Chapitre 29

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Ce matin-là, en arrivant à la fac, Vic s'est sentie observée. On chuchotait lorsqu'elle passait, certains ricanaient, d'autres se taisaient complètement et ne scillaient pas d'un œil. 
Elle s'est d'abord demandée si elle n'avait pas une tache de sang sur les fesses puis après être passée aux toilettes, elle n'avait rien remarqué d'anormal sur son jean blanc. A part qu'il lui faisait un cul d'enfer. Peut-être était-ce la manière dont elle s'était maquillée ? Pourtant, elle avait juste mis du rouge à lèvres rose aujourd'hui. 
Ne comprenant pas pourquoi elle était la risée de tout le campus, elle s'en remit à faire ce qu'elle maîtrisait le mieux : ignorer. 

Ça n'avait pas été la première fois que la fac avait murmuré sur Vic. En fait, on avait parlé sur elle alors qu'on se trouvait dans la même pièce qu'elle des centaines de fois, et ce, depuis deux ans.
A l'époque, ça l'avait détruite. Mais Vic avait changé, elle n'en n'avait plus rien à faire maintenant. Elle savait qui elle était et assumait tous ses faits et gestes.

Mais c'est quand elle a vu Alizé courir vers elle, à la sortie des toilettes, que Vic a su que quelque chose clochait.

"Meuf, commence Alizé essouflée, t'es au courant ?

- De ? demande Vic, la tête haute.

- Oh non, continue Alizé les mains sur les genoux, il faut vraiment que je me remette au sport. Gaspard ! 

- Quoi, Gaspard ? réplique Vic en s'agaçant.

Elle ne comprenait pas pourquoi au moins une fois par jour, il fallait mentionner ce type. Il était pire qu'un poison, il ne se dissipait pas, il demeurait dans l'air. Un peu comme un virus, finalement. 

- Ton mec se tape une autre ! 

- Je n'ai pas de mec, dit froidement Vic. 

Alizé roule des yeux. 

- Est-ce que ta mère en dirait autant ? 

- Alizé, la reprend sa meilleure amie. 

La petite brune lève les mains, se dédouanant de toute parole compromettante qu'elle aurait pu prononcer. 

- Pourquoi est-ce que tout le monde m'observe comme si j'étais une bête de foire ? 

- Parce que tout le monde pense que tu sors avec Gaspard et que t'es cocue, lance Alizé. 

Vic ne dit rien. Elle savait qu'elle et Gaspard faisaient parler. C'est vrai qu'ils ne rendent pas trop mal tous les deux ; ils sont grands, sans que ça paraisse anormal, leurs teints sont harmonieux et leurs sourires éclatants. Vic s'est alors surprise à s'imaginer se pavaner dans les couloirs du campus, sous le bras de Gaspard. Elle chasse d'office cette image de son esprit, ne demandant qu'à être le plus loin possible du garçon. 

- Ils pensent donc que je suis cocue...et ils doivent bien s'en réjouir.

- C'est tous des cons, répond Alizé en posant sa main sur l'épaule de sa copine.

Vic lui sourit. Les voilà en marche vers leur cours d'histoire de la littérature, encore une matière qui n'enchante pas Vic mais dans laquelle elle doit exceller. 

- Qui est-ce qui se tape Gaspard ? demande Vic subitement.

Alizé lui lance un regard amusé mais lui répond tout de même.

- Tiffany Anderson.

Vic grimace. Elle n'a jamais entendu ce nom. 

- C'est qui ? 

- Une première année.

Rejoindre l'équipe de hockey lui avait attiré des fans. 

- Elle est comment, Tiffany-la-première-année ? continue Vic ironiquement.

- Petite, blonde, ce serait la nièce de Pamela Anderson.

- L'actrice ? 

- Non, la caissière de l'épicerie du coin de la rue. Oui, l'actrice, Vic. 

Vic hausse les épaules. Ce n'est pas rare que des enfants de stars fréquentent leur établissement. Pour preuve, sa propre grand-mère était une amie proche de la célèbre Anna Wintour, mais ce n'est pas pour autant que Vic le hurlait sur tous les toits. Elle était humble, elle, pas comme cette Tiffany Anderson. 

- Tu n'as vraiment rien à lui envier, ajoute Alizé.

- Je sais."


Les deux heures d'histoire avaient été d'une telle lenteur qu'Alizé avait eu le temps de faire deux siestes, alors autant dire qu'à la sonnerie, elle s'est sentie revivre. Vic avait été imperturbable, bien que les chuchotements constants auraient pu la destabiliser. "Comment est-ce qu'elle peut prétendre aller bien alors que tout le monde sait ?" ou "C'est bien fait pour elle, le karma fait bien son job". Il y en avait pour tous les goûts, entre ceux qui la plaignaient, celles qui se délectaient de la situation ou d'autres qui blâmaient Gaspard - enfin un peu d'entraide féminine.

Alors qu'elle range un de ses cahiers dans son sac, Vic sent quelqu'un bousculer son épaule.

"Excuse-moi, lance la voix qui lui est familière.

Vic se retourne vers le garçon à la voix banale, mais qu'elle pourrait reconnaître au milieu de la fosse d'un concert. Il porte un tee-shirt blanc moulant qui laisse percevoir ses abdos tracés, et un jogging gris qui laisse peu de place à l'imagination. Ses cheveux sont moins rebelles qu'à l'époque où ils se fréquentaient tous les jours. 

Vic se rend compte qu'elle est littéralement en train de le mater, et lève rapidement les yeux vers ses yeux doux. Elle avait presque oublié à quel point il avait l'air tendre. 

- La prochaine fois, regarde où tu marches, dit simplement Vic. 

Elle lui en veut toujours autant pour ce qu'il lui a dit la veille. Elle lui en veut surtout de l'avoir laissée en plan, au milieu de sa chambre. Elle se moque de savoir s'il a couché avec cette première année. Tout ce que Vic veut savoir, c'est pourquoi est-ce qu'il a agi de la sorte. Mais elle ne lui demandera pas, car Vic a trop de fierté.

- Je t'ai dit que je m'excusais, insiste Gaspard.

Il ne s'excusait pas seulement de l'avoir bousculée. Il s'excusait d'avoir agi comme un gros con. Finalement, peut-être que Gaspard était un gros con à vouloir s'amuser, profiter de ces quelques mois d'échange alors qu'il avait devant lui une fille qu'il ne rencontrerait pas deux fois, même s'il avait neuf vies. 

Vic demeurait indifférente, le regard froid, transparent, même si Gaspard l'avait vu le reluquer. C'est vrai que les entraînements supplémentaires que lui faisaient faire Zack et Toby donnaient des résultats et ça lui faisait du bien de ressembler à autre chose qu'à un ficello. 

- On se parle plus tard, quand j'aurai terminé la liste que tu m'as demandée de faire, répond Vic en fermant son sac.

C'est à ce moment précis qu'Alizé intervient, rappelant à Vic qu'elles avaient cours à l'autre bout du campus. Vic passe alors tout près de l'épaule de Gaspard. Elle sent son odeur, un mélange de lessive et de parfum pour homme.

- D'ailleurs, j'espère que tu tiens plus longtemps avec ta nouvelle groupie."

Ce sur quoi, Vic a poursuivi son chemin, laissant le grand brun penaud. 




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