JOUR 95

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Après une gorgée de lait froid, Mickaël se leva. Il manquait décidément d'un sucre. En cuisine, Yolande s'affairait. Elle préparait déjà le repas du midi. Au seuil de la porte, Mickaël l'observa danser entre la gazinière et l'évier. Dans un seau en plastique nageaient des pommes de terre.

— Tu fais quoi pour ce midi ?

Yolande se retourna, une main sur la poitrine. L'eau froide dégoulinait de ses doigts à son poignet. Elle pressait un légume plein de terre contre elle.

— Mon Dieu ! Mickaël. Tu m'as fichu la frousse ! Un gratin...

Il s'approcha, les mains derrière le dos, pour ne pas l'inquiéter. Yolande s'amusait beaucoup de voir les changements de comportement opérer chez ces jeunes garçons lorsqu'ils s'adressaient à elle. Même les plus turbulents se tenaient droits, désireux de bien faire.

— C'est quoi ? demanda-t-il, le doigt pointé sur des cubes de chair translucide.

— Des navets. Tu as déjà goûté ?

Mickaël tenta bien de se souvenir. Rien ne lui vint. Sa mère se souciait peu de cuisiner. Il était capable de citer un tas de noms d'alcool, mais les fruits et légumes lui demeuraient pratiquement inconnus. Bien sûr, il possédait les bases. De celles que l'on apprend à l'école. Des fruits en images, ainsi que quelques légumes en conserve. Il finit par secouer la tête.

— Eh bien, tu me diras ce que tu en penses. Il y aura des carottes et des pommes de terre. Et un filet de porc.

— Et ça, c'est quoi ?

Elle suivit la direction de son index. Il désignait un cageot de provisions qu'elle venait de ramener le matin même. Elle n'avait pas encore eu le temps de les ranger dans le cellier. Au lieu de lui répondre, elle prit le légume et le lui mit entre les mains.

— À ton avis ?

Mickaël le tourna dans tous les sens, badigeonnant ses doigts de terre fraiche. Après une infime hésitation, il le huma. En vain. Ça ne sentait rien. Il avait beau passer en revue ses maigres connaissances en la matière, il séchait. La gêne de ne pas savoir bataillait avec l'avidité d'apprendre.

— On dirait... une espèce de gros oignon. Mais y a pas les feuilles qu'il faut éplucher.

Yolande sourit. Elle finissait de laver ses pommes de terre quand il se décida à l'interroger.

— C'est quoi ?

— Une betterave potagère.

Mickaël écarquilla les yeux. Il ne connaissait la betterave que sous sa forme de petits cubes d'un rouge vin.

— C'est tout dur !

Le rire de Yolande colora tendrement ses joues. Toutefois, il perçut qu'elle ne se moquait pas. Et c'était là l'essentiel.

— C'est parce qu'elle est crue.

— Et pourquoi tu dis betterave potagère ? On dit pas euh... pommes de terre potagères ?

— Ah ça !

Yolande essuya ses mains sur son tablier avant de replacer le légume dans le cageot et de se diriger vers le cellier.

— C'est parce qu'il existe d'autres variétés de betterave. Dis-moi, est-ce que tu sais comment on fait le sucre blanc ?

Mickaël se contenta de lui tenir la porte. Il ouvrit la bouche, le cerveau vide de toute pensée.

— Euh... ben ça j'ai jamais réfléchi. Je me sens con maintenant.

— Oh, mais non ! C'est normal. Tu sais quand on utilise quelque chose depuis toujours... c'est tellement naturel qu'on ne s'interroge pas forcément sur son fonctionnement. Par exemple... hm... tiens, moi je n'ai aucune idée de comment fonctionne une télévision !

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant