Chapitre 19

7 3 2
                                    

La cuisine est calme, plus personne n'est là. Après tout, je ne sais pas à quoi je m'attendais à plus d'une heure du matin. L'espoir de trouver du réconfort a été ma seule pensée, aussi irrationnelle qu'elle soit.

Je rebrousse chemin. Devant les escaliers menant à notre aile, je tombe nez à nez avec mon frère.

— Ça va ?

— Non.

Ma voix tremble quand je prononce ce mot. Il me prend dans ses bras et me relâche à peine quelques secondes plus tard.

— Allez, viens. Il faut aller te coucher. Tu te rappelles du repas de famille avec tous les cousins, tantes et toutes ces personnes qu'on ne voit que deux fois par an.

— Merde ! J'avais complètement oublié.

— Vu ton état, je m'en doutais.

Il m'aide à monter les escaliers et me dépose dans ma chambre où j'y vois Lia. Elle se décale me laissant de la place pour m'assoir.

— Je suis désolé pour ce qu'a dit mon frère. Il a vraiment dépassé les bornes cette fois.

— Tu n'es pas responsable des actes de ton frère.

— C'est vrai mais... Je le vois te parler comme ça depuis des années et je ne suis jamais réellement intervenue. En partie parce que je ne pensais pas qu'il irait aussi loin.

Je ne sais pas quoi répondre et préfère donc rester silencieuse. Mon frère m'emmène un verre d'eau et s'assoit à côté de nous.

— T'es sûre que ça ne te dérange pas que je reste ici ce soir ?

— Bien sûr. Je te l'ai dit, tu n'es pas responsable de ce que dit ou fait ton frère. Il est assez grand pour se gérer tout seul.

— Vous devriez vous couchez, intervient Antoine. Il est tard.

Sur un ton de réprimande, je lui rappelle :

— C'est moi la grande sœur, je sais ce que je fais.

— Pas aussi bourrée, marmonne-t-il dans sa barbe.

Je fais comme si je n'avais rien entendue et indique simplement :

— Oui, je vais juste chercher mes lunettes dans le salon.

Antoine grimace quand je me lève. Je n'en tient pas compte et me rends au salon. En poussant la porte, je découvre Jason, assis confortablement sur le canapé. Je vois noir et mes poings se serrent. Il me remarque enfin et tente :

— Eléanore-

Je m'avance rapidement, les joues en feu. Je le coupe alors dans la tirade qu'il s'apprêtait à réciter.

— Tu n'as rien à faire ici, tu n'es plus le bienvenu.

— Tu peux m'écouter deux minutes.

— Tu en déjà dit assez pour ce soir. D'ailleurs ça fait des années que tu en dit trop. Rentre chez toi. Je pensais avoir été claire tout à l'heure.

— S'il te plait ?

— Va-t'en. Si tu préfères, je te fais raccompagner. Je ne sais même pas comment tu as pu passer mon garde du corps. Pourtant crois-moi, je serais ravie de les rappeler.

Je récupère mes lunettes. Je me tourne de nouveau vers lui. Jason n'a pas bougé d'un poil.

— Pars ! Maintenant ! Je ne veux plus te voir !

Son corps ne se décale pas d'un millimètre. Debout, près du canapé, il me fixe sans un mot. Mes ongles entrent dans la peau de ma paume, je me retiens de ne pas lui mettre une nouvelle claque. Le visage rouge, je l'averti :

— Pars. Ou je te fous dehors avec un grand coup de pied au cul !

Des pas résonnent derrière moi. D'un rapide coup d'œil, je vois mon frère. Son visage est fermé et ses pupilles reflètent une intense colère.

— Lia m'a expliqué. Tu pars d'ici. Tu n'y es plus le bienvenu.

Il bouge enfin. En passant à côté de moi, il me souffle qu'il est désolé. Furieuse, je bougonne seulement :

— Connard.

Le bruit de pas dans l'escalier me parvient et je sors alors. Avant que je ne retourne dans ma chambre, Antoine m'arrête :

— Je ne pensais pas qu'il irait si loin un jour. J'ai toujours entendu les piques que vous vous lanciez, mais pour moi c'était juste votre manière de relâcher la pression que vous aviez. Notamment par rapport à vos avis politiques différents. Ce qui, soit dit en passant, n'est absolument pas un sujet dont vous devriez vous préoccuper autant. Mais aujourd'hui, il a dépassé certaines limites. Je lui en parlerai demain, il reste mon meilleur ami, mais je pense qu'il faut qu'il comprenne que ce n'est pas facile pour toi non plus.

Antoine me lance un regard compatissant et reprend d'une voix douce :

— Tu sais, j'ai conscience que ce que tu fais, c'est autant pour la famille entière que pour moi. Tu sais bien que si tu abdiquais, je n'oserais pas le faire aussi et que ça me mettrait dans la position dans laquelle tu as toujours été. Je sais aussi qu'on n'en a jamais parlé ouvertement, que ça a toujours été tabou. Mais je veux quand même que tu saches que je vois le sacrifice que tu fais pour moi, pour nous tous. Et je t'en remercie, tu es une grande sœur formidable et je sais que, même si tu n'as pas envie de devenir reine, tu seras la meilleure que ce royaume n'est jamais connu.

Je le serre dans mes bras. Ça fait des années qu'on n'avait pas passé autant de temps ensemble et ça m'avait tellement manqué. Il est mon frère, mon meilleur ami et je sais que je pourrai toujours compter sur lui. Dans n'importe quelle situation.

— Bon aller, vas te coucher. Demain on doit se lever pour le repas de famille.

— Merci Antoine. Pour tout.

— C'est normal. Toujours là pour toi.

Un sourire éclaire mon visage. Je répète alors cette phrase que nous avions l'habitude de nous dire quand nous étions petits :

— Toujours là pour toi.

Cette phrase, signe de promesse, est souvent accompagnée de celle du petit doigt. Nous avons d'ailleurs appris cette tradition aux jumeaux, dès qu'ils ont été assez grands.

Je passe dans la salle de bain retirer mes lentilles puis m'allonge dans mon lit. Je pose précautionneusement mes lunettes sur le bord de ma table de nuit et éteins la lumière. Pour une fois, quand je ferme les yeux, je m'endors instantanément.

Et la nuit n'est parsemée d'aucun cauchemar, ni d'aucun rêve.


Monarchie & AnarchieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant