J'avais fait ma maligne mais une fois que je m'étais retrouvée à marcher seule dans Luxembourg, mon moral retomba peu à peu et je me mis à pleurer. Mes nerfs me lâchaient. Depuis deux jours, mon cœur faisait les montagnes russes : il réclamait un peu de répit. Après m'être arrêtée dans un supermarché de centre-ville pour acheter des choses grasses et délicieuses à dîner, j'entrai dans un hôtel - aux chambres dix fois moins chères que celles où séjournais Léopold - et en réservai une pour la nuit. Le lit n'était pas aussi large que celui du Royal et je n'avais certainement plus de vue sur le parc, mais j'étais bien. Je gardais mes vêtements, m'allongeai dans le lit et m'endormis deux heures plus tard devant un télé-crochet insipide qui remplit à merveille son rôle de divertissement.
Le lendemain, je me réveillai vers midi. La vision furtive de la robe rouge dans mon sac me rappela que la veille à la même heure, Léopold m'avait déjà fait jouir deux fois. Je nous revoyais dans sa chambre, nos corps emboîtés, nos respirations courtes et synchronisées ... Cette pensée emporta avec elle un pincement au cœur. J'étais dégoûtée de m'être donnée à lui, pire encore d'avoir presque supplié pour qu'il me fasse l'amour. Faire l'amour ? Je riais jaune toute seule dans ma chambre : je parlais de faire l'amour mais il n'avait probablement jamais eu d'autre idée dans la tête que celle d'une amourette avec une étudiante. Je me souvenais alors que je lui avais dit que je l'aimais dans sa voiture, hier, que j'avais avoué sincèrement mes sentiments et qu'il était resté silencieux. Je pris ma tête entre mes mains et pleurai. Comme je m'en voulais, comme j'avais honte ...
J'appelai ma mère en taisant tout de mes déboires sentimentaux, bien évidemment : elle ne s'en remettrait pas. Mais entendre sa voix et son bavardage sur les voisins, les amis et mes frères me remplit de joie. Si elle ne me connaissait pas assez pour s'inquiéter d'une telle demande, j'aurais volontiers demandé qu'elle me parle de son jardinage, de sa cuisine, des nouveaux vêtements qu'elle avait achetés à mon père et des derniers films qu'ils avaient regardé à la télé. Dans les moindres détails. Tout pourvu qu'elle sorte Léopold de mes pensées. Mon Dieu, je voulais récupérer ma petite vie tranquille.
Après avoir raccroché, je réservais un billet de train, quittai l'hôtel et me dirigeai en direction de la gare. Sur la route vers la gare, comme j'aurais dû m'en douter en raison de sa déviance perverse à me faire suivre, je sentis une voiture ralentir à ma hauteur. C'était Léopold. Il descendit la vitre côté passager. Il était beau et frais.
_ Monte.
En m'efforçant de détourner les yeux des siens, je l'ignorai et continuai à marcher. Il se répéta en haussant le ton. Si sa beauté me faisait toujours faiblir, l'humiliation de la veille était encore bien ancrée dans mon esprit. J'approchai alors de la voiture.
_ Je ne veux plus jamais te parler, c'est clair ?
_ Attends, Louise, laisse-moi -
_ Barre-toi Léopold. Barre-toi ou je hurle.
Je ne riais plus du tout et il eût l'air de s'en apercevoir puisqu'il n'insista pas. Il remonta la vitre en soupirant et continua sa route. Bien sûr, je n'aurais jamais hurlé : la rue était pleine à craquer et je n'avais pas l'audace de me donner ainsi en spectacle, mais c'était le dernier argument que j'avais et il avait fonctionné. J'avais besoin d'espace, j'avais besoin de calme et de silence loin, très loin de Léopold. J'avais été faible jusque-là. J'avais écouté mon corps qui désirait le sien, j'avais fondu dans ses yeux, mais ça devait s'arrêter là.
Le TGV partit de Luxembourg à 15h50 et j'arrivai à Paris un peu après 18h. Je m'arrêtai aux Halles et m'engouffrai dans une salle de cinéma, peu emballée à l'idée de me retrouver seule chez moi. Si la veille, mon studio m'avait semblé l'endroit le plus réconfortant du monde, j'avais peur aujourd'hui que le silence et la solitude soient trop durs à supporter. Je m'alignai deux films à la suite, de sorte que je rentrai chez moi vers vingt-deux heures. Je me déshabillai, me lavai les dents et me glissai dans mon lit.
Une heure passa sans que le sommeil ne me vienne. Je me tournai, me retournai. Je pensais à Léopold, regrettait son corps, regrettait sa bouche, me remémorait les crasses qu'il m'avait faites, finissais par le haïr, me forçais à penser à autre chose, puis repensais à Léopold et le cercle vicieux recommençait. A deux heures, n'y tenant plus, je me levai, pris place à mon bureau et étudiais jusque sept heures du matin. Il n'y a rien de tel que le travail pour détourner son esprit de l'amour.
Il plut le lendemain, l'automne prenait place dans Paris. J'étais déjà assise dans l'amphithéâtre pour le premier cours du lundi, celui de droit international privé, quand je vis Amélie arriver au bout de ma rangée et hésiter. Nous n'avions pas échangé beaucoup de mots samedi matin et nous ne nous étions pas envoyé de messages non plus, de sorte que j'avais peur qu'un froid se soit installé entre nous depuis la fameuse journée de samedi. Pour détendre l'atmosphère, je lui fis un grand sourire et un signe de la main. Elle parut soulagée et me rejoignit.
Amélie me parla de sa fin de week-end qu'elle avait entièrement passée avec ses parents. Je n'osai parler de Nancy mais c'est finalement elle qui aborda le sujet :
_ Quelle folle journée ! Pour tout te dire, j'appréhende de revoir Léopold.
Au moment où elle prononçait son prénom, je lui intimai de baisser le son de sa voix. Si on nous entendait parler d'un professeur par son prénom, alors que nous étions justement parties en une week-end avec lui, ça allait jaser. Ils auraient été en droit de jaser, bien sûr. Je sentais encore sur mon corps toutes les raisons pour lesquelles ils en avaient le droit.
_ Tu penses que je dois aller lui parler ?
_ Qu'as-tu à lui dire ?
Elle haussa les épaules.
_ Je ne sais pas, mais on a quand même été proches samedi, très proches.
_ Tu as envie d'aller plus loin ?
_ Sans hésiter ! T'as vu comme il est gaulé ! C'est juste dommage qu'il embrasse si mal. Il n'y avait aucune passion dans son baiser, c'était assez ennuyant.
J'aurais voulu me vanter en lui disant que les nombreuses fois où Léopold m'avait embrassée, il avait excité tous mes sens à la fois, puis je me souvins de l'enfer qu'avait été Luxembourg et me rappelai qu'il n'y avait vraiment pas de quoi me vanter. Je restais évasive dans mon conseil : après tout, si elle parvenait à se rapprocher de Léopold, cela me forcerait à m'en détacher. J'en serais triste, mais ce serait pour mon bien.
_ Tu n'as rien à perdre à aller le voir, tu verras bien ce qu'il te dit.
Jusqu'alors je n'avais jamais envisagé manquer un cours de droit fiscal des affaires pour éviter Léopold, mais en le voyant arriver dans l'amphithéâtre, je ne me sentis plus capable d'être dans la même pièce que lui pendant deux heures. C'était trop pour moi. Mes sentiments à son égard étaient trop ambivalents, trop douloureux. Je prétextai à Amélie un horrible mal de ventre soudain. Elle parut surprise mais promit aussitôt de m'envoyer son cours en fin de journée et me souhaita de bien me soigner. En me levant et en sortant de l'amphithéâtre, j'entendis au micro que la diction habituellement fluide de Léopold était perturbée par mon départ. Je n'y fis pas attention.
Le mardi ne passa sans encombre et le mercredi était férié. Fait rare, mon frère Julien me téléphona pour prendre de mes nouvelles et m'informer qu'il passait le week-end suivant à Paris en compagnie de sa fiancée. Il proposait que l'on dîne ensemble samedi soir et j'étais ravie de cette bouffée d'air frais. Voir des nouvelles têtes me ferait un bien fou. La semaine fut du reste assez chargée en interrogations écrites et examens de mi- semestre. Amélie m'apprit qu'elle s'était décidée à aller demander son numéro de téléphone à Léopold après le cours du lundi soir et qu'il lui avait donné en répondant que ce serait en effet plus pratique ainsi s'il l'entraînait à nouveau en vue de la nouvelle phase du concours. Bien que j'eusse pensé qu'elle se ferait désormais entraîner par notre professeur de droit de l'urbanisme, je ne commentai pas. Il fallait que je me fasse une raison : entre Léopold et moi, il n'y aurait strictement rien.
La semaine suivante passa avec une monotonie égale, ce qui ne me déplut pas. Depuis septembre, mon début de semestre avait été très chargé sur le plan personnel et cela me faisait du bien de m'investir corps et âme dans mes études. Je rattrapai mon retard sur les cours que je fichai et appris par cœur le soir chez moi. Je m'investissais dans la préparation de mes TD. Mon travail fut payant puisque j'eus le sentiment de faire bonne impression auprès de mes chargés de TD, ce qui me revigora.
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Tentations parisiennes
RomanceLouise arrive à Paris pour terminer ses études de droit. Dans le train qui l'amène à la capitale pour sa nouvelle vie, elle rencontre un homme séduisant avec qui elle échange quelques mots et un trajet en taxi pour la ramener chez elle. Le lendemain...