Chapitre 6

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Alex

Vingt et une heures quinze.

Mon équipe et moi sommes de garde jusqu'à vingt-deux heures, malgré la longue journée que nous venons de passer. Nous sommes affalés dans les canapés d'une des salles de repos du QG et commençons à succomber à la fatigue.

— Et sinon, avec Alicia et les enfants, ça se passe comment ? demandé-je à Lewis, le plus âgé de notre équipe qui commence déjà à avoir deux ou trois cheveux blancs.

Il est père de deux enfants. Un garçon de sept ans et une fille de neuf ans.

— Ben tu sais, la routine. Quand je vais rentrer, les enfants seront normalement au lit, mais demain on va faire du bowling, ça va être amusant. Mais bon, tu te doutes que ce n'est pas tous les jours facile ! Parfois, ils sont insupportables ! Des gosses quoi !

— Alors ça, je veux bien te croire. Mes parents m'ont toujours dit que les enfants ce n'étaient pas toujours de la rigolade !

— Et ils ont tout à fait raison ! En parlant de ça, je ne veux pas paraître indiscret, mais... avec Megan, vous n'y avez encore jamais pensé ? Vous êtes dans la fleur de l'âge et en plus, vous êtes ensemble depuis combien de temps maintenant ? Deux ans ?

— Trois ans samedi prochain, mais ne m'en parle pas. Megan m'embête déjà assez avec ça...

— Elle t'a déjà posé la question ? me demande-t-il, surpris.

— Pas explicitement, mais elle fait souvent de petites remarques, oui. Je devine qu'elle en a envie, mais je ne me sens pas encore tout à fait prêt. Non pas que je n'en veuille pas avec elle, loin de là. C'est la seule femme sur toute cette planète avec qui je voudrais une chose pareille, mais j'aime faire les choses doucement... et dans l'ordre... en commençant peut-être par le mariage...

— Eh ben, qu'est-ce que t'attends alors ? Fonce ! C'est pas très compliqué une fois que t'as trouvé la bonne ! se mêle Jason, le petit jeune de la bande.

— Et toi tu devrais commencer par trouver la bonne ! Tu verras comme tout devient bien plus compliqué ensuite ! lui rétorqué-je.

C'est vrai, quoi ! Les femmes sont compliquées. Elles peuvent se fâcher, se vexer, être tristes, jalouses, heureuses ou peureuses pour un rien. J'ai beau connaître Megan sur le bout des doigts depuis le temps, parfois, elle me surprend encore et j'ai du mal à savoir comment réagir. Je m'améliore de jour en jour sur la question, mais il me reste encore beaucoup à apprendre.

— Figure-toi que j'y travaille ! L'autre soir, j'ai dragué une fille dans un bar !

— Et elle s'appelait comment cette fille ? le taquiné-je.

— Euhhh... comment dire...

— Qu'il ne s'en souvient pas, car il était tellement bourré qu'il ne se souvient même pas d'être entré dans ce bar. C'est moi qui lui ai raconté sa fabuleuse drague de déglingué, balance Elena.

— Ecoute, il faut bien se détendre parfois ! essaye de se défendre le jeunot.

— On ne veut pas les détails, l'averti Bryan.

Nous éclatons de rire, puis un silence s'installe quelques secondes. Lisa le brise à cause de cette curiosité féminine qui ressort à chaque fois que la discussion parle d'amour :

— Mais sinon, sérieusement, tu comptes bientôt lui faire ta demande Alex ?

— Eh bien... commencé-je.

Je me tais plusieurs secondes et respire un coup. Je n'avais pas l'intention de le leur dire ce soir. A la base, je voulais garder le secret, mais soit, tant pis. Nous sommes coincés dans cette salle tous ensembles, alors autant discuter de quelque chose...

— ...si tout se passe bien, samedi prochain, je suis fiancé. J'ai réservé une table dans son restaurant préféré le jour de nos trois ans. Après le repas, je voudrais aller marcher dans une petite ruelle qu'elle aime beaucoup qui amène au bord de la mer et lui faire ma demande devant cette sublime vue...

— Whouaaaa !

— Bravo !

— Mais c'est génial !

S'exclament mes collègues et amis.

— En revanche, je compte sur vous pour ne rien dire et rester naturels !

— On a déjà oublié ce que tu viens de nous dire, affirme Elena.

— Tu ne nous as jamais rien dit ! assure Jason.

— Tu nous as parlé ? J'ai pas entendu, rajoute Bryan.

Nous rigolons. Ils ont beau être mes collègues, je les considère plutôt comme mes meilleurs amis. Cela fait plusieurs années que je les côtoie tous les jours et que je mets régulièrement ma vie entre leurs mains, alors depuis le temps, ils ont toute ma confiance, ils font partie de ma famille.

Je prends soudain un air plus sérieux :

— Ouais, ouais, vous avez intérêt à n'avoir rien entendu, car si elle l'apprend à cause de vous, vous êtes tous virés.

— Et ton motif de renvoi sera ? me demande malicieusement Elena.

Je souris en coin et réfléchis avant de lui rétorquer :

— Désobéissance aux ordres de son supérieur direct en gâchant sa demande en mariage.

Mes amis éclatent de rire et je les imite. Je ne suis moi-même pas sûr que ce soit une raison valable, mais je m'en fiche !

Vingt et une heures trente.

Encore une demi-heure de garde et nous pouvons rentrer. La journée commence à être longue, nous sommes tous en train de tomber de fatigue sur les fauteuils en cuir. La nuit dernière était courte et nous n'avons pratiquement pas eu de pauses aujourd'hui, alors nos yeux ne daignent plus rester ouverts.

— Vous voulez faire un « action ou vérité » ? On est en train de s'endormir là ! nous propose Elena en recoiffant énergiquement sa chevelure brune.

— Okkkkk !

— Bonne idée ! Si je continue comme ça, je ronfle dans deux minutes.

— J'suis partant !

Répondent Jason, Lisa, puis Bryan.

— Franchement les gars, faites sans moi, je vous regarde, soupire Lewis.

— Nan Lewis ! Allez ! Comme les jeun's !

— Merci de me faire remarquer que je suis vieux, Jason ! J'apprécie.

— C'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'il faut te détendre comme les jeunes. Sinon, on va penser que t'es un de ces vieux lards !

— Sympa. Merci pour cette charmante explication.

Lewis se redresse dans son siège et roule des yeux.

— Moi, je joue. J'ai déjà des idées pour chacun d'entre vous, leur lancé-je. Allez Lewis ! Ça va être marrant !

C'est vrai, quoi ! On va bien rigoler ! Il veut passer pour un de ces « vieux lards » comme les appelle Jason ?

Lewis me regarde, exaspéré.

— Si le patron l'ordonne.

Et ben voilà une réponse raisonnable !

— Maintenant il faut une bouteille.

Lisa jette un coup d'œil autour d'elle et attrape la bouteille d'Ice Tea qu'elle a bu cul sec au début de notre garde. Nous poussons les fauteuils vers les murs et nous installons au sol, en cercle, comme au bon vieux temps quand nous faisions ce jeu en soirée, sauf que cette fois, nous n'avons pas cinq grammes d'alcool dans le sang. Mon amie, très impatiente de commencer à jouer, tourne la bouteille qui s'arrête en face de Jason.

— Action ou vérité ?

— Vérité.

Lisa réfléchit un court instant, puis demande avec un sourire narquois :

— Quelle est ta connerie qui a le plus foiré ?

La honte apparaît sur le visage du jeunot et ses yeux s'écarquillent.

Mais qu'est-ce qu'il va réussir à nous sortir encore ??

— Quand j'avais à peu près quatorze ans, j'ai voulu faire une blague à ma grande sœur en mettant de la farine dans son sèche-cheveux. J'pensais que ça allait être super drôle, mais quand elle l'a allumé, il a pris feu...

***

Vingt-deux heures !

Cette journée est enfin finie !

Je suis dans ma voiture et mets un peu de musique avant de démarrer. J'avance à bonne vitesse jusqu'à l'entrée de l'autoroute, mais celle-ci est à l'arrêt. La route est bondée en ce samedi soir. Les gens vont en soirée, c'est normal, c'est le week-end. Personnellement, j'ai juste hâte de me coucher aux côtés de la femme que j'aime.

Le chemin pour rentrer chez moi me paraît interminable. Je suis arrêté pratiquement tout le long par des embouteillages qui rallongent mon trajet, mais après un peu plus de cinquante minutes de route, j'arrive enfin devant le panneau qui indique le nom de la rue où j'habite.

Il est bientôt vingt-trois heures et des jeunes discutent dans le parc du quartier. Je vois certains de mes voisins sur leur terrasse en train de manger le dessert avec des amis, alors que d'autres jouent au foot avec leurs enfants dans leur petit jardin illuminé par des lampions. Ils ont tous l'air de bien s'amuser.

J'arrive devant chez Megan et moi et gare la voiture sur ma place de parking privée, comme d'habitude. Je sors tranquillement et cherche les affaires que j'ai mises sur la banquette arrière en frissonnant. Ce soir, il fait froid. Nous sommes bientôt en été, mais la température ne s'est pas encore décidée à augmenter. Le jour, un T-shirt suffit amplement, mais durant les soirées, un gilet est de rigueur.

Je traverse la pelouse devant la maison d'un pas rapide.

Qu'est-ce que j'ai hâte de me coucher !

Cette journée a été terriblement longue et épuisante. J'ai vraiment besoin de repos.

Je contourne un arbuste qui me bloque le passage jusqu'à l'entrée et c'est là que je vois quelque chose qui ne me plaît pas du tout : il n'y a plus de porte !

Mais c'est quoi ce bordel ?!

Je commence à courir sans comprendre ce qu'il y a bien pu se passer et monte les quatre marches sous le porche en une enjambée. Une fois sur le seuil de ma maison, mes yeux horrifiés retrouvent finalement la porte... mais en miettes sur le sol.

Je ne te lâcherai pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant