JOUR 3

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Salvator grommelait. Il lâcha le bord de la couverture rêche au-dessus de son oreiller. Pas question de mieux faire ce putain de lit. Pour commencer, ça n'avait aucun intérêt pour lui – il allait redormir dedans ce soir, nan ? – et ensuite, il n'en avait strictement rien à foutre que le lit soit fait au carré ou non, que la couverture épouse bien le matelas ou pas, étant donné que de toute façon, il dormait à peine.

Sa deuxième nuit en centre n'avait guère été plus plaisante que celle en isolement. Au moins, il avait été libre de ses mouvements, mais obligé de laisser la porte ouverte pour bénéficier de la veilleuse dans le couloir. Les autres gars gueulaient sur cette lumière permanente ; lui rendait grâce à Dieu de sa présence, même s'il ne croyait pas une seule seconde en Son existence. Pour la simple et bonne raison que s'il existait, il fallait qu'il ne soit pas si bon que ça pour lui infliger une vie pareille. Du moins, pour ne pas bouger le petit doigt.

Enfin, à bien y réfléchir, sa vie ici valait mieux que celle là-bas. Son soulagement disparut en songeant que ses parents n'en avaient strictement rien à foutre de ne plus le voir. Il était même fort probable qu'ils en soient heureux. Cette pensée à elle seule suffit à le mettre en rogne pour le reste de la matinée.

Il se rendit aux douches communes, espérant presque un jet froid pour se calmer. Même s'il détestait cet espace, au moins n'y avait-il pas de portes. Ce qui forçait chacun à se dépêcher et à rejoindre ses pénates. Sur ce point, les éducateurs ne les surveillaient pas, leur laissant l'intimité nécessaire. Quoique visiblement parfois un peu trop, car Florent se fit traîner dans la salle d'eau par le col, obligé de se doucher, chose qu'il avait oubliée depuis quelque temps.

Le lever à 7 h incommodait la majorité des résidents, les éducateurs y compris. Lui s'en fichait pas mal. Dormir jusque-là relevait plus souvent du miracle que de la fainéantise.

— C'est quoi ça ? hurla Denis qui s'engageait en direction des douches, la main désignant le sol. Vous êtes vraiment des pourceaux, ma parole ! C'est une salle de bain ou une piscine municipale ici, bordel ?

— Mais le sol est plat, monsieur !

Denis attrapa Corentin par l'oreille et le força à se pencher vers le carrelage.

— Et la Terre est ronde, abruti ! T'as jamais entendu parler d'une serpillère ou quoi ? Écoutez-moi bien, bande de mongoles, la prochaine fois que je trouve un bordel pareil, vous allez faire connaissance avec le balai de si près que votre cul s'en souviendra ! Débarrassez-moi ce merdier avant que le dirlo se pointe !

Sans autre cérémonie, il fit demi-tour, les laissant en plan, certains fâchés, d'autres à deux doigts du fou rire.

— Comme si le dirlo allait pointer son gros cul à l'étage, gronda Florent.

— Ouais, déjà toi t'y pointes pas le tien alors que c'est à deux mètres de ta chambre donc bon, siffla Salvator.

Quelques rires accueillirent sa moquerie. L'intéressé avança, les cheveux encore humides de sa douche forcée.

— Tu veux finir la gueule dans les w.c., toi ?

Corentin passait la serpillère, le dos arqué, peu concerné par cette rixe. Du coin de l'œil, Salvator nota une tête bouclée derrière une porte entrebâillée.

— C'est quoi ? Une proposition ? Parce que vu ta vieille gueule de chiottes publiques, je suis à deux doigts de croire que t'es PD. Je suis flatté, hein, mais non merci.

Florent bondit. Il voulut lui envoyer son poing dans la figure, mais Salvator se contenta d'aller au plus simple. Il lui asséna une claque retentissante dont l'écho força tout le monde au silence. La main sur la joue, Florent écumait de rage.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant