il laisse une vague de regret le traverser.

Gaspard s'asseoit aux côtés de Vic, qui ne scille pas.

- Qu'est-ce qu'on travaille aujourd'hui, Mme la professeure ? 

Vic reste insensible, faisant soupirer Gaspard. Le garçon se laisse tomber en arrière sur le lit de Vic et fixe un point sur son haut plafond. 

- Je suis désolé pour ce matin, lâche Gaspard.

Les épaules de Vic s'affaissent, comme si ces cinq mots l'avaient libérée d'une tonne. 

- Moi aussi, articule Vic.

Rassuré, Gaspard l'attire vers lui en la prenant par le bras. Elle se retrouve blottie contre son torse.

- Je suis contente que tu sois dans l'équipe, Gaspard. J'espère que tu vas t'y plaire, continue Vic en traçant des cercles sur le garçon. 

Gaspard se redresse un peu, gardant son bras sur la hanche de la jeune fille.

- Je crois que je m'y plais déjà, répond Gaspard en souriant.

Et voilà ce sentiment que Vic déteste, celui qui l'empêche de se réjouir pleinement pour Gaspard. Elle se déteste, elle et son comportement d'égoïste. Pourquoi ne peut-elle pas faire abstraction du passé et se convaincre que Zack a changé ? Après tout, elle a bien réussi elle, en deux ans. Enfin, c'est ce dont elle essaie de se persuader. 
Elle prend le visage de Gaspard entre ses mains et le contemple silencieusement.
Ces longs cils, ces grands yeux bruns qui ne quittent pas ses lèvres, oh et ses lèvres à lui...
A cet instant, Vic pourrait analyser chaque recoin de ce visage angélique qu'elle a si peur de perdre à cause de sa stupide paranoïa. 

En lui offrant un sourire désolé, Vic caresse la joue du beau d'un coup de pouce.

- Alors c'est le principal."

Leurs lèvres se sont unies une fois de plus, provoquant une explosion d'émotions dans le ventre de nos faux amoureux. 

Gaspard a quitté la chambre de Vic deux heures plus tard et autant vous dire qu'aucun livre n'a été ouvert.




En échangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant