Léopold Humbert de Surville - mon Léopold chéri - était le dernier descendant d'une famille d'aristocrates français dont le nom à particule était bien le dernier signe extérieur de richesse. A part ça, ils étaient ruinés. Leur faillite commença dans les années 1940. Pour y remédier, les arrières-grands-parents de Léopold commencèrent par vendre leurs propriétés et ses grands-parents se mirent à travailler, mais cela ne suffit pas. L'entretien des maisons et des appartements et les gages des domestiques étaient trop élevés. Pour ne pas complétement dilapider la fortune foncière qui représentait une partie non négligeable du patrimoine français, les grands-parents de Léopold conclurent un pacte avec les Rodas.
La famille des Rodas était une famille de nouveaux riches parisiens qui avaient fait fortune à la période de l'entre-deux guerres dans des secteurs très diversifiés et tous très rentables. Ils avaient rapidement acheté plusieurs immeubles dans les beaux quartiers de Paris, les avaient eux aussi rendus rentables par des loyers, et ainsi de suite jusqu'à rentrer dans le top 10 des familles les plus riches de France. Ce n'était ni des aristocrates ni même des bourgeois : ils étaient des bâtards, mais des bâtards riches.
En 1991, le très ambitieux Daniel Rodas reprit les rennes de l'empire familial et proposa un marché aux Humbert de Surville qu'il savait au bord de la faillite complète, si ce n'est même déjà dedans. Il contacta à cette fin Paul-André Humbert de Surville, le grand-père de Léopold, à qui il proposa de racheter les dettes de sa famille, de renflouer les comptes et de leur assurer des postes intéressants dans l'administration française pour pouvoir voir venir. C'est ainsi que Paul-André devint doyen de la faculté de droit où j'étudiais. Évidemment, cette aide n'était pas gratuite : il y avait une contrepartie. Daniel Rodas savait que le nom Humbert de Surville valait cher. Si cette famille n'avait pas réussi à en tirer profit, lui saurait le faire. Ce nom inspirait la confiance des consommateurs quant à la qualité des produits, la confiance des créanciers quant à la solvabilité des débiteurs et, de manière générale, il en jetait quand même plus que le nom de Rodas. Ses ascendants avaient apporté la fortune : Daniel Rodas voulait apporter le prestige.
Il posa donc une condition à cette aide financière : le fils Humbert de Surville, le dernier né et unique détenteur du nom, devait épouser la petite fille de Daniel Rodas. Paul-André Humbert de Surville n'hésita pas longtemps. Il fallait penser aux intérêts de la famille avant ses intérêts personnels, et il n'hésita pas à sacrifier son petit-fils comme on vend un poisson sur l'étal du marché. Dès lors, Léopold m'expliqua qu'à partir de ses deux ans, il avait été destiné à se marier avec Gabrielle Rodas, la femme blonde que j'avais rencontrée lors de ma visite impromptue à son appartement et qui s'était présentée comme son épouse. Tout avait été préparé d'avance, tout était ficelé. On revenait aux mariages arrangés des siècles précédents.
Mais ce n'était pas tout. En 1991, une fois l'accord conclu, Daniel Rodas remplit immédiatement sa part du contrat - comme c'était prévu - et les Humbert de Surville en eurent les bénéfices aussitôt : remboursement des dettes, maintien des domestiques à leur poste, garde de la propriété et entretien des domaines, obtention de postes administratifs et universitaires de haut rang.
Toutefois, Daniel Rodas voulut s'assurer qu'en temps voulu, les Humbert de Surville respecteraient à leur tour leur partie du contrat, c'est-à-dire la conclusion d'un mariage entre Léopold et Gabrielle Rodas. Il ne faisait pas confiance aux Humbert de Surville et sentit l'entourloupe venir. Rien ne lui garantissait alors que ce mariage aurait bien lieu en temps voulu et les principaux protagonistes étaient encore trop jeunes pour sceller cette union par un quelconque contrat juridiquement valable. Ainsi, il ajouta une clause au contrat : si le mariage n'avait pas lieu avant les trente ans de Léopold, alors toutes les richesses - tant mobilières qu'immobilières - dont le soutien financier de Daniel Rodas avait permis la garde de la propriété ou l'entretien, passeraient aux mains des Rodas. Tout.
Autrement dit, si Léopold n'épousait pas Gabrielle avant ses trente ans, sa famille était ruinée.
Comme si cela ne suffisait pas et parce que les Humbert de Surville furent touchés par la crise de 2008, un nouvel accord s'est ajouté au premier. Les Rodas apportèrent une fois encore leur soutien financier aux Humbert de Surville à la condition que Léopold ne s'affiche pas en concubinage avec une autre femme avant son mariage avec Gabrielle. Ce nouveau contrat était sanctionné similairement au premier : par la faillite de la famille Humbert de Surville.
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Tentations parisiennes
RomanceLouise arrive à Paris pour terminer ses études de droit. Dans le train qui l'amène à la capitale pour sa nouvelle vie, elle rencontre un homme séduisant avec qui elle échange quelques mots et un trajet en taxi pour la ramener chez elle. Le lendemain...