JOUR 20

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Dans une posture presque similaire, les garçons attendaient ; Salvator, affalé sur sa chaise, les mains dans les poches de son pantalon, fixant les pieds du bureau, et Mickaël, le menton baissé, les mains dans les poches du sweat de Salva. On ne les avait même pas laissés se doucher, trainés dès la première heure au tribunal. Les doigts entremêlés, la juge Salomé les jaugeait chacun.

— Vous savez pourquoi vous êtes ici, messieurs ?

— Parce qu'on vous manquait ?

Debout, derrière eux, Carole patientait, prête à intervenir en cas de débordement. Salvator reçut une claque sur la tête en réponse à cette provocation. Voyant que Mickaël pressait ses lèvres, Salomé darda un regard sur lui.

— La situation vous fait rire ?

Mickaël osa soutenir son attention. Une jeune trentenaire, à vue de nez, blonde, les lunettes octogonales hissées sur son nez en trompette. Elle débutait sa carrière, et il en fut presque peiné pour elle. Considérait-elle comme une réussite le fait d'avoir mis tant d'années d'études pour terminer par s'occuper de cas sociaux dans leur genre ?

— Ben... On ne va pas en pleurer.

Bien qu'il se penchât pour l'éviter, à son tour, il reçut une claque. Il se retourna vivement, fusillant l'éducatrice du regard.

— Bon. Ça suffit. Sortez, s'il vous plait !

Mickaël et Salvator se levèrent de conserve. La juge en fit de même, sous l'œil de la greffière impassible. La paume à plat, elle intima aux garçons de se stopper.

— Pas vous. Madame ?

Carole sembla se tendre. Les mains derrière le dos, elle bomba la poitrine.

— Carole, madame la juge. Je suis éducatrice.

— Ah. Très bien !

Salomé se tourna vers la bibliothèque qui pesait de toute son ombre sur la pièce pour en tirer un épais ouvrage. Les sourcils froncés, Salvator déchiffra « Larousse ». Le dictionnaire émit un son sourd quand il atterrit sur le vieux bureau. Salomé feuilletait les pages, marmonnant les derniers mots visibles.

— Voyons... Ah ! Éducation. Féminin. Art de former une personne, spécialement un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie. Maintenant, allons donc voir la définition de violence. Puisque, rappelons-le, une claque est une violence. Messieurs, vous êtes d'accord avec cette définition ?

Carole se décomposait peu à peu. Salvator se contenta de se tourner vers Mickaël. Ce dernier finit par hocher la tête, le visage vidé de tout amusement.

— Bien. Violence. Abus de force. Allons donc voir abus !

— Ce ne sera pas nécessaire... marmonna Carole.

— Il me semble nécessaire de rappeler quelques bases. Et jusqu'à preuve du contraire, je dispose du pouvoir légal dans cette pièce. Donc ce que j'estime nécessaire l'est.

Les pages se cornèrent doucement sous ses doigts fins. Seuls les cliquetis des touches de la greffière clapotaient dans l'air, infime provocation au silence.

— Abus. Action d'abuser d'une chose. Usage mauvais. Excessif. Seconde définition : Mauvais usage d'un droit, d'une prérogative, d'un privilège.

La juge claqua le dictionnaire sèchement, avant de joindre les mains dessus.

— Maintenant que les bases sont posées, j'aimerais vous demander ce qui vous a un jour poussé à croire que les mots violence et abus avaient une quelconque place dans la définition de l'éducation.

La minute effacée - (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant