Les jumeaux sont endormis dans la salle d'attente. Mon père revient du distributeur avec son quatrième café. Antoine se terre dans un coin et parle très peu. Je fais les cent pas, je ne tiens plus en place. Mes nerfs sont sur le point d'exploser.
Cela fait des heures qu'on attend. Le jour a fini par arriver, les rayons du soleil éclairant délicatement la salle d'attente. Je n'ai pas dormi depuis bientôt 24 heures. La fatigue m'empêche de penser raisonnablement.
Nous n'avons plus de nouvelles du bloc opératoire depuis plus d'une heure. Les journalistes ont assailli l'hôpital et des gardes se battent pour qu'ils n'entrent pas. Il y a une demi-heure, M. Ortega est arrivé. Il est en piteux état. Pourtant, il a refusé de rentrer, affirmant qu'il pouvait continuer d'assurer ma sécurité. En voyant ces cernes, je sais bien qu'il a aussi peu dormi que moi.
Une foule crie. Les gens veulent savoir ce qu'il s'est passé et comment va la reine. Mon père, le visage bouffis et fatigué se lève et annonce :
— On doit parler au peuple, leur expliquer.
— Un de nos chargés de communication ne peut pas s'en occuper ? soupire Antoine.
— Ce doit être la famille royale. Je vais me faire venir quelques vêtements et j'irai. M. Ortega, vous pouvez prévenir les journalistes que je ferai une interview à 9h30.
— Non, je l'arrête. Tu n'es absolument pas en état. Je vais le faire.
— Tu n'es pas non plus en état, remarque-t-il.
— Ne t'inquiète pas pour ça. Je vais demander à Lia de m'emmener une tenue et je vais préparer un discours. Je ferais quelque chose de court, je répondrais à quelques questions et ce sera tout.
Moins d'une demi-heure plus tard, Lia débarque. Un infirmier nous laisse une chambre pour que je puisse me préparer. Quand elle arrive, son père, sa mère mais aussi son frère l'accompagnent. Quand je passe à côté de lui, je lui fais comprendre qu'il n'est pas le bienvenu.
— Je ne suis pas là pour toi mais pour ta mère. Et aussi ma mère.
— T'as pas intérêt à m'adresser la parole.
— A ce qui me semble, c'est toi qui viens de le faire.
Je le fusille du regard et il se rattrape
— Je ne dirai rien, je ne suis pas là pour ça.
— Tant mieux.
Il hésite puis ajoute :
— Je sais bien que ce n'est pas forcément le moment mais ton frère m'a dit que tu acceptais de me parler. Je veux vraiment pouvoir m'excuser pour...
Je le coupe. Pour une fois, je ne l'envoie pas se faire voir. Lasse, je lui réponds :
— Effectivement, c'est vraiment pas le bon moment.
Il se retourne presque désespéré mais je poursuis :
— Mais on se parlera. Quand j'aurais plus de temps. Je pense qu'on a plein de choses à dire.
Il acquiesce simplement et je rejoins Lia dans la chambre. J'enfile ma tenue et Lia me maquille, tentant de masquer mes cernes et mon visage bouffis. Je lui lis le début du discours que j'ai écrit. Elle m'aide à l'améliorer un peu. Je ne le trouve pas super, mais ça fera l'affaire.Je me regarde dans le miroir, même maquillée, la fatigue se peint sur mes traits.
— Quelle heure est-il ?
— 9h20, tu as encore quelques minutes.
— Ok, merci.
— Ça va ?
— Autant que ça puisse aller ...
Elle s'avance et me prend dans ses bras. Je colle ma langue à mon palais et lève les yeux au ciel, m'empêchant de pleurer. J'en ai marre de ne faire que ça depuis des semaines. J'en ai ras le bol que tous les malheurs s'enchaînent et nous tombent dessus.
— On peut aller vérifier qu'on n'a pas eu de nouvelles, avant que j'y aille ?
— Evidemment.
Nous sortons et, je me sens étrangement serrée dans mon ensemble blazer pantalon. Je m'enquiers de l'état de ma mère auprès d'une infirmière. Elle m'indique qu'elle est toujours au bloc, qu'il n'en reste plus pour très longtemps et que le chirurgien viendra nous informer plus précisément de son état quand il aura fini.
Je la remercie et lui indique qu'elle, ainsi que tout le personnel présent s'étant occupé de ma mère devront signer une clause de confidentialité. Au moins, nous serons en capacité de gérer les informations et de dire seulement ce que l'on souhaite. Beaucoup pourrait appeler ça de la rétention d'information, mais pour moi, c'est simplement garder la possibilité d'avoir des choses pour nous. Ne pas partager au monde des informations qui ne concernent que nous. Avoir une intimité, une vie privée. Mais cela, peu de gens le comprennent et le respectent, et c'est encore plus difficile avec les journalistes. C'est pourquoi pendant cette interview, je ne voulais pas que mon père la fasse. Vu l'état dans lequel il est, ça aurait fait trop. Il aurait pu gérer, mais il ne doit pas subir une épreuve de plus.
Et toi ?
Je me persuade alors : moi, je supporterais. J'ai fait ça pendant des années. J'ai fait mon deuil d'Andrew sans réellement m'écouter et prendre le temps, à cause de la pression qui pesait sur moi et je tiens encore debout. Alors ça de plus ou de moins.
Je désespère en me rappelant que je n'ai que 17 ans. Je suis encore une adolescente, je ne devrais pas avoir à vivre tout ça. On est censé vivre comme jamais, sourire, rire, vivre. Et non survivre, souffrir et encaisser. On devrait, je devrais, pouvoir vivre sans ces regards rivés sur ma vie. Vivre sans ces douleurs qui ne devraient jamais être connues de quiconque.
Ce vide en moi, ce vide dans mon cœur. Je ne devrais pas tant souffrir. Pas maintenant. Pas si jeune. Et j'ai déjà pensé, et si je disparaissais ? Le monde s'en porterait mieux. Non ? Je retrouverais Andrew, je n'aurais plus à m'inquiéter et je n'aurais pas à survivre. C'est assez paradoxal, mais je me dis que je serais plus... vivante.

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Monarchie & Anarchie
ParanormalFrance, 2147 Plusieurs années ont passé depuis la troisième guerre mondiale qui a chamboulé le pays. Durant ces temps difficiles, la monarchie absolue a été remise en place. Eléanore a tout pour elle : elle est la future reine et a trouvé son pri...