Chapitre 10

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Jason m'ouvre la portière et nous nous installons. Le trajet n'est que silence, vingt-cinq minutes de pure calme. Enfin, extérieurement. Intérieurement, je suis dépassée, abattue et perdue.

Nous avons pris des routes plus longues, pour une raison que j'ignore, et que je n'ai pas souhaité demander. Une raison de sécurité, sûrement. Jason fixe ses mains. Il veut dire quelque chose mais rien ne sort. Tant mieux, je n'ai aucune envie de l'entendre. pour le moment.

Je fixe le paysage à travers ma fenêtre, la verdure nous entourant. Le chauffeur roule lentement et cela est déroutant. Les technologies sont depuis longtemps capables de nous faire avancer à des centaines de km/h. Certes, les voitures automatiques -c'est-à-dire pratiquement toutes les voitures sur le marché- peuvent rouler plus vite que des voitures nécessitant encore un chauffeur, mais être en dessous des 100 km/h est rare.

Malgré mes questionnements, j'ouvre la fenêtre pour profiter de l'air frais et me changer les idées.

Quand nous passons le grand portail et que la voiture secoue quelques instants avant d'arriver sur l'allée goudronnée, je me redresse, prête à retourner rapidement dans ma chambre.

Dès que la voiture est au point mort, je me détache et sort. Jason arrive de mon côté, souhaitant sûrement m'ouvrir la porte.

— Pourquoi ?

C'est le premier son qui sort de ma bouche depuis notre retour. J'ai parlé à voix basse, à peine audible. Je ne pense pas qu'il m'ait entendue. Pourtant, il relève la tête vers moi :

— Quoi ?

— Pourquoi ? répété-je d'une voix plus agressive.

— Parce que la vie est injuste.

Je le regarde de travers, il semble me dire ça sérieusement.

— Non, ce n'est pas de ça que je parle. Pourquoi tu es là ?

Ma voix est devenue plus ferme, plus forte :

— Pourquoi tu m'as attendu ? Pourquoi tu es là ?

— Ah... Tes parents te veulent en sécurité, je sais bien me défendre, et ils ne voulaient pas que tu sois avec un inconnu durant cette journée. Alors j'ai été chargé de te raccompagner.

— Alors j'ai le droit à un garde du corps, supplément baby-sitter, qui a mon âge et qui n'est autre que le connard qui m'insulte depuis des années ! Le choix ne pouvait pas avoir été mieux fait.

— Tu es la seule à m'insulter là.

Je le fusille du regard et lui assène, sarcastique :

— Remarque très constructive, merci.

— Oh, mais tout le plaisir est pour moi.

A bout, je déclare :

— Tu peux être content, tu es dorénavant relevé de tes fonctions.

— Ce n'est pas toi qui le décides mais la reine.

— T'en fait pas pour ça, je vais aller lui parler, la question sera vite réglée.

Je coupe court à la conversation en me dirigeant vers le bureau de mes parents.

— Bonjour mademoiselle, m'arrête une assistante. Vos parents sont en rendez-vous, mais je peux leur dire que vous souhaitez leur parler.

— Non merci, ça ira. Où sont-ils ?

— Dans le bureau de votre mère. Je ne pense vraiment pas que les déranger soit une bonne idée.

— Tant pis.

J'ouvre la porte du bureau royal à la volée, sans même toquer. Mes parents ainsi que quelqu'un dont j'ignore le nom et la fonction me dévisagent.

— Je dois vous parler. C'est urgent.

— M. Dubois, vous voulez bien nous attendre dans le bureau d'à côté s'il vous plaît ? On va vous apporter à boire.

Ma mère fait signe à l'assistante qui m'a suivie d'accompagner ce M. Dubois.

Dès qu'ils sortent, je commence :

— C'est quoi cette histoire ?!

— La porte.

Je souffle en fermant la porte.

— Comment ça se fait que j'ai un pseudo garde du corps ? Et que ce soit Jason ?

— Pour te protéger.

— Vous auriez pu me prévenir avant quand même !

— Tu as catégoriquement refusé de nous parler. Et tu manges dans ta chambre depuis des jours.

— On comprend que tu ailles mal, ajoute mon père, mais la situation est dangereuse ma chérie.

— D'accord, je comprends pour le garde du corps mais Jason, sérieux ?

— Oui. C'est le fils de Hélène et je fais confiance à sa famille. Je ne veux plus que ce soit un inconnu qui soit près de toi.

— Alors c'est mieux que ce soit quelqu'un qui me rabaisse depuis des années ?

— De simples enfantillages.

— Mais bien sûr...

Je souffle de nouveau, réfléchissant rapidement. J'ajoute alors :

— Je suis d'accord pour avoir un garde du corps, mais seulement quand je quitte le château. Et ce n'est plus Jason. Vous n'avez qu'à trouver quelqu'un d'autre.

— D'accord, accorde mon père.

— Non, refuse ma mère.

— On peut lui laisser ça au moins.

Ils se concertent du regard un moment puis ma mère râle en acceptant.

— Tant que tu es là, Eléa, nous avons quelques détails à régler avec toi.

— D'accord, qu'est-ce qu'il y a ?

— Il faut que tu reviennes aux repas communs.

— Et que tu fasses bonne figure auprès du peuple, complète ma mère. On doit montrer qu'on ne se laisse pas abattre. On t'a programmé une interview demain.

— Mais tu peux choisir si tu préfères la faire au château ou sur le plateau télé, ajoute mon père comme si ça changeait tout.

— Une interview ? Vous vous rendez compte que ça fait à peine quatre jours qu'Andrew est mort. C'est normal de se laisser abattre.

— Pas pour la future reine, assène ma mère. S'ils voient que ça nous atteint, ils continueront.

— Oui, oui, le fameux cache tes émotions, ne ressent rien. Je reste humaine, je pense que les gens le savent bien.

— Tu restes humaine, mais tu es reine. Les humains sont imprévisibles, les reines non. On doit avoir une ligne de conduite. Tu la suis et les gens te suivront. Alors, château ou plateau télé ?

— Château. C'est bon ? Je peux y aller ?

— Oui, on te dira à quelle heure se passera l'interview et on te présentera ton garde du corps. En attendant, ne sors pas du château.

— Je n'y comptais pas...

— Parfait alors.

— Oui parfait...


Monarchie & AnarchieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant