Chapitre 2

24 2 10
                                    

Il y a des endroits sur Terre qui dégagent une atmosphère particulièrement difficile à définir. Les aéroports en font partie. Entre les larmes de joie de ceux qui partent en voyage, il y a les larmes de tristesse de ceux qui ne savent pas quand est-ce qu'ils reverront leur moitié. L'aéroport est-il l'endroit le plus joyeux du monde, ou bien le pire qui puisse exister ?

Gaspard ne semble pas avoir le choix dans cette énigme insolvable : actuellement, sa mère est en train de se vider des quatre-vingt pourcent d'eau qui composent son corps. Il pense que ce sont des larmes de tristesse. Oui, il pense, il n'en n'est pas certain. Car pourquoi sa mère serait un chouïa triste de le voir partir alors qu'elle ne se préoccupe de lui qu'une fois tous les quatre mois ? Est-ce qu'elle est vraiment consciente que son fils part pour un an aux Etats-Unis ou est-elle sous l'emprise de ces foutus médocs qui ont le don de la rendre hypersensible ?

Gaspard n'en sait trop rien. Gaspard s'en fout trop bien. Tout ce que Gaspard veut, c'est quitter les bras de sa mère et qu'elle arrête de tremper son tee-shirt de ses putain de larmes de toxico. Voilà, c'est dit.

Heureusement que Gaspard a son père. Pierre-Jean est architecte et subvient aux besoins de ses deux enfants depuis qu'il a divorcé de Jeaninne. Pierre-Jean, ce n'est pas le genre de père qui ne se soucie que de savoir si ses enfants obtiennent de bonnes notes et gardent les coudes sous la table au moment du dîner. Non, Pierre-Jean écoute aussi bien les problèmes de Gaspard concernant la lenteur insurmontable de son ordinateur que les problèmes de cœur d'Adaline, la cadette de la famille. Pierre-Jean se démène quarante heures par semaine au boulot pour que ni Gaspard, ni Adaline, ne ressente le vide provoqué par l'absence d'une mère. Pour preuve, c'est lui qui a acheté les premières serviettes hygiéniques d'Adaline.

En somme, Pierre-Jean est un super papa.

Le père de Gaspard pose une main sur l'épaule de Jeaninne, qui ne cesse d'être secouée de spasmes. Elle se détache enfin du jeune brun et laisse la place à son ex mari. Celui-ci ne pleure pas mais a la vue embuée par les larmes qui montent progressivement. Il scrute chaque recoin du visage de son fils aîné avant de le prendre fermement dans ses bras. Gaspard ressert son étreinte. Qu'est-ce qu'ils vont se manquer.

"N'oublie pas d'appeler quand tu t'ennuies un peu, rappelle Pierre-Jean dans le cou de son fils.

- J'essaierai de libérer un créneau dans mon emploi du temps surbooké, répond Gaspard sur un ton ironique.

Son père s'éloigne enfin de lui et lui ébouriffie les cheveux.

- Tu commences déjà avec les anglicismes à tout va.

- Il faut bien que je m'habitue au climat américain !

Les deux rient, pendant que la mère fixe son fils de ses pupilles de verre.

Gaspard soupire bruyamment et fait un pas sur le côté, un sourire en coin.

- Bah alors, on vient pas chialer dans les bras de son frère préféré ?

Adaline range son portable dans la poche arrière de son jean et lève les yeux au ciel. Elle s'approche de son frère, faussement désintéressée et l'enlace mollement.

- Compte tenu du fait que je n'ai qu'un frère, tu ne peux qu'être le préféré, reprend Adaline.

Gaspard mime sa sœur en grimaçant dans son dos avant de reculer pour lui faire face.

- Garde ces remarques désobligeantes pour mon retour s'te plaît, ça risque de m'avoir manqué.

Elle sourit et essuie une larme qui s'échappe de son œil. Pas de bol, Gaspard a le temps de voir la goutte d'eau rouler sur la joue rouge de sa sœur.

- Elle chiale ! J'y crois pas !"

Adaline lui donne un coup dans l'épaule et il simule une douleur atroce.
Gaspard lève les yeux vers l'horloge énorme qui surplombe le terminal. Il vaudrait mieux y aller maintenant, ce serait con de rater l'avion. Son père comprend que c'est la dernière fois qu'il a l'occasion de serrer son fils dans ses bras, du moins avant un très bon moment. Il s'actionne et forme un câlin collectif en ramenant Adaline à eux. Jeaninne reste en retrait, contemplatrice du cocon matérialisé par cette étreinte.

Un dernier geste de la main et la silhouette de Gaspard se perd dans le tumulte de l'endroit qui mène vers tous les possibles.

En échangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant