Chapitre 15

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La semaine suivante fut très studieuse. Les premières interrogations en TD arrivaient doucement et il fallait dès le début s'assurer des bons résultats pour pouvoir prévenir une catastrophe le jour de l'examen terminal. Je passais l'essentiel de mon temps libre à la bibliothèque, entourée d'Amélie, Simon, Corentin et Perrine. Je sentais que quelque chose n'allait pas entre ces deux-là, que leur couple n'était pas au beau fixe, mais personne ne m'en dit rien et je refusais de m'embarquer dans des messes basses.

Les cours de Léopold furent similaires à tous mes autres cours et je ne ressentis aucune émotion particulière. De son côté, il s'appliqua à éviter tout contact visuel avec moi. Même Amélie, sans le vouloir, me rendit service en ne m'en parlant plus. Plus que dans le cursus de master 1, elle était investie dans les sélections pour le concours de plaidoiries qu'elle prenait très à cœur. Elle voulait que je l'aide à réviser. Comme j'avais prévu de rentrer à Lille le week-end suivant, je lui octroyais toute la journée du vendredi que nous passâmes dans mon studio. Je lui donnais un sujet que nous travaillions en dix minutes puis chacune à notre tour, nous nous appliquions à démonter les arguments de l'autre.

Le lundi matin, après m'être fait chouchoutée tout le week-end, Amélie me demanda de l'aider à réviser le concours tous les soirs de la semaine jusqu'au vendredi, jour de la sélection. J'acceptai avec plaisir : je n'étais pas en retard dans mon travail personnel universitaire et en l'aidant à réviser, j'améliorai moi aussi mes capacités en éloquence et en argumentation. Ce n'était pas du luxe parce que j'avais toujours été très mauvaise en présentations orales. Il était dix-huit heures et je venais de lui donner un nouveau sujet quand mon téléphona sonna. C'était un message de Léopold : « si tu veux comprendre, rejoins-moi devant chez toi dans une demi-heure, L ».

Je pris quelques instants avant de réagir à ce message et Amélie le remarqua.

_ Tout va bien ?

Je lui mentis en lui disant qu'il fallait que l'on se dépêche pour faire ce dernier sujet parce que je devais être chez moi dans une demi-heure. Un sourire malicieux apparut sur ses lèvres.

_ Oh toi, tu me caches des choses !

Elle me taquina en feignant de me chatouiller avec la gomme de son crayon à papier. Il fallait que j'invente une excuse sinon elle me harcèlerait jusqu'à tout savoir et je n'en sortirais jamais. Ou pire, elle serait curieuse dès le moindre bruit de mon téléphone, et finirait immanquablement par tomber sur des messages de Léopold.

_ Tu n'y es pas du tout ! C'est ma mère, elle veut que l'on s'appelle parce qu'après elle a un dîner. Tu sais comment elle est : je préfère ne pas la contrarier.

Je compris qu'Amélie ne me croyait qu'à moitié, mais elle fit semblant et cela me convint bien.

Bien que faisant régulièrement attention aux minutes qui s'écoulaient, nous finîmes vers 18h24 et je sortis de l'université deux minutes plus tard. Je courus à grandes enjambées jusqu'à ma porte d'entrée mais il était déjà trop tard : au bout de ma rue, je vis la berline noire s'engager sur le boulevard.

Pourtant, Léopold avait piqué ma curiosité : je voulais savoir, je voulais comprendre. Qu'avait-il à me dire qui permette d'expliquer son flirt avec moi en dépit de la présence d'une autre femme dans sa vie ? Comment justifierait-il de tromper sa femme ? Au fond de moi, j'avais du mal à me le dépeindre comme un salaud. Nous avions quand même partagé quelques moments ensemble, au bout du compte mis bout à bout ça ne faisait pas grand-chose, mais ils avaient été tellement intenses que ça voulait forcément dire quelque chose. Ça ne collait pas, cette histoire. Quelque chose ne collait pas et je voulais comprendre.

Je courais encore jusqu'à la borne de vélo la plus proche et empruntais celui qui me paraissait être dans le meilleur état. Forcément, comme avec les files d'attente aux caisses des supermarchés, je me rendis compte au bout de cent mètres que j'avais fait un mauvais choix et retournai en emprunter un autre. Je pédalai à vive allure dans Paris, essayant de me repérer en fonction des stations de métro et évitant de me faire écraser en empruntant les grands axes. Après avoir laissé le vélo à une borne, j'arrivai rue Montaigne un peu avant dix-neuf heures. Je pensais croiser Olivier mais il n'y avait que le concierge de l'immeuble.

_ Bonjour, je viens voir Léopold Humbert, au deuxième étage.

Le concierge me toisa avec un regard hautain. Je me rendis compte alors que je devais être en nage, le tee-shirt trempé et ruisselante de sueur. Je dénotai fortement avec le luxe des lieux. Il m'ouvrit quand même la porte en pinçant des lèvres.

Le hall était climatisé et je profitai de cette fraîcheur bienvenue pour m'arrêter quelques instants. Ayant finalement repris mon souffle, je montai doucement les deux étages et réajustai mes cheveux dont je sentais qu'ils avaient subi les conséquences de ma course effrénée. En respirant profondément, je sonnai. Personne ne répondit d'abord et je n'entendis même aucun bruit à l'intérieur. Puis je pensais que c'était ici un immeuble de haute qualité et qu'on n'entendait pas tout ce qu'il se passait chez les voisins, comme c'était le cas dans mon studio qui transmettait les moindres détails des ébats de mes voisins de palier. Je m'apprêtais à repartir, pensant que Léopold n'était pas chez lui - ce qui aurait aussi expliqué l'absence d'Olivier en bas de l'immeuble -, quand la porte s'ouvrit.

Ce n'était pas Léopold qui se présenta dans l'embrasure de la porte. C'était une femme blonde, grande et mince. Elle était habillée et maquillée de façon très élégante, et semblait appartenir à un monde totalement différent du mien. A un monde qui correspondait d'ailleurs plus au standing de cet immeuble.

_ Bonjour ?

Je lui tendis ma main dont elle regarda la sueur que je n'avais pas pu refreiner, et se contenta d'un sourire en croisa ses bras. Je l'avais déjà trouvée très désagréable à la première vue - ce qui s'était apparenté probablement à une jalousie marquée de ma part -, maintenant elle me paraissait carrément impolie. Je vérifiais que le nom sur la sonnette était le bon. « Humbert de Surville » : j'étais au bon endroit.

_ Bonjour, je suis venue voir Léopold.

_ Et vous êtes ?

_ Louise, et vous ?

_ Je suis sa femme, Léopold n'est pas là.

J'eus l'impression de recevoir un coup dans le ventre.

_ Vous êtes Line ?

_ Pardon ?

_ Non, rien. Je suis désolée pour le dérangement, je me suis trompée.

Elle referma aussitôt la porte et je me retrouvai sur le palier, les bras ballants et ruisselante de sueur jusqu'aux orteils.

Je sortis de l'immeuble dégoûtée. Pendant un instant, depuis la réception de ce message où Léopold promettait de tout m'expliquer, j'avais espéré avoir tort. Il allait me rassurer, me dire que j'avais mal compris, me dire qu'il tenait à moi. Tout cela n'était qu'un énorme quiproquo. A l'évidence, j'avais eu tort.

De toute façon, je me berçais d'illusions depuis le début. Il n'y a jamais eu de « nous », il n'y a jamais eu de fusion, de sentiments. Je suis juste une pauvre fille qui court après un beau mec qu'elle a rencontré dans un train et qui l'a faite jouir. Comme je suis pathétique. Je rentrais chez moi par le même mode de transport, beaucoup moins enjouée donc beaucoup moins pressée et beaucoup moins transpirante.

Tentations parisiennesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant