Monarchie & Anarchie

Chapitre 3

Une heure que je suis sur ce dossier et je n'arrive toujours pas à le finir. Je referme mon stylo en soufflant. Épuisée, ma seule envie est d'aller dormir, mais je ne peux pas. Pas sans avoir conclu ce fichu dossier.

J'entends Andrew fermer le livre et se lever. Son ombre est rapidement projeté sur mon bureau et il se penche par dessus mon épaule.

— C'est où que tu bloques ?

— Ici, je baille, je sais pas comment compléter cette partie.

— Tu n'as qu'à aller dormir, je vais m'en occuper. Tu es crevée et demain tu commences tôt.

— T'es sûr ? C'est censé être à moi de le faire... Et puis tu dois aussi dormir.

— Je n'ai pas sommeil, va te coucher. Et avant de le rendre tu pourras relire ce que j'ai fait, t'inquiètes pas.

Je lui laisse ma place et commence à m'installer dans le lit. Ces responsabilité m'épuisent, je me demande parfois comment je ferais plus tard. Ou bien simplement comment ma mère y arrive. C'est peut-être pour ça qu'elle est si dure, c'est peut-être le rôle de reine qui nous fait devenir comme ça. Je chasse rapidement cette pensée angoissante et questionne Andrew :

— Tu restes ici ce soir ?

— Oui, mais puisque ce n'était pas prévu, je n'ai pas mon uniforme.

— Pas de problème, je vais t'en chercher un de mon frère.

Il acquiesce avant d'utiliser sa micro-montre pour parler en direct à sa mère. Andrew est un peu surprotecteur avec elle, mais je le comprends, ils sont seuls, ne pouvant compter que l'un sur l'autre. Marie a toujours été super gentille avec moi. Pourtant, chaque fois que son fils dort au château, elle a l'impression qu'il dérange. Elle a mis un moment à se faire à notre relation. Elle ne comprenait pas comment un membre de la famille royale avait pu s'intéresser à son fils. Alors que de mon côté, je me demande encore comment lui a pu s'intéresser à moi.

Avant d'y aller, je passe à la salle de bain enlever mes lentilles et mets mes lunettes. Au salon, je découvre sans grande surprise que Jason est encore là. Antoine et lui sont en pleine partie d'échec. Je lui expose rapidement la situation. Il souffle en se levant, regarde le plateau de jeu puis m'indique :

— D'accord, mais joue à ma place en attendant. Je suis en train de perdre, tu rattraperas peut-être le coup.

Je souffle à mon tour mais m'assois quand même à sa place. Je replace mes lunettes sur mon nez puis examine la partie. Il me laisse avec un jeu très mal entamé. Je ne me souvenais pas qu'il était aussi mauvais quand on jouait ensemble. Pourtant, quand j'y réfléchis, cela fait plusieurs années que je n'ai plus joué avec lui. A vrai dire, depuis que j'ai commencé à sortir avec Andrew. C'est l'âge où nous avons commencé à faire plus d'activités chacun de notre côté.

— C'est bon, tu peux jouer ? Ou t'as besoin de plus grosses lunettes pour voir le jeu, Grace ?

Je bouge une pièce, en bougonnant. Je n'ai jamais aimé qu'il m'appelle Grace et surtout, je n'ai jamais compris pourquoi. Certes, c'est mon deuxième prénom mais personne ne l'utilise. Sauf lui. Et à chaque fois c'est avec son air arrogant, après m'avoir sorti une vacherie.

— Quel est le problème avec mes lunettes, tu ne me trouves pas à ton goût ? Si ça peut te rassurer, moi aussi je te préfère quand je n'ai pas mes lunettes.

Un petit sourire incurve à présent mes lèvres. Il joue, et met un temps fou à répondre. Je pense même qu'il ne va pas le faire. Pourtant, quand je m'apprête à jouer, il rétorque simplement, ignorant ma pique :

— Non, c'est seulement que ça fait des années que je ne t'ai pas vu avec des lunettes.

— Oui, et tu préfères sans doute quand je suis sans. Sois content, tu me verras peu avec, je ne les mets qu'au coucher et au réveil. Heureusement pour nous deux, on ne se croise pas à ces moments-là.

— En fait, tu te trompes. Je te préfère avec.

Étonnée d'une gentillesse de sa part, j'attends la suite. Elle ne tarde d'ailleurs pas à arriver :

— Ça cache une partie de ton visage et ça me permet de ne pas avoir à supporter entièrement de voir ton visage.

— Si tu ne veux pas me voir, tu sais où se trouve la porte. Et...

Je me lève en faisant tomber son roi.

— Échec et mat.

Je me lève et voit mon frère revenir au même moment.

— Parfait timing, merci. Et, j'ai gagné.

— T'as réussi à rattraper ça ? rit-il. Je te l'avais laissé en me disant que si je perdais ce ne serait pas entièrement ma faute.

— Si on a gagné, je souffle, c'est entièrement grâce à moi. Alors te réjouis pas trop.

Je récupère l'uniforme qu'il me tend et me dirige vers ma chambre. J'entends mon frère proposer une revanche et, pour une fois, la réponse de Jason me surprend :

— Si seulement j'avais un adversaire à ma taille. Malheureusement, elle vient de partir. Je suppose que je dois me contenter de son maigre remplaçant.

Étonnement, il semble dire ça sur un ton d'amusement, et non sur le ton sarcastique et arrogant qu'il prend toujours avec moi.

Je me couche directement et, dans la nuit, je sens qu'Andrew vient me rejoindre.