Chapitre 15

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En rentrant, je vois Olivier m'attendre dans le hall. Il se lève en me voyant et ce n'est qu'à ce moment là que je me souviens : je lui avais dit qu'on se verrais aujourd'hui, pour parler d'Andrew. La culpabilité m'assaille : j'ai vingt minutes de retard et je ne suis absolument pas prête.

Il s'avance vers moi, tandis que je tente de reprendre ma respiration, maintenant que je suis au frais.

— Salut !

— Salut, désolé. J'avais légèrement oublié...

— Tu veux qu'on reporte ?

— Non, non ! Surtout pas. Il faut juste que je me change.

J'indique d'un coup d'œil ma misérable tenue.

— Pas de problèmes, je t'attends ici.

— Tu n'as qu'à monter, ça t'évitera d'attendre tout seul.

— Oh, hésite-t-il. Heu... D'accord.

Il me suit dans l'aile réservée à la famille royale et observe tout comme s'il ne l'avais jamais vu, comme s'il découvrait un tout nouvel univers.

— Tu n'es jamais venue de ce côté ?

— Une seule fois, avec Sophia, quand j'avais cinq ans. C'était pendant une partie de cache-cache. Mais je m'étais tellement fait engueuler par mon père que je n'ai jamais retenté le coup.

— Sophia ? Qui est-ce ?

Un petit sourire se dessine sur son visage et il m'explique :

— La fille du chef jardinier. Elle a toujours vécu au château, tout comme moi. Et puisqu'elle a mon âge, on était très proches.

— Était ? Vous ne vous voyez plus ?

Il rigole et ajoute :

— Oh, si si. Nous sortons ensemble, ça s'est fait plutôt naturellement.

— Oh je vois, souris-je. Je trouve quand même ça étrange qu'on ne se soit jamais croisés.

Il grimace.

— Pas tant que ça... Votre aile nous est interdite par nos parents, et nous n'allons pas dans le même genre d'école.

— Mais tu connaissais quand même Andrew.

— Oui, mais il ne t'a jamais parler de moi... Nos mondes ne se rencontrent jamais en temps normal, Andrew le savait bien quand il est arrivé.

— Oui mais, rien que le fait qu'Andrew ne m'ait pas parler de toi, ça m'étonne.

— Pas moi... Après nos dix ans, on a perdu contact. On s'est reparlé la première fois où il est venu au château, il était tellement stressé qu'il ne regardait pas où il allait et m'est rentré dedans. Quand on s'est reconnu, on a échangé nos numéros pour reprendre contact et c'est ce qu'on a fait. Pourtant même après ça, on ne se voyait pas souvent. On jouait quelques fois et, les soirs où tu veillais tard, il passait souvent me voir à la cuisine. Il récupérait toujours une barquette de framboise.

Je souris, nostalgique. Ces barquettes, il me les emmenait à chaque fois que je coinçais sur quelque chose.

— Il me disait " Avec des framboises, tu y arriveras mieux. C'est leur pouvoir, elles te font comprendre ce sur quoi tu bloques depuis des lustres". Enfin bon, c'était surtout un moyen de me réconforter.

Je lui propose de s'installer au salon et l'interroge :

— T'as rien à faire après ?

— Ça dépend, c'est toi qui m'embauches donc à toi de voir.

Sa voix est dépourvue de sarcasme pourtant, sa remarque me met mal à l'aise.

— Bon, alors c'est ok. Tu veux qu'on se mette ici, dans le jardin ou que l'on sorte carrément ?

— Là où tu te sens le plus à l'aise.

— Alors on sort du château.

Je vais à la douche et me prépare rapidement. Je retrouve Olivier au salon qui regarde la petite bibliothèque murale.

— Il n'y a pas beaucoup de livres ici, la plupart se trouve dans la grande bibliothèque ou dans celle de l'étage. Seuls mes livres préférés se trouvent au salon ou dans ma chambre.

Il acquiesce puis propose :

— Pour sortir, j'ai pensé à un petit café que je connais. C'est assez intime, il n'y a pas trop de monde et c'est plutôt bon.

— Parfait, allons-y.

On nous y conduit et on s'installe. M. Ortega, mon garde du corps du jour, s'assoit quelques tables plus loin. Dès que la commande est passée, nous commençons à discuter. J'apprends pleins de choses sur l'enfance d'Andrew et, même si j'aurais aimé les entendre de sa bouche, ça fait du bien de découvrir d'autres parties de lui. Je lui raconte aussi mes anecdotes et notre discussion est parsemé de "C'est du Andrew tout craché", " Ha, je le reconnais bien là ! " ou bien encore "Il n'y a que lui pour faire ça".

Je pensais que parler avec Olivier serait difficile, que ça raviverait de mauvais souvenirs mais au contraire, je me sens légère. La discussion va bon train et on commence même à parler de nous. Il me confie ses rêves et je lui confie les miens. Il m'avoue vouloir ouvrir un café-pâtisserie comme celui dans lequel on se trouve.

A18h, je me rends compte que ça fait plus de deux heures qu'on parle et on commence donc à rentrer.

— Tu sais, il faudra qu'on refasse ça. Pas seulement pour parler d'Andrew, même si c'est agréable de pouvoir en parler avec quelqu'un qui le connaissait aussi bien que moi. Mais j'aimerai aussi qu'on apprenne à se connaître.

— Ce serait avec grand plaisir. Et si tu veux parler, ou manger, tu sais où me trouver.

Je lui souris et acquiesce. Quand je remonte dans ma chambre, le stress de la journée n'est plus qu'une ombre et je suis réellement heureuse d'avoir pu partager des souvenirs avec Olivier.

Je comprends alors que ce qui me permettra d'avancer, c'est d'accepter sa mort, et de garder en souvenir, seulement les bons moments. Pas ceux qui m'ont fait pleurer, pas ces derniers instants, mais ceux où je riais à m'en étouffer, ceux où je souriais à m'en faire mal à la mâchoire.

Pourtant, le comprendre est la partie la plus simple. Le mettre en pratique est bien plus compliqué.

C'est d'ailleurs ce qui me mènera, pour sûr, à ma perte.


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