Monarchie & Anarchie

Chapitre 22

Je salue les nouveaux arrivés et nous passons très rapidement à l'apéro. J'arrive à esquiver toutes les discussions jusqu'au plat. Tante Amélia décide que c'est le bon moment pour nous poser des questions sur notre avenir :

— Vous passez tous les quatre en études supérieurs, qu'allez-vous faire ?

— Je vais faire des études de langues et d'histoire, commence mon frère. Je pense voyager pour découvrir les différentes cultures et pouvoir les partager, notamment grâce à la photographie.

— Et toi, Lia ?

— Je vais faire des études littéraires, je pense devenir journaliste. Je ne suis pas sûre.

— Oh, avec ces études, il te reste encore du temps pour faire ton choix.

Et moi, je n'ai ni le temps, ni le choix.

— Jason ?

— Je vais faire des études politiques.

Même si je le sais déjà, ça me fait toujours bizarre. Comment peut-il vouloir travailler dans ce milieu au regard de la haine qu'il voue au système mis en place ?

— Eléanore ? Toi tu pars dans quoi ?

— Je n'ai pas vraiment le choix... J'aurai des cours particuliers au château de politique, économie, social, communication et tout ce qui me servira plus tard.

Tante Amélia perçoit le peu d'enthousiasme dans ma voix et marmonne un faible "oui, c'était une question bête".

— Jason pourrait bien t'aider, dans ce cas-là.

Encore et toujours la même remarque.

Nous grimaçons de concert. Les visages que nous affichons sont sûrement à mourir de rire. Mais pour le moment, aucun de nous ne rigole. Nous sommes droits comme des piquets sur nos chaises et on se fixe avec dégoût et incompréhension. Travailler ensemble ? Jusqu'à la fin de mon règne ? Ce serait une torture ! Il faut vraiment que les gens arrêtent de penser que, simplement parce qu'il fait des études politiques, nous deviendrons collègues. Je n'ai pas besoin d'une aide, encore moins si celle-ci vient de Jason.

Lia retient un rire à côté de moi et je suis son regard vers Antoine qui fait de même. Je leur lance un regard noir et ils se reprennent immédiatement.

— Je ne pense pas travailler au château, répond enfin Jason.

— Oh, comme c'est dommage, je suis sûre que vous auriez fait un parfait duo. Enfin bon, tu as encore le temps de changer d'avis.

Encore et toujours la même réponse.

— Je ne pense pas qu'il changera d'avis, j'avance à sa place.

— De toute façon, nos opinions sont radicalement différentes et je ne pense pas que Eléonore soit prête à faire des concessions facilement.

Comment ça, "pas prête à faire des concessions" ? S'il savait ...

— Même si je sais que la politique est un jeu d'échecs constant, je n'ai pas envie de me lancer dans une partie contre Eléanore si l'on travaille ensemble. Je veux pouvoir travailler dans un endroit qui respecte mes valeurs...

A l'entendre parler, on pourrait croire que nous sommes des dictateurs sanguinaires qui affamons notre peuple.

Tante Amélia sent le malaise qu'elle a créée et lance un autre sujet de conversation.

La fin du repas est lente, beaucoup trop lente. Pourquoi les repas de famille finissent-ils tous à 15 heures ?

Quand on passe enfin au dessert, je ne me sers pas et profite que chacun parle dans son coin pour retourner à la roseraie.

Depuis ce matin, je ne fais qu'y penser. Je m'y sens si paisible.