chapitre 4- Malius

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Malius

Ce matin, au shop, les clients se succèdent et les mugs de caféines aussi. C'est toujours ainsi le samedi. Parker enchaine les pièces depuis huit heures. Je suis satisfait, l'endroit fonctionne bien, surtout pour une petite bourgade comme Roseburg. Il faut dire que le bouche-à- oreille a joué un rôle essentiel.

Installé au bureau, je profite de peaufiner mes dessins, mais mes pensées divergent rapidement sur la confrontation de la dernière fois avec mon paternel. Rien que de me la remémorer, ça me fait grincer des dents, car ses paroles m'ont fait l'effet d'un boomerang. Au fond, il a raison et c'est bien le problème. Rien que le reconnaître me met sur les nerfs. Soyons réalistes, mon mi-temps ne me permet pas de prendre un logement, c'est bien pour cela que j'essaye de me faire un sacré réseau pour me permettre d'avoir plus de clients. Mais est-ce que je vais vraiment y arriver ? Suis-je sérieusement fait pour cela ? Dans tous les cas,  il est hors de question que je donne raison à mon père, d'en tout cas je vais tout faire pour lui prouver que je suis bon dans ce que je pratique et que je peux aller loin.

— Malius, peux-tu venir prendre une photo du tatouage et la poster ? Me balance mon patron, tout en essuyant avec un papier le surplus d'encre qui a débordé de la pièce gravée sur la personne.

Le dernier client à demander un loup en tribal, le domaine de Parker. Il est vraiment doué pour ce style de tatouage et il le met énormément en avant sur son compte Instagram. Beaucoup trouvent ce genre grossier. Pour ma part, c'est un art ancestral qui a traversé les siècles sans perdre de sa splendeur. Je prends deux, trois clichés de l'avant-bras de l'homme avant de les publier sur le compte du salon. Mon patron me laisse gérer le côté marketing, il a une confiance aveugle en moi et il sait que je lui fais toujours des éloges sur son travail. De temps en temps, quand certains clients demandent des petits tatouages, par exemple des signes chinois, des petits animaux ou des phrases, ils me laissent les tatouer.

L'année dernière, j'ai touché à ma première machine, le jour de mes vingt-ans plus précisément. Parker voulait marquer le coup. Avant cela, pendant trois mois, j'ai dû m'entraîner sur des fausses peaux de cochon. Ensuite, l'épiderme de mon patron comme cobaye et quelques semaines plus tard, j'ai orné la peau de mes premiers clients. La satisfaction de voir son travail ancré sur la peau d'une personne est un sentiment indescriptible. Même si ce n'est pas encore des grosses pièces, je m'attelle tout de même à procurer un travail achevé. 

Il est dix-neuf heures, quand je passe la porte du magasin, et la seule chose à laquelle je pense, c'est aller me vider la tête dans un verre ou tremper ma queue avec une âme charitable qui voudra bien de moi. Quel être pitoyable je suis quand on y pense, alcolo, drogué du sexe et avec un travail qui ne me permet même pas encore de vivre décemment. Le peu d'argent que j'ai entre les mains finit par me payer des verres de whisky, mes paquets de cigarettes ou mettre de l'essence dans ma Yamaha.

Mais si je rentre à la maison, je vais devoir me taper le schéma familial parfait. Au fond, je ne pense pas que Madelyn soit une mauvaise personne, ni même Elijah. Peut-être que l'idée que mon daron puisse être de nouveau heureux avec une autre que ma mère ne me convient pas, ou du moins j'ai du mal à l'accepter. C'était il y a trois ans, pourtant, j'ai l'impression d'être toujours en deuil. A sa mort, on ne m'a pas muni d'un manuel sur comment réagir face à la perte d'un être cher. Non, personne n'est venu me demander comment je vais, à part « toutes mes condoléances, votre mère était quelqu'un de très agréable ». À chaque fois que j'entendais ses paroles, je grinçais des dents. La moitié des personnes qui se trouvaient à l'enterrement ne la connaissait même pas. Ils étaient seulement là pour faire acte de présence et pouvoir ensuite baver sur son dos comme de vrais vautours. Car, c'est comme ça que sont les humains, ils trouvent le bonheur dans le malheur des autres et l'alimentent. C'est pitoyable.

Just Us (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant