Chapitre 38

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Léopold nous annonça que c'était son dernier cours et je me rendis compte en effet que nous avions reçu le quota des heures qu'il devait nous enseigner. Malgré moi et sachant que j'allai le revoir - le lendemain de surcroît -, je fus déçue. Ces heures avec lui, face à lui, avaient renforcé notre relation puisqu'elles nous avaient rendu détenteurs d'un beau secret, celui de notre histoire à cacher. Il y avait la matérialisation de l'interdit de notre relation. Nous savions tous les deux, parmi ces centaines d'étudiants autour de nous, que nous nous connaissions, que nous nous désirions, et pourtant il avait fallu nous taire. L'interdit renforce toujours le désir et nous n'avions pas fait exception à la règle.

Comme à son habitude, il était très élégant, vêtu d'un costume bleu nuit et d'une chemise blanche. Détendu, il se permit quelques blagues et je m'aperçus qu'il recherchait à chaque fois mon rire en me fixant après la chute. A la fin du cours, il donna quelques consignes d'examens classiques : revoir tout le cours sans faire d'impasses, ne pas s'y prendre à la dernière minute, travailler la méthodologie et revoir les TD. Il ne donna aucun indice supplémentaire, ni sur la forme de l'examen ni sur son contenu.

Comme c'était le cas dans chaque promotion, il y avait quelques tête brûlées qui, n'ayant plus rien à perdre au regard de leurs résultats médiocres qui les envoyaient aux rattrapages même avant le passage des examens terminaux, se permettent quelques libertés. C'est ainsi qu'un garçon du dernier rang, casquette sur le crâne et blouson zippé à la mode sur le dos, leva sa main. Je l'avais déjà croisé dans mon TD : il s'appelait Luc et envisageait déjà son redoublement. Léopold l'interrogea.

_ Il paraît que l'on peut se rapprocher de vous pour avoir des infos sur les examens.

Son ton était ironique et provocateur. Je sentis soudain une multitude de regards en biais converger vers mois et quelques personnes pouffer, ou encore chuchoter. Je fixai mon ordinateur sans broncher. Léopold marqua une pause et lui demanda de préciser.

_ Eh bien, il se dit qu'il y a dans cette promotion des personnes qui pourraient avoir droit à des avantages relatifs aux examens en raison de leur ... de leur relation privilégiée avec vous.

Il y a eu soudain un silence complet dans l'amphithéâtre, tous les yeux guettant la réaction de Léopold face à la menace explicite qu'avait formulée Luc. J'avais moi-même levé les yeux de mon écran et le fixai. Il affichait désormais un très grand sourire. Je le connaissais bien désormais : je savais qu'il maîtrisait la situation et j'avais donc hâte d'entendre sa répondre.

_ Vous êtes monsieur ?

Luc sembla hésiter : il avait eu le courage de l'insolence, mais n'avait peut-être pas celui de sortir de l'anonymat. Finalement, il dut répondre.

_ Allard. Luc Allard.

_ Très bien. Je vous remercie d'ailleurs de votre question, monsieur Allard. Nombreux de mes professeurs m'ont répété au cours de mes études que si un élève se pose une question dans un amphithéâtre de trois cent élèves, c'est qu'il n'est pas seul à se poser cette question. Vous avez donc eu raison de la poser et je vous félicite d'avoir levé la main là où vos camarades sont restés silencieux. Toutefois.

Léopold regarda le plafond en faisant mine de réfléchir mais je voyais dans ses yeux qu'il avait déjà gagné.

_ Toutefois, donc, monsieur Allard, vous êtes juriste et il vous faire attention. Comme vous le savez, je suis avocat. Si j'arrive devant le juge pour représenter mon client en raison, disons, d'une fraude fiscale, et que je dis au juge : « il se dit que mon client est quelqu'un de très honnête, monsieur le juge, tout le monde le dit et sa voisine me l'a encore dit ce matin, jamais il n'oserait voler l'État, alors vous devez abandonner les charges contre lui », je n'aurais pas beaucoup de chances, ne croyez-vous pas ? Est-ce que l'on se base sur des on-dit ? Est-ce que l'on présente une thèse sans argument, sans preuve, sans source ?

Il continuait à fixer Luc en lui souriant, de ce sourire qui rend l'adversaire encore plus dégoûté et colérique de sa défaite.

_ Non. Alors, monsieur Allard, je vous invite à me présenter des preuves de ce que vous avancez ou des témoins qui pourront corroborer vos dires. Mieux encore : faites l'expérience ! Rapprochez-vous de moi, essayez donc de me proposer une relation privilégiée avec vous, comme vous dites, et puis vous verrez bien si c'est efficace. J'ai déjà hâte des doux moments que nous passerons à deux. Mais bon, pour tous les autres qui voudraient quand même réussir leurs examens, je vous conseille de travailler votre cours et de ne pas compter sur ce que Luc tirera de cette expérience. Sur ce, on se voit en janvier !

Au cours de cette sorte de plaidoirie par laquelle Léopold avait mis Luc au tapis, tous les regards qui étaient au départ du côté de Luc s'était peu à peu ralliés à Léopold, si bien qu'à la fin il y a eu tonnerre d'applaudissements pour accompagner sa sortie.

Amélie me souffla, lors que nous sortîmes de l'amphithéâtre :

_ Il a vraiment la classe quand même.

Au même moment, je reçus un message de Léopold : « j'ai très, très envie d'une relation privilégiée avec toi dans mon bureau, maintenant, L ». Comme d'habitude, mon désir répondait au sien et l'idée même de toucher à nouveau son corps, qui plus est dans ce bureau sérieux qui matérialisait son grade de professeur, m'excita beaucoup. Je sentais toutefois que ce n'était pas la chose à faire. Le risque était trop grand de se faire attraper par un étudiant, ou d'éveiller les soupçons du corps enseignant. Nous avions réussi à nous installer tout doucement dans une relation amoureuse sans jeu, et je ne voulais pas tout gâcher. Il nous faudrait attendre la dissipation des rumeurs et peut-être même encore après pour reprendre nos rendez-vous coquins. Je lui expliquai dans un message : « tous les regards sont sur nous, garde ton envie pour demain elle n'en sera que plus grande, j'ai hâte ».

Je ne voulais pas trop penser au mariage et passai donc l'après-midi à la bibliothèque avec Simon. Par honnêteté, je lui avais annoncé que j'avais été invitée au mariage et que j'avais emmené Amélie. Il ne parut pas vexé que je ne lui choisisse pas. Je retrouvai Amélie après ses séances de TD et nous rentrâmes chez moi. Nous avions prévu d'aller au cinéma, puis de dîner à mon appartement en regardant des séries. La soirée fut drôle et douce. Elle se confia à moi sur sa famille et ses projets, ce qui n'était jamais arrivé jusqu'alors et je pensai que c'était peut-être de ma faute si nous ne nous étions pas confiées l'une à l'autre auparavant. En cachant mon histoire avec Léopold, qui pourtant occupait tout mon esprit à longueur de journée, je n'avais plus rien eu à lui raconter de personnel et j'avais affiché à mon insu une apparence froide et peu propice au développement d'une amitié. Cette soirée effaçait tout et j'eus pour la première fois l'impression d'avoir une sœur, ce qui me remplit de joie.

Tentations parisiennesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant