Chapitre 30

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Les secondes durent le temps d'une minute. Les minutes semblent être des heures et les heures sont l'éternité.

On s'est fait livrer notre repas du midi, et les seuls moments où nous quittons cette chambre sont pour aller aux toilettes. L'atmosphère est horriblement tendue. Personne ne parle.

Nous n'avons fait que ça de la journée. Attendre. Attendre un miracle, attendre qu'elle ouvre les yeux, attendre de pouvoir reprendre notre souffle.

Mais le soleil de ce doux mois de juillet se couche alors qu'elle ne nous a toujours fait aucun signe.

Le visage de mon père se décompose de secondes en secondes.

— Je vais voir le médecin, je reviens.

On acquiesce tous vaguement, perdus dans nos pensées.

Au bout de quelques minutes, mon père revient et brise ce silence éreintant. Je me redresse sur ma chaise, flairant le danger. Il sait quelque chose de plus que nous, et je prie pour que ce ne soit pas une mauvaise nouvelle.

Une de plus.

Une de trop.

Je lance un regard interrogateur à Antoine qui hausse simplement les épaules. L'angoisse, déjà enfouie au creux de mon ventre, m'envahit de plus belle.

Les jumeaux sont rentrés il y a une heure, et me retrouver seule avec mon frère et ma mère inconsciente me met un peu mal à l'aise.

— Antoine, Eléanore, prenez vos affaires, on rentre.

— Mais... et maman ?

— Ça ne changera rien qu'on soit là ou au château. Le médecin a dit que, si elle n'était toujours pas réveillée demain, ils pourraient essayer plusieurs choses. Ce sera plus dangereux pour elle, mais rien est perdu si elle ne se réveille pas aujourd'hui.

— Pourquoi on ne l'a pas su plus tôt ?

— Ces techniques sont connues depuis des années mais très peu maîtrisées. Alors, ils préfèrent ne pas donner de faux espoirs.

Antoine et moi nous fixons étrangement. Ces yeux brillent d'une étrange lueur, mélange d'espoir, d'incompréhension et de peur. Et ce sont les parfaits miroirs des miens. Nous prenons nos affaires, mais arrivés devant la porte, nous hésitons à sortir. Laissez notre mère ici, dans ces conditions, je ne suis pas sûre que nous devrions. Face à nos réactions, notre père précise :

— Hélène va rester ici, ne vous inquiétez pas. On nous appellera au moindre changement.

On finit par acquiescer et, tandis que nous sortons, la meilleure amie de notre mère retourne à son chevet.

La voiture démarre dans le silence le plus complet. Très vite Antoine et moi brisons le calme avec nos milliers de questions.

— Pourquoi on rentre ?

— Le médecin t'as dit autre chose ?

— Tu as prévu quelque chose au château ?

— Et ces pratiques peu répandues, c'est quoi ?

Nous faisant signe de nous calmer, il commence :

— Je suis resté à l'hôpital toute la semaine et je n'ai pas passé de temps avec vous. Surtout toi, Eléanore.

— Et t'as décidé que c'était aujourd'hui qu'on devait passer du temps ensemble. C'est pas le mauvais moment ?

— Nous sommes tous très angoissés et prendre une pause ne pourra que nous faire du bien. Les jumeaux nous attendent déjà.

Quand on arrive, notre père nous dirige directement vers la salle à manger. Des pizzas sont posées au centre de la table et plein de boissons sont sorties.

Notre père s'assoit, nous invitant à faire de même, et s'adresse aux jumeaux :

— Alors, qu'est-ce que j'ai manqué cette semaine ?

Ils commencent alors à parler à toute vitesse, détaillant chaque journée, leur visite aux musées, leurs sorties dans Paris, leurs jeux dans la maison.

Antoine se prend vite au jeu et mon père sourit, malgré le chagrin que l'on peut lire dans ses yeux.

J'ai plus de mal à me réjouir. Je n'ai rien à raconter de biens dans ma semaine à part des dossiers, des dossiers et encore des dossiers. Mais je me force à sourire quand on me regarde. Je fais comme si tout allait bien, comme si tout allait s'arranger. Comme par magie.

Les heures défilent, et nous prenons notre dessert. Des crêpes pleines de chocolats nous sont servis. Antoine demande une bombe de chantilly et commence à s'amuser avec. Très vite, les jumeaux sont blancs comme neige.

Les rires fusent. Je me détends un peu et à mon tour, pouffe à une blague d'Antoine. Il s'apprête d'ailleurs à m'attaquer mais je tente de l'en dissuader. Soudain, nous sommes coupés par la sonnerie du téléphone de notre père.

On se fige tous les trois, se redressant et fixant avec peur le petit appareil. Les jumeaux arrêtent rapidement de rigoler, sentant la tension qui règne à présent dans la pièce.

Décrochant son téléphone, il nous indique simplement :

— C'est Hélène.

Il sort ensuite de la pièce, nous laissant seuls avec nos angoisses.

Quand il revient, moins d'une minute plus tard, il est livide.

— Eadlin, Thomas, vous restez avec votre gouvernante et vous allez au lit. Allez, allez, on se dépêche.

Une fois qu'ils sont sortis de la pièce, notre père se reconcentre sur nous et annonce :

— Il y a du nouveau, on retourne à l'hôpital.

On court à la voiture et une fois dedans, mon père ne cesse de demander au chauffeur d'accélérer. Il est tellement stressé qu'on ne peut lui poser aucune question et nous nous retrouvons dans le flou complet.

Devant l'hôpital, il sort en trombe de la voiture et nous peinons à le suivre. Il ne s'arrête qu'une fois devant la porte de la chambre. Il reprend sa respiration puis ouvre délicatement la porte et nous voyons notre mère les yeux entre-ouverts, serrant la main de sa meilleure amie.

Notre père se précipite vers elle et la serre dans ses bras.

— Doucement monsieur, elle vient seulement de se réveiller, déclare le médecin que je n'avais pas remarqué.

— Oh, oui, pardon.

Il se redresse et Antoine et moi pouvons enfin nous approcher.

Le médecin nous explique ensuite que son réveil s'est fait naturellement et que si elle a mis autant de temps, c'est qu'elle en avait besoin. Nous restons une heure avec elle, puis, elle doit se reposer alors nous rentrons tous au château. Seul mon père demande que l'on mette un lit dans sa chambre pour qu'il puisse dormir avec elle.

Le lendemain, je passe rapidement lui rendre visite, mais je dois reprendre mon rôle. Et maintenant que mon père est de nouveau apte à travailler, je n'ai plus l'aide de Jason. Ce qui est à la fois une bénédiction et une complication. Je dois bien avouer que son aide m 'a quand même beaucoup servi. Celle de Louisa aussi et elle continue d'être là pour moi. Cette femme est tout simplement un ange descendue du ciel. Elle anticipe chacun de mes besoins et me fait gagner énormément de temps.

Ma mère, même si elle est encore très faible, peut rentrer au château sous la surveillance d'une équipe médicalisée à toute heure du jour ou de la nuit.

C'est avec le cœur soulagé, que je me dis qu'il est tant que je pardonne Jason. Pas pour tout, je pense que je n'accepterais jamais toutes ces années de cours qu'il a gâché. En revanche, je peux lui pardonner la soirée. C'est déjà un pas en avant, non ?



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